Le grincement de dents de Mathieu Roy: quand la difficulté à recruter met la saison en péril - Caribou

Le grincement de dents de Mathieu Roy: quand la difficulté à recruter met la saison en péril

Publié le

04 avril 2023

Texte de

Julie Aubé

Pour la première fois depuis la création de sa ferme La Récolte de la rouge, à Brébeuf dans les Laurentides en 2016, Mathieu Roy n'a reçu aucune réponse à la suite de l'offre d'emploi qu'il a publiée en janvier. Aujourd'hui, le maraîcher est heureusement parvenu à constituer son équipe pour la saison. Mais cet hiver, la difficulté à recruter l'a mis dans une situation à la fois précaire et inconfortable qui lui faisait grincer des dents, amplifiée par des commentaires concernant le salaire offert. On lui tend le micro.
Pour la première fois depuis la création de sa ferme La Récolte de la rouge, à Brébeuf dans les Laurentides en 2016, Mathieu Roy n'a reçu aucune réponse à la suite de l'offre d'emploi qu'il a publiée en janvier. Aujourd'hui, le maraîcher est heureusement parvenu à constituer son équipe pour la saison. Mais cet hiver, la difficulté à recruter l'a mis dans une situation à la fois précaire et inconfortable qui lui faisait grincer des dents, amplifiée par des commentaires concernant le salaire offert. On lui tend le micro.
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Quels étaient ces commentaires qui s’ajoutaient à la difficulté de recruter?

Quand j’ai exprimé, sur les réseaux sociaux, ma difficulté à recruter cette année, certaines personnes ont commenté qu’il y aurait peut-être des candidats si le salaire était meilleur. C’est dur à recevoir, car ce n’est évidemment pas l’envie qui manque d’offrir des salaires plus compétitifs! Dans la situation actuelle, je ne peux pas augmenter le prix de mes fruits et légumes autant qu’il le faudrait pour dégager de meilleures marges, qui sont actuellement minimes. On est déjà dans une situation d’inflation où le prix des aliments est souvent pointé du doigