C’est comme si on avait été aspiré∙e par le besoin de posséder sans nous en rendre compte. Mettant alors certains postes de dépenses plus au centre de nos vies, en fonction de nos moyens, et de nos envies.
Alors oui, cette fameuse botte de carotte est plus «chère» d’un point de vue marchand que celle du supermarché d’à côté. Mais laissez-moi vous raconter pourquoi moi je la trouve «au prix juste».
Il y a celle à deux dollars, achetée au supermarché d’à côté, peut-être même déjà emballée sans les fanes, ces choses longues et vertes, qui lui ont permis de capter de l’azote et de la faire grossir, mais dont personne ne veut. Elle est à 2 dollars sûrement parce qu’elle a été vendue en quantités permettant des économies d’échelle, produite dans un pays où la main-d’œuvre est payée à un salaire de misère, et où le sol produit vite sous l’effet d’engrais chimiques plus ou moins légaux. Elle a été produite, pensée, marketée, vendue, et achetée comme un stylo. On ne sait ni qui l’a semée, entretenue, récoltée, ni même si ce sont des humains. Ni où est la terre, peut-être de l’autre côté du globe, peut-être même hors-sol. Sauf qu’à la différence du stylo, c’est du vivant. Mais sa valeur nutritionnelle a disparu. Tant qu’elle est d’une couleur orange standard, de taille standard, elle entre dans le cadre, et elle n’a pas le droit à l’erreur, sinon elle ira à la poubelle. Après tout, elle n’a coûté que 2 dollars. Mais il est vrai que le prix de ces carottes correspond à certains budgets. C’est une réalité irréfutable, et qu’il faut considérer.
Puis, il y a la botte à quatre dollars. Celle vendue par les mêmes mains qui les ont semées, irriguées, transplantées, entretenues, récoltées, mises en bottes, lavées, conditionnées, chargées, et disposées sur l’étal de manière jolie et élégante. En nous criant qu’elles sont chères, on invisibilise d’une certaine manière notre travail, on ne le reconnaît pas. Il en est de même de nombreux métiers, cela va sans dire, mais je ne peux me positionner que sur celui que je connais le mieux.
En nous disant cela, on sous-entend que notre labeur n’a pas d’autre valeur que celui de l’offre et de la demande. Souvent, on ne se rend pas compte que dans cet échange, le vrai luxe c’est de mettre un visage, et d’échanger avec les personnes qui ont produit ce qui va nous alimenter, de connaître ceux et celles qui te nourrissent, toi, mais aussi ta famille, et tes ami∙e∙s. Les gens qui te proposent des produits avec du goût, des nutriments, des vitamines, à qui tu peux faire confiance. Des légumes qui ne nous rendront pas malades dans quelques années, à l’inverse des OGM et des pesticides qui tuent autant la planète que les humains. Car elle est aussi là, la valeur de notre travail. La valeur écologique. L’hectare que nous cultivons, c’est un hectare de biodiversité préservée. Un hectare sans pesticides, où coexistent des dizaines de famille d’oiseaux, d’arbres fruitiers, des dizaines de variétés de légumes, des centaines d’insectes, vers, pollinisateurs, fleurs, plantes sauvages. Un équilibre quotidien qui se fait refuge de la faune et de la flore. Notre travail dans le respect de l’écosystème c’est permettre à celui-ci de perdurer, de conjuguer la biodiversité au futur.
Alors, quel est le prix juste de tout ça?
Mais derrière cette reconnaissance, qu’est-ce que ces quatre dollars nous permettent véritablement de faire? Simple. Rentrer dans nos frais. Nous payer au salaire minimum, réinvestir – mais pas tous les ans –, acheter des semences, mettre du gaz dans le camion pour aller au marché, acheter du compost, des outils, les sacs de conditionnements, payer l’électricité, la certification bio, etc.