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La chroniqueuse en vin Nadia Fournier publie ces jours-ci son tout dernier Guide du vin, aux Éditions de l'Homme. Cette autodidacte, dont on peut aussi lire les chroniques dans le magazine L'actualité et le Journal de Montréal, nous parle de ses 16 dernières années à la tête du célèbre guide et de l'évolution des vins québécois, qu'elle a pu constater ces dernières années.
Texte d'Audrey Lavoie
Tu publies le 7 octobre ton tout dernier Guide du vin, ton seizième... comment te sens-tu?
Je ressens un mélange de soulagement d'avoir pris la décision d'arrêter, de peur du vide et un gros sentiment de deuil. Mine de rien ça fait 16 ans que mon titre c'est «auteure du Guide du vin». Je suis heureuse et soulagée. Heureuse d'avoir réussi à mener le projet à bout de bras pendant 16 ans. Et il y a aussi tout le côté grisant de cet espace que je crée devant moi pour de nouveaux projets: j'ai la tête qui bouillonne d’idées depuis cinq ans. J'ai bien hâte d'avoir du temps et de la disponibilité mentale pour me consacrer à ça.
Le Guide du vin, qui s'est longtemps appelé Le Guide Phaneuf, a été créé en 1981 par le critique gastronomique spécialisé en vin Michel Phaneuf. Tu as repris le flambeau en 2007. Avec ton retrait du projet, est-ce la fin du Guide du vin?
Le Guide du vin est une marque qui appartient à Michel [Phaneuf] et à ma connaissance, personne n'a été recruté pour me succéder. C'est la fin d'une époque. Mais je pense que le médium, un guide papier, n'est plus adapté à notre temps. Il a eu sa raison d'être, mais les téléphones intelligents ont changé la façon dont on consomme l'information et il faut adapter le médium.
Comment ça se fait un guide comme ça? Comment arrives-tu à goûter des centaines de vins en quelques mois seulement?
Je le fais entre le mois de juin et la fin du mois d'août. C'est deux mois et demi très, très, très intenses. Je me lève à 5h30, je fais de la relecture de ce que j'ai écrit la veille. Vers 8h30, je m'assois à mon bureau et je recommence à déguster. Après 20-30 vins, je prends une pause, je vais courir, je prends mes courriels et je recommence. C'est comme ça jusqu'à 20h, 21h ou même 22h. Et le lendemain je recommence, sept jours sur sept. C'est intense, mais il y a quelque chose de grisant dans cette routine. C'est une sorte de relation amour-haine avec cette période-là de mon année. Ça fait des étés atypiques!
Quand je repense au moment où j'ai commencé à faire le Guide du vin, je réalise que je ne connaissais rien mais que je pensais que j'en connaissais beaucoup. Parce que moins tu en connais et plus tu penses que tu en connais. Mais finalement, plus je gratte et plus j'en apprends sur le vin, plus je cultive la modestie, en sachant que j'en ai encore tellement à apprendre.
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Ce 42e Guide du vin, qu'a-t-il de particulier?
Il est vraiment dans la continuité du précédent, dans lequel on avait fait beaucoup de changements. Mais toutes les notes de dégustation ont été refaites. Il y a encore plus de suggestions de vin du Québec que dans les autres éditions.
Ces 42 dernières années, quelle a été l'évolution de la place des vins du Québec dans le guide?
Le Guide du vin a toujours suivi le marché. S'il n'y avait pas de vin du Chili au Québec, il n'y en avait pas dans le guide. Michel a toujours eu à coeur de faire une place aux vignerons d'ici. En 1990, il y avait 3 domaines du Québec: le vignoble de l'Orpailleur, le Domaine des Côtes d'Ardoises et la Vitacée, un vignoble de Sainte-Barbe qui n'existe plus aujourd'hui. Quand j'ai commencé en 2008, il n'y avait pas du tout de vins québécois dans le guide. Dans l’édition 2010, j'ai recommencé à en mettre beaucoup et depuis, il y en a toujours eu de plus en plus. Dans le guide 2023, il y a 24 pages sur les vins du Québec. Chaque année, j'essaie d'en mettre plus, mais ce n'est pas par patriotisme. J'en achète, j'en bois et ils sont bons. J'y crois vraiment et je pense qu'on a quelque chose d'unique au monde à offrir. On a vraiment un super beau potentiel pour les blancs, les rouges, les effervescents... Je n'en parlerai plus dans le Guide du vin, mais j'en parlerai encore sur d'autres tribunes, c'est certain!
Comment qualifierais-tu la scène vitivinicole québécoise aujourd'hui?
Le premier mot qui me vient en tête c'est «libre». Tout est encore à faire, tout est encore à explorer. Il faut construire l'identité des vins du Québec. C'est comme une page blanche, il n'y a pas de carcans. Tu n'es pas obligé de cultiver tel cépage dans telle région, comme dans certaines parties du monde. Tu cultives ce que tu veux, et ça, c'est un très gros avantage.
La croissance du vignoble québécois se fait de façon exponentielle depuis une dizaine d'années. La progression en qualité est tellement grande. Il y a une meilleure compréhension dans les vignes, dans les chais, des façons de traiter les cépages et de gérer l’acidité.
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C'est sûr qu'on est encore une région émergente et on le sera encore longtemps parce qu'on n’a que 1000 hectares de vignes au Québec. Mais on est une région qu'il faut surveiller de près parce qu'il y a certaines avancées viticoles qui vont être faites ici et qui pourraient profiter au reste du monde. Parce qu'ici, les défis sont mixtes. Il n'y a pas que du froid et du gel, il y a aussi de la sécheresse, des pluies diluviennes. C'est beaucoup de composantes climatiques à gérer. Sur seulement deux années [2021 et 2022], on a vécu tout et son contraire et ça sera de plus en plus comme ça.
As-tu eu un coup de coeur cette année dans tous les vins du Québec que tu as dégustés?
Mon gros coup de coeur de l'année, c'est le Domaine l’Espiègle à Dunham. Zaché Hall, le vigneron, en est à son deuxième millésime et honnêtement, je capote! C'est bon, c'est clean, il y a une complexité malgré la jeunesse des vignes. C'est tellement droit et en même temps, ce n'est pas linéaire. C'est un travail d'orfèvre. Il travaille vraiment bien et quiconque s'intéresse au vin devrait suivre son parcours de très près. Il est vraiment top!
Une cuvée à découvrir absolument?
Je les ai toutes aimées... Son pinot noir, le New World Lite 2020, est unique. Mais le vin auquel je reviendrais encore et encore, c'est le blanc de pinot meunier, Drôle d'oiseau.