La faim au coin de la rue - Caribou

La faim au coin de la rue

Publié le

08 décembre 2022

Insécurité alimentaire
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Combien de fois avez-vous bondi en réglant la facture à l’épicerie, ces derniers mois? Entre les pénuries de produits, l’explosion des prix et les vagues de réduflation – la réduction subtile des portions pour un prix stable ou même supérieur – rares sont les consommateurs qui n’ont pas dû ajuster le contenu de leur panier pour éviter de tomber dans le rouge. 

Texte de Laura Shine

Mais pour les Québécois en situation de précarité financière, les répercussions sont bien plus graves. Dans plusieurs cas, on parle carrément d’insécurité alimentaire – l’incapacité ou la difficulté à se procurer une quantité suffisante d’aliments nutritifs, sains, et culturellement acceptables. Plus précisément, l’Observatoire québécois des inégalités la définit comme étant «l’accès inadéquat ou incertain aux aliments principalement en raison d'un manque de ressources financières». 

L’insécurité alimentaire a des conséquences graves: les carences nutritionnelles peuvent entraîner des problèmes de santé comme le diabète, l’hypertension et certains cancers, en plus du stress chronique engendré par la peur du manque. Chez les enfants qui ne mangent pas à leur faim, on note rapidement des problèmes de concentration, d’hyperactivité, de comportement ou encore des troubles anxieux.

Dans La faim justifie les moyens, son rapport publié en septembre 2022, l’Observatoire des inégalités rappelle que plus d’un million de nos concitoyens souffrent d’insécurité alimentaire. Pour 700 000 d’entre eux, il s’agit même d’insécurité modérée ou grave, où non seulement la qualité des aliments est compromise, mais aussi la quantité: manques récurrents, repas sautés, carences nutritionnelles, et ainsi de suite.

Une crise qui s’aggrave 

Ce portrait n’étonne en rien le directeur général de Moisson Outaouais, Armand Kayolo.

«La situation est difficile. Ce qu’on voit en ce moment, c’est une grande augmentation de la demande à travers nos cinquante organismes membres. La nouvelle norme, c’est que les gens mangent moins pour pouvoir régler leurs factures. Il y a des familles qui coupent un repas. Il y a des gens qui mangent une seule fois par jour.» 

Armand Kayolo

*

Chaque matin de la semaine, les quatre camions de l’organisme récupèrent des denrées qui sont ensuite triées, comptabilisées, entreposées et redistribuées au sein d’un réseau d’organismes de première ligne répartis dans toute la région. Un programme de dépannage alimentaire est aussi disponible. Comme c’est le cas des 19 autres Moissons réparties à travers la Belle Province – et des 13 autres partenaires de Banques alimentaires Québec - l’organisme épaule un vaste réseau de banques alimentaires, de soupes populaires, de services d’hébergement ou encore de maisons de la famille. L’an dernier, Moisson Outaouais à elle seule a redistribué 1 400 000 kg de nourriture – une valeur marchande d’environ 12 millions de dollars. 

Mais c’est loin de suffire. Depuis le début de la pandémie, les demandes d’aide alimentaire ont bondi de plus de 65% chez les organismes affiliés de la région. Chaque mois, la cinquantaine de partenaires aide à nourrir près de 20 000 personnes. Face à la flambée des prix, la crise du logement et les difficultés d’approvisionnement, les besoins ne cessent de croître. 

«Ce qui est impressionnant, c’est que nos organismes s’adaptent. Là où on donnait trois pains, on donne maintenant deux pains. Il y a un manque de denrées, et on ne peut pas en acheter parce que les prix sont trop élevés», précise Armand Kayolo. «Nous, en tant que Moisson, nous devons aussi ajuster notre approche de gestion des stocks, parce qu’il y a une pénurie de certains ingrédients, comme la viande. Alors on doit penser à des alternatives.»

Depuis quelques mois, les organismes mettent à l’essai neuf menus végétariens à base de légumineuses ou de substituts comme les protéines végétales texturisées (PVT), une préparation à base de soya déshydratée riche en protéines dont la texture s’apparente à celle de la viande hachée. Des stagiaires du CÉGEP de l’Outaouais ont contribué au développement des recettes. 

«On ne veut convaincre personne de devenir végétarien, absolument pas. Mais on veut proposer des alternatives, des suggestions qui coûtent moins cher que la viande. Les sondages ont donné des résultats positifs: les organismes et les gens qui en ont reçu dans des paniers de dépannage étaient généralement satisfaits, les menus étaient appréciés.»

Car l’adaptation aux circonstances difficiles est de mise pour ces organisme qui accomplissent des miracles avec bien peu de moyens. Seuls 7% des revenus de Moisson Outaouais proviennent de subventions gouvernementales récurrentes. Pour le reste, l’organisme compte sur les dons de particuliers ou d’entreprises et sur le soutien municipal et régional. À cause du contexte difficile, l’organisme prévoit un gouffre déficitaire de plus d’un demi-million de dollars cette année. Des programmes et des projets ont été mis sur la glace, faute de moyens. 

Malgré tout, Armand Kayolo reste optimiste – et reconnaissant. «Je dis d’abord merci – merci à tous ceux qui aident, qui donnent, aux bénévoles, aux organismes, aux employés qui ne gagnent pas des millions mais carburent à la bonne volonté. Souvent, ceux qui aident sont eux-mêmes dans la pauvreté; nous savons très bien que ça brûle de partout. Mais quand ça brûle chez les voisins, les premiers pompiers, c’est vous et moi, c’est monsieur et madame tout le monde – ce sont tous ceux qui peuvent donner, même juste un peu.» 

Pour ceux qui souhaitent contribuer à éteindre des feux, les dons en argent sont privilégiés. Ils permettent de combler les manques, notamment en denrées périssables – souvent les premiers produits qui disparaissent lorsque le budget se resserre. 

«Ce n’est pas tellement la quantité qui compte, c’est surtout le geste, conclut le directeur général. C’est pour ça qu’on mise vraiment sur la sensibilisation de la communauté. On compte sur la mobilisation. Les gens sont généreux, on les remercie du fond du cœur.» 

Pour donner ou recevoir, partout au Québec, c'est ici.


Ce texte tiré de notre numéro 13 COMMUNAUTÉ pourrait aussi vous intéresser: Une journée à Moisson Montréal

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