Les nouveaux maîtres chocolatiers du Québec
Publié le
08 février 2021
Alors que de plus en plus de chocolatiers et pâtissiers du Québec rayonnent au-delà de nos frontières, une poignée d’artisans travaillent à l’émergence de chocolats conçus ici, de la fève à la tablette. Petit portrait de l’univers du bean to bar québécois.
Texte de Sophie Ginoux
Ah, le chocolat… fondant, moelleux, parfumé, acidulé, amer. Il se décline en tant d’arômes et de textures qu’il constitue l’un des produits les plus appréciés au monde. Et les philosophies qui le guident sont aussi variées que les goûts des consommateurs.
À l’intérieur de cette jungle d’étiquettes et de visions, un mouvement grandit depuis une quinzaine d’années: le bean to bar, que l’on traduit en français par «de la fève à la tablette». Mené par des passionnés du chocolat à la traçabilité et à la qualité irréprochables, il gagne chaque année des adeptes et inspire des vocations. Au Québec, une dizaine de petits producteurs de chocolat ont ainsi vu le jour depuis quelques années. Un nombre qui peut paraître ridicule comparé aux milliers de chocolatiers, pâtissiers et boulangers de la province, mais qui ne les empêche pas de faire leur marque dans un secteur d’activité encore dominé par quelques grand joueurs internationaux.
Hasard et coïncidences
Comment devient-on producteur de chocolat bean to bar? Eh bien, les chemins qui mènent à ce métier sont multiples et, plus souvent qu’autrement, sinueux. Daniel Haran (Chocolats Monarque) était à l’origine un programmeur comptable totalement addict aux grands crus de chocolat. Christine Blais (Palette de Bine) travaillait comme architecte dans le milieu de la construction. Et Dany Marquis (Chaleur B Chocolat), déjà torréfacteur de café, a songé à se lancer en découvrant par hasard lors d’un voyage dans une plantation du Pérou en 2007 que les cosses de cacao, malgré leur valeur, servaient simplement d’engrais aux caféiers faute de potentiels acheteurs.
Même si leurs bagages sont différents, la majeure partie des producteurs québécois de chocolat ont donc commencé à s’intéresser au bean to bar par la bande. «Je voulais faire quelque chose de créatif, en utilisant mes mains. Cela aurait pu être de l’ébénisterie ou de la poterie. Mais ça a finalement été du chocolat», confesse Christine Blais, dont les produits gagnent depuis ses débuts des prix internationaux.
Ces artisans ont aussi tous en commun une curiosité naturelle plus poussée que la moyenne – Christine Blais s’est tout de même rendue jusqu’à Portland pour aller à la rencontre de producteurs de chocolat dont elle avait simplement vu le site Web – et des débuts à très petite échelle, à savoir sur le comptoir de leur cuisine. Il faut dire qu’avant 2014, le mouvement bean to bar était encore très marginal. «Je pensais me lancer dès 2008, mais il était presque impossible à l’époque de s’équiper adéquatement», raconte Dany Marquis, qui dispose aujourd’hui d’installations à Carleton-sur-Mer qui feraient baver d’envie beaucoup de petits artisans.
«Être un producteur de bean to bar, c’est être un passeur d’arômes»
Produire du chocolat bean to bar comporte son lot continuel d’essais et d’erreurs. Mais il s’agit d’un processus mécanique d’une quinzaine d’étapes qui ne s’improvise pas, puisque chacune d’entre elles peut avoir un impact sur le produit final. Dany Marquis l’a appris à la dure. Il était habitué avec le café à torréfier une seule fois et à faire preuve de sens artistique pour les mélanges. Mais avec la confection de chocolat, c’est bien différent. «Être un producteur de bean to bar, c’est être un passeur d’arômes, estime-t-il. Il faut prendre à la base les meilleures fèves de cacao possibles pour les amener à une très fine granulométrie sans trahir le profil aromatique typique du terroir d’où elles proviennent.»
Ce matériau constitue donc le cœur du chocolat bean to bar, qui ne s’associe parallèlement qu’à des ingrédients de grande qualité: fruits déshydratés locaux, beurre de cacao, sirops de canne à sucre ou d’érable biologiques, pas d’additifs chimiques ou de lécithine de soya. Il ne faut auquel cas pas s’étonner que certains producteurs de chocolats, comme Daniel Haran, entretiennent un rapport très étroit, voire maniaque avec leur matière première. Ce dernier consacre en effet en moyenne une semaine pour réaliser le tri des fèves de cacao (qu’il vérifie une par une), la torréfaction, le concassage/vannage, le raffinage, le conchage et le moulage du chocolat. Et l’artisan ne produit au final que 30 à 35 kilos de chocolat hebdomadairement.
Christine Blais, quant à elle, parvient dans son atelier situé à Tremblant à en produire en moyenne une centaine. Toutefois, comme son collègue, elle est intraitable en matière de qualité. «On m’a offert à plusieurs reprises de passer à un autre niveau de production. Mais j’ai toujours refusé, car il est primordial pour moi d’avoir les mains dans les fèves et de m’assurer que mon éthique soit respectée du début à la fin. Si je considère qu’un chocolat n’est pas à la hauteur, il ne sera pas vendu, point final.» Que les adeptes de chocolat se rassurent néanmoins. Ces tests moins convaincants sont transformés en brownies que s’arrachent les clients.
