Le grincement de dents de Dominique Legendre: acheter local à l’occasion c’est bien, s’engager auprès des agriculteurs, c’est mieux!
Publié le
07 avril 2020
Copropriétaire de la Ferme Les Trois Bergères, dans Chaudière-Appalaches, Dominique Legendre a été sur le conseil d’administration de La Mauve de 2012 à 2019 et l’a présidé entre 2017 et 2019. Cette coopérative de producteurs, qui avait pour mission de distribuer, transformer et mettre en valeur les produits biologique et durables de ses membres, grâce à une boutique à Saint-Vallier et sous forme de paniers diversifiés, a déclaré faillite en janvier 2020. Dominique Legendre grince des dents en observant un décalage entre le désir d’acheter localement et la difficulté à faire preuve de souplesse quand vient le temps de s’y engager.
Un texte de Julie Aubé
Quelles pistes d’explications pouvez-vous partager au sujet de la fermeture de La Mauve?
Le modèle de paniers diversifiés (légumes, viandes, etc.) que nous avons expérimenté pendant plus de 15 ans est prometteur et stimulant. Il crée des liens et de la solidarité entre les producteurs, il permet le partage de réalités, d’idées et de ressources. La Mauve a eu des difficultés qui lui sont propres, mais j’encourage tous ceux qui sont intéressés par un tel modèle de mise en marché collective à s’embarquer. Ça peut être créé dans n’importe quelle région!
Cela dit, un élément d’explication qu’il est possible d’identifier, c’est que nous avons senti, dans les dernières années, poindre une «compétition» avec différentes autres initiatives de paniers de denrées «personnalisables» à la demande. Sans parler de la facilité qu’offrent, en continu, les grandes surfaces. On a cru que pour garder nos clients, il fallait réduire les contraintes. Ainsi, on s’est mis à permettre les annulations de paniers, à offrir des abonnements au mois plutôt qu’à la saison et à accepter les échanges de produits… jusqu’à ce que ça devienne pratiquement du magasinage en ligne. Il nous a fallu investir pour développer une plate-forme informatique et assumer les ressources humaines pour gérer les commandes personnalisées. Par conséquent, les producteurs de la coopérative ont eu de plus en plus de difficulté à planifier leur saison de production pour répondre à la demande devenue imprévisible.
«On a constaté que plus on offrait de flexibilité, plus l’engagement de la clientèle s’effritait. L’engagement, c’est pourtant au cœur du concept d’agriculture soutenue par la communauté.»
Dominique Legendre
Qu’est-ce que les initiatives de mise en marché collective et d’agriculture soutenue par la communauté peuvent retirer de votre expérience? Et les mangeurs?
Qu’il faut sensibiliser sans relâche à l’importance de transformer certaines habitudes de «consommateur-roi» en ouverture au compromis, à la souplesse et à suivre le rythme des saisons. Les agriculteurs locaux ne peuvent pas faire apparaître les poivrons et les aubergines en juin. On doit tous, agriculteurs ET mangeurs, jongler avec notre nordicité, les conditions que nous envoient Dame Nature, s’y adapter. Supporter l’agriculture locale pour vrai, ce n’est pas juste acheter local de temps à autre quand ça adonne, c’est faire preuve d’engagement et de flexibilité. C’est refiler son panier à une amie ou un collègue quand on s’absente plutôt que l’annuler. C’est transformer son désir de «tout en tout temps» en adaptation à ce que les agriculteurs de proximité ont prévu dans leurs champs. Peut-être qu’on n’aurait pas dû essayer d’offrir autant de la flexibilité, et travailler plutôt à valoriser le rôle des mangeurs qui font preuve de souplesse et d’engagement. Après tout, l’agriculture soutenue par la communauté porte bien son nom: elle doit être soutenue par les mangeurs!
En pleine crise de la COVID-19, on ne peut faire autrement que de faire un lien avec l’importance d’une agriculture de proximité plus vivante et forte que jamais.
Cette crise nous fait effectivement prendre conscience de l’importance de l’autonomie alimentaire. Il y a ici, chez nous, tant d’agriculteurs qui cultivent, élèvent, produisent et qui souhaitent nourrir leur communauté. En ces temps de distanciation physique, plutôt que de s’entasser dans les grandes surfaces pour faire provisions d’aliments importés ou industrialisés, achetons directement des fermiers et artisans de notre secteur qui ont les chambres froides et les congélateurs plein pour vous vendre des légumes de conservation, des viandes surgelées, des œufs fermiers, des fromages locaux, des pains artisanaux de farine locale, des petits pots de fruits d’ici et j’en passe. C’est aussi la saison des abonnements aux paniers bio: une occasion en or de faire preuve de solidarité avec les fermiers.