Grincement de dents de Karine Chrétien Guillemette: Ça suffit le chocolat à bas prix!
Publié le
05 avril 2019
Karine Chrétien Guillemette, alias Miss Choco, est une spécialiste du chocolat bean-to-bar (de la fève à la tablette). Jusqu’en 2016, elle tient la boutique La Tablette de Miss choco à Montréal, puis se spécialise ensuite dans la communication et l’éducation autour du bean-to-bar artisanal, un mouvement qui s’intéresse bien sûr au goût du bon chocolat, mais aussi à la transparence de l'approvisionnement. Chaque fois qu’approche une des nombreuses fêtes célébrées avec du chocolat (Saint-Valentin, Pâques, fête des Mères...), Karine grince des dents lorsqu’elle voit s'entasser mille et une sortes de chocolat à bas prix dans les magasins, des produits qui procurent des avantages uniquement aux multinationales.
Texte de Julie Aubé
Crois-tu que l’expression «loin des yeux, loin du cœur» s’applique aux fermiers qui cultivent le cacao, lorsqu’on achète du chocolat de moins bonne qualité?
Bon nombre de multinationales qui vendent du chocolat à bas prix fabriqué avec du cacao de masse tendent à l’oublier, oui. Ce n’est pas normal d’avoir des tablettes de chocolat (ou des œufs, ou des lapins!) à 3-4$. Ce prix signifie que quelqu’un, dans la chaîne d’approvisionnement, n’a pas reçu un revenu suffisant, et il s’agit trop généralement des fermiers. Une étude de 2015* a démontré que le fermier de cacao reçoit en moyenne seulement 6% du prix de vente du chocolat. Un bien petit montant pour celui qui procure la matière première. Est-ce normal?
Le chocolat est un produit complexe, sa chaîne d’approvisionnement est longue et une partie de la transformation se fait loin de nous… Est-ce une bonne raison pour tourner le regard et «oublier» de s'intéresser à ce qu'on achète? Pour remédier à la situation, les chocolatiers bean-to-bar mettent l’accent sur la transparence. Le cœur de leur démarche: raccourcir la chaîne en coupant la majorité des intermédiaires et ainsi transformer l'opacité d'un approvisionnement plutôt cryptique en traçabilité. Bien entendu, il reste le transport, la transformation artisanale et l'emballage, mais le producteur reçoit certainement plus que 6% du prix.
Quelle est la différence entre le chocolat équitable et le chocolat bean-to-bar?
La certification équitable est une excellente idée, mais plusieurs études démontrent qu'elle ne suffit souvent pas à atteindre les objectifs souhaités. L’idée est vertueuse, mais la réalité fait prendre conscience qu’elle est difficile à appliquer de façon efficace sur le terrain.
Le bean-to-bar n’est pas une certification, mais plutôt une démarche. Les chocolatiers bean-to-bar artisanaux s’approvisionnement soit directement chez des fermiers qu'ils apprennent à connaître, soit auprès de coopératives de fermiers avec qui ils développent de précieuses relations de confiance ou d’importateurs de cacao en lien direct avec les fermiers. En résumé, ils font pour nous l'exercice d'apprendre à choisir et à connaître les producteurs et collaborateurs pour assurer à la fois qualité, équité et écoresponsabilité du produit final.
Est-ce facile pour les Québécois de trouver du chocolat bean-to-bar artisanal?
Aujourd'hui, ce type de chocolat représente seulement 5 à 7% de la production mondiale. Mais l’offre se développe partout dans le monde! Au Québec uniquement, on compte maintenant près de 10 chocolatiers bean-to-bar artisanaux. D’autres projets sont en développement. Il est possible d'acheter directement auprès de ces chocolatiers (Palette de bine, Avaana, Chaleur B, Monarque, Qantu, etc.), ainsi que chez les commerçants qui distribuent leurs produits (on trouve généralement des listes des points de vente sur leur site web respectif).
Puis, dans le chocolat comme ailleurs en alimentation, l'offre est prête à se développer. Mais pour un réel envol, les consommateurs doivent aussi être prêts à troquer la quantité pour la qualité. On payera certainement notre chocolat bean-to-bar artisanal plus cher que les chocolats des multinationales, mais le plaisir gourmand est multiplié par celui de savoir que les gens ont reçu un revenu juste, de la fève à la tablette.
Quand vous achetez du chocolat, posez des questions! Si les chocolatiers ne sont pas capables de parler de l'origine de leur chocolat, ou qu’ils restent évasifs, c’est louche. Quand les choses sont faites correctement, les commerçants sont généralement les premiers à avoir envie d’en parler, à être fiers de leur démarche et à ouvrir les portes de leurs ateliers.
* Fountain, A. C., and Hütz-Adams, F. (2015). Cocoa Barometer 2015. VOICE Network.