Pour ou contre le guide Michelin au Québec: des restaurateurs se prononcent - Caribou

Pour ou contre le guide Michelin au Québec: des restaurateurs se prononcent

Publié le

04 septembre 2024

Texte de

Virginie Landry

La nouvelle a fait grand bruit dans les restaurants de la province: le 29 août dernier, on apprenait que le Québec devenait la 12e destination d’Amérique du Nord à rejoindre le fameux Guide Michelin et la troisième au pays, après Toronto et Vancouver. Les premiers étoilés seront dévoilés au printemps 2025.
guide michelin au Québec
François-Emmanuel Nicol | Photo de Simon Ferland
La nouvelle a fait grand bruit dans les restaurants de la province: le 29 août dernier, on apprenait que le Québec devenait la 12e destination d’Amérique du Nord à rejoindre le fameux Guide Michelin et la troisième au pays, après Toronto et Vancouver. Les premiers étoilés seront dévoilés au printemps 2025.
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Plus grand que la panse

Caribou a demandé à trois chefs qui valorisent  les produits locaux leur avis sur l’arrivée du Guide Michelin au Québec.

POUR

François-Emmanuel Nicol, chef copropriétaire de Tanière3 à Québec

François-Emmanuel Nicol est chef du réputé restaurant Tanière 3 à Québec et l’instigateur du mouvement Michelin au Québec. En effet, c’est lui qui, à l’arrivée du Guide à Toronto et à Vancouver, a interrogé l’industrie à savoir pourquoi on ne l’avait pas nous aussi au Québec. «C’est l’occasion rêvée de faire connaître notre culture culinaire à l’international et à armes égales avec les autres grandes villes canadiennes», lance avec grand enthousiasme le chef, dont l’ambition a toujours été que son restaurant soit «l’un des meilleurs au monde».

Dans sa salle à manger, située dans une cave voutée en plein cœur du Vieux-Québec, on vit une réelle expérience gastronomique où les produits locaux (et rien que des produits d’ici!) sont déclinés de façons audacieuses et originales. Et c’est en partie ce sur quoi il va miser pour impressionner les inspecteurs Michelin, qu’il attend de pied ferme.

«Il y a un grand manque de reconnaissance pour notre identité culinaire à l’international», explique le chef qui a réalisé un stage dans un restaurant étoilé européen il y a de cela quelques années. «Quand je disais que je venais du Québec, on ne me parlait que du sirop d’érable et de poutine, alors qu’on est bien plus que ça», soutient-il.

«L’arrivée du Guide Michelin va aider à faire progresser la gastronomie québécoise. Cela va certainement créer un afflux d’argent dans l’industrie de la restauration. On aura plus de moyens pour nos projets, nos produits, nos employés.»
François-Emmanuel Nicol
Photo de Simon Ferland

Selon lui, le plus grand impact que pourraient avoir les récompenses étoilées, c’est l’émergence de produits de niche issus de notre terroir. Il cite en exemple ses pétoncles frais, pêchés dans la Baie-des-Chaleurs en Gaspésie. Un produit onéreux difficile à avoir parce que la demande est si faible. «Si on n’a pas de restaurant de haut calibre étant capable d’acheter et de mettre ces produits-là sur son menu, on ne sera jamais capable de les développer», explique le chef avec passion. François-Emmanuel Nicol parle aussi de petits fruits et de produits forestiers non ligneux, comme les champignons sauvages pr exemple, qui gagneraient à être mieux connus.

«C’est important dans notre petite économie d’avoir des restaurants haut de gamme qui font découvrir les petites perles de notre terroir», ajoute-t-il. Les restaurants les plus ancrés dans leur identité sont ceux qui sauront se démarquer, croit fermement François-Emmanuel Nicol.

CONTRE

Chloé Ouellet, cheffe propriétaire du restaurant Au pâturage à Sainte-Perpétue

Chloé Ouellet répète à qui veut bien l’entendre qu’elle «démocratise la gastronomie» en servant à son restaurant des plats hautement créatifs faits en grande partie de produits récoltés dans ses champs, et ce, à un prix tout à fait raisonnable. Son objectif est que les habitants du Centre-du-Québec n’aient pas à aller dans les grandes villes pour bien manger et surtout, pour manger local. Alors le concept de l’étoile Michelin ne la rejoint pas vraiment.

«Je pense que je suis contre», lance la cheffe. Parmi les principales raisons qui justifient sa prise de position, elle cite d’abord «l’immense investissement nécessaire pour faire venir le guide Michelin au Québec», qui aurait pu servir à valoriser l’industrie autrement, «le risque énorme de créer de la compétition et de la bisbille» dans le petit milieu de la restauration québécoise ainsi que la pression et le stress que cela risque de causer sur les restaurateurs.

«Quand j’avais 16-17 ans et que je rêvais d’être chef, évidemment que je souhaitais un jour récolter ma propre étoile Michelin», confie-t-elle. Par contre, des expériences réalisées en France dans des établissements étoilés lui ont ouvert les yeux sur la situation: «avoir une étoile Michelin, ça revient un peu au même qu’à se soumettre à des standards de beauté instaurés par la société». Et bien que les critères se soient assouplis dans les dernières années, elle juge que les conditions pour être un restaurant étoilé sont encore «trop guindées».