Chocolats d’origine
De l’aveu de tous les chocolatiers bean to bar, qu’ils évoluent au Québec ou ailleurs, l’origine des fèves de cacao et les conditions dans lesquelles elles sont produites sont cruciales. Ce sont souvent des destinations qui font rêver: Guatemala, Tanzanie, Haïti, Madagascar, Trinidad, Fidji… Chacune d’entre elles a un profil aromatique spécifique, que le travail des petits producteurs sur leur plantation affine encore. Et certains d’entre eux, notamment au Pérou, riche de variétés de grains ancestrales, œuvrent si bien qu’associés à des producteurs de chocolat talentueux, ils remportent régulièrement les honneurs aux concours internationaux. Un vrai voyage gustatif à chaque bouchée.
Par contre, il ne faut pas se leurrer, le plus gros de la production mondiale de fèves de cacao est encore le monopole de quelques sociétés dont l’éthique, même lorsqu’elle est affichée sur les produits qu’elles vendent, n’est pas maximale. Christine Blais se révolte d’ailleurs contre les principes de cette grande industrie, qui a tendance à faire signer des contrats de 30 ans à des tarifs dérisoires à des producteurs qui n’ont pas les moyens de les refuser. Ou pire encore, lorsque ces mêmes grandes bannières profitent de systèmes politiques particuliers pour s’emparer des productions, comme en Colombie où les terres appartiennent à la communauté et non aux individus.
Démocratiser les grands chocolats
Le marché du bean to bar a toutefois réussi à s’implanter un peu partout en apportant une philosophie plus transparente et plus humaine à ce secteur d’activités. Dans la boutique spécialisée État de choc, qui a pignon sur rue à Montréal depuis 2018 et est considérée comme une référence canadienne en matière de bean to bar, on peut déguster des chocolats de grande qualité produits sur place, au Québec ou dans le monde entier. Présentés comme dans une bijouterie, ces crus magnifiques s’affichent dans des écrins originaux et colorés, une donne selon la propriétaire Maud Gaudreau aussi importante que leur qualité gustative et leur traçabilité. «Notre clientèle est constituée d’amateurs, bien sûr, mais aussi de plus en plus de curieux qui veulent mieux connaître l’univers du chocolat ou tout simplement en offrir. Il faut donc que le design de produits de cette qualité – une plaque de chocolat bean to bar se détaille souvent de 10 à 12 dollars – soit étudié pour attirer ces découvreurs.»
La boutique est d’ailleurs très populaire pour ses coffrets «Tour du Québec» et «Découvertes du monde», que l’on peut commander à l’unité ou auxquels on peut carrément s’abonner. On y dégote de belles trouvailles produites ici, comme ceux de nos intervenants, mais aussi ceux d’Avanaa, Barbon ou Qantu, tous trois situés à Montréal. État de choc affiche aussi souvent complet, malgré la pandémie, pour ses cours théoriques et ses ateliers de dégustation ou de pratique. «J’entrevois un bel avenir pour le bean to bar, notamment au Québec, convient la propriétaire. Ce n’est pas un milieu facile, mais nos producteurs locaux de chocolat s’attirent des éloges jusqu’en France et en Grande-Bretagne.»
«Il est possible et même souhaitable, alors que nous parlons de plus en plus d’autonomie alimentaire, d’environnement et de croissance économique locale, que ce soient nos chocolats que l’on privilégie.»
Dany Marquis
Un constat avec lequel nos artisans sont relativement d’accord, avec toutefois des nuances. Christine Blais est évidemment ravie de l’engouement que le public a pour ses chocolats, mais s’inquiète de voir circuler sur le marché des produits de qualité inégale qui peuvent décourager les consommateurs d’acheter du bean to bar, surtout dans un contexte économique volatile, pandémie oblige. Daniel Haran, pour sa part, aimerait que Monarque s’implante davantage en produisant plus, mais comme beaucoup d’entrepreneurs, il se confronte à un problème financier de taille, puisque les équipements professionnels coûtent une petite fortune.
Leur confrère Dany Marquis, par contre, n’a pas lésiné en matière d’installations. Pragmatique, il veut réellement que le bean to bar québécois concurrence les grandes compagnies de ce monde auprès du public, mais surtout auprès des professionnels qui travaillent le chocolat. «Je crois que pour réellement encourager les petites plantations, il faut leur assurer un volume de commandes. Et qu’il est possible et même souhaitable, alors que nous parlons de plus en plus d’autonomie alimentaire, d’environnement et de croissance économique locale, que ce soient nos chocolats, et non ceux des grands joueurs européens, que l’on privilégie à la source.» L’entrepreneur a donc commencé à miser davantage sur des produits nichés destinés aux chocolatiers, pâtissiers, boulangers, glaceurs et cafetiers québécois, qu’il fournit en pastilles ou en copeaux de chocolats. Il élabore même pour certains d’entre eux des recettes exclusives et leur procure un beurre de cacao de qualité qu’ils devraient normalement commander à l’étranger. Bref, depuis la Gaspésie, il contribue avec son équipe à favoriser l’essor d’une nouvelle industrie… une pastille ou une tablette de chocolat à la fois.
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