Dans le jardin de Patrice Fortier, sur le rang de l’Embarras à Kamouraska, pousse une diversité de fruits et de légumes anciens, dont la plupart ont sombré dans l’oubli. Parmi eux, différentes racines, toutes plus surprenantes les unes que les autres. On y retrouve des navets qui goûtent la noisette, des rutabagas qui rappellent les petits poissons d’antan à la cannelle, des carottes avec des notes de pain d’épices, des betteraves dont la chair ne tache pas, ainsi que du chervis sauvage.
Ces espèces, le semencier les a sélectionnées pour leur couleur, leur saveur et leur endurance. «Quand j’ai commencé La Société des plantes en 2001, je voulais mettre de l’avant des variétés qui avaient un potentiel d’adaptation aux bouleversements climatiques. Et c’est encore ça aujourd’hui», explique-t-il.
Pas question, toutefois, de lésiner sur le plaisir. Celui pour qui l’argument épicurien primera toujours explique que le patrimoine ancien lui offre ce qui l’intéresse par-dessus tout. «Il y a dans les espèces que je cultive une complexité qu’on a complètement évacuée de nos vies. J’aime beaucoup le rutabaga laurentien, mais je préfère encore mon chou-navet de Krosno, que j’ai déniché dans une banque de semences universitaire américaine. Il est blanc avec un petit collet vert. C’est un tout autre légume!» ajoute le semencier.
De la même façon, la carotte blanche de Küttingen n’a rien à voir avec les variétés hybrides de celles qu’on trouve à l’épicerie. «C’est un festival aromatique pour les papilles, avec une texture addictive», illustre-t-il.
L’idéal pour les découvrir, c’est de les faire pousser soi-même. Le chervis, par exemple, une plante vivace et rustique qui peut rappeler le panais ou les carottes, se cultive aussi bien que la rhubarbe. Un produit de luxe qui ne coûte rien, et qui pourrait nous apporter de nouvelles sensations gustatives.
«Au début du printemps, on récolte les racines, qu’on mange crues ou frites. Après, on déguste les jeunes feuilles en salade. Elles ont un goût délicat, floral, de carottes. L’été, on met les fleurs dans nos salades. Puis, en automne, on récolte encore des racines», énumère M. Fortier.
Des cuissons différentes
À 400 kilomètres de là, dans les Cantons-de-l’Est, le chef Éric Gendron s’affaire à restituer ses lettres de noblesse aux légumes racines. En hiver, au restaurant de l’Espace Old Mill où il travaille, les caveaux sont remplis de racines qui ont été plantées en fin d’été et récoltées après que le premier gel leur a donné un goût sucré: daikons, rutabagas, carottes, betteraves, céleris-raves, topinambours, pommes de terre, patates douces…
«Avoir sa petite réserve, ça fait la différence. En les voyant comme des légumes exceptionnels du fait qu’ils ont vécu la première gelée, ça change le narratif comme quoi ce sont des produits qu’on consomme parce qu’on est obligés. On peut les célébrer pour ce qu’ils sont», explique le chef.
Le principe? Faire ressortir leurs sucres naturels de manière à concentrer leurs saveurs. «Il faut éviter de les faire bouillir. Si on les dilue, ils perdent leur intensité. On a tous déjà mangé des soupes de légumes racines qui étaient trop aqueuses. C’est un peu ça, leur problème, mais ça se corrige de plusieurs façons», assure-t-il.
Choux-raves confits dans l’huile de caméline, carpaccio de betteraves ou de rutabagas à la texture de Jell-O, légumes barbecue laqués dans leur propre jus, steak de navets à la poêle: il n’y a pas de limite à ce qu’on peut faire, et ce, même sans grandes techniques.
«Un bon exemple, que les gens peuvent faire à la maison, c’est d’huiler le céleri-rave, de le saler et de l’emballer dans un papier d’aluminium, décrit M. Gendron. On l’oublie au four toute la journée et on se retrouve avec un légume qui s’effiloche. Refroidi, ça fait de superbes salades. Émulsionné avec du beurre noisette, c’est une délicieuse farce pour les pâtes.»