«Je l’ai vécu quand j’ai travaillé en France: on devait toujours être sur nos gardes, au cas où un inspecteur Michelin serait un des clients. Le climat était malsain au sein de l’équipe, on se faisait souvent ramasser. Ton service est immanquablement moins décontracté.»
Chloé Ouellet

Malgré tout, elle voit quelques bons côtés à l’arrivée du Guide dans la province, dont un très important: «ça aidera sûrement à valoriser le métier de serveur», souvent vu comme un emploi «en attendant de faire autre chose». Les passionnés du service pourront briller comme il se doit.

guide michelin au Québec Photo de Au Pâturage
Photo de Le Cuisinome

Et finalement, si son restaurant devait – hypothétiquement! – recevoir une étoile, c’est une Étoile verte qu’elle aimerait. «Ça souligne les efforts en gastronomie durable, rentable et écologique et ça, je suis très pour. Mais de mon côté, je le fais déjà. Je ne le ferai pas plus pour avoir cette étoile.»

MITIGÉ

Sylvain Dervieux, chef copropriétaire des restaurants Faux Bergers et Buvette gentille à Baie-Saint-Paul

«Je suis mitigé. Je suis content pour ceux qui souhaitaient vraiment l’arrivée du Guide au Québec. Et qui sait, on aura peut-être de belles surprises», exprime Sylvain Dervieux, chef au réputé restaurant Faux Bergers dans la région de Charlevoix. Son établissement se démarque depuis plusieurs années par son approvisionnement hyperlocal et son service chaleureux où le chef en cuisine ce soir-là – son acolyte Émile Tremblay ou lui-même – explique chacun des plats ainsi que la provenance de tous les ingrédients devant toute la salle à manger.

«Mon point, c’est que le Michelin est une grosse institution qui a fait ses preuves. Donc forcément, ça apportera du bon en termes de visibilité. C’est sûr que ça nous mettra ‘’sur la map’’. Mais combien de temps, et à quel prix? C’est ça que j’ai hâte de voir», admet le chef d’origine française.

À son avis, il ne faut surtout pas que les chefs changent leur façon de faire afin de plaire aux inspecteurs du Guide Michelin, au contraire! «Le Guide doit nous suivre. Si on se met à s’y complaire, à se plier à ses exigences, c’est là qu’on va perdre notre identité culinaire. Il ne faut pas faire ça!», s’alarme Sylvain Dervieux, qui affirme qu’il continuera à cuisiner avec cœur et éthique, étoile Michelin ou non.

«Il faudra faire preuve de bienveillance entre nous, il faut rester soudés. Si ça devient un tremplin pour ceux qui obtiennent une étoile, tant mieux, c’est parfait. Toutefois, si ça devient une compétition, c’est non.»
Sylvain Dervieux

Parlant d’éthique, celui qui s’approvisionne auprès de petits producteurs régionaux estime que le Guide Michelin ne porte que très peu attention à la provenance des produits, mais mise surtout sur leur qualité. «Les trois étoiles de ce monde utilisent des aliments qui viennent de partout dans le monde, mais de mon point de vue, c’est loin d’être écologique», explique-t-il. Selon lui, travailler les produits locaux sur son menu – exclusivement ou pas – n’avantage pas les restaurateurs dans leur quête d’une étoile. «Les inspecteurs vont sûrement aimer ça, mais sans plus».

guide michelin au Québec Sylvain Dervieux et son acolyte Émile Tremblay | Photo de Eva-Maude TC
guide michelin Photo de Eva-Maude TC

Et puis, il souligne qu’au Québec, le service est différent de celui ailleurs en Europe: nous avons une façon très sympathique, très décomplexée de présenter notre gastronomie. «On se donne beaucoup de liberté au service, et il faut que le Guide comprenne ça», martèle-t-il.

Et si personnellement, il ne ressent aucun stress à ce que son restaurant soit soumis à une visite surprise des fameux inspecteurs anonymes du Guide Michelin – «il n’y a pas beaucoup de chance que les Faux Bergers reçoivent une étoile, notre service est trop décontracté pour ça» – il estime que de recevoir une Étoile verte, celle qui récompense une gastronomie durable, lui ferait certainement plaisir. Et à son équipe aussi!

La signification des étoiles Michelin

  • 1 étoile: le restaurant est considéré comme très bon, propose une carte de qualité et offre avec régularité une cuisine de haut niveau;
  • 2 étoiles: la personnalité et le talent en cuisine sont évidents dans les préparations, la cuisine est raffinée et inspirée;
  • 3 étoiles: il s’agit de la plus haute distinction qui est attribuée à la cuisine remarquable de chefs qui se trouvent au sommet de leur talent. Leur cuisine peut être considérée comme de l’art, et certains de leurs plats sont destinés à devenir des classiques;
  • Bib gourmand: établissements avec un excellent rapport qualité-prix;
  • Les étoiles vertes: des restaurants modèles en matière de gastronomie écoresponsable.
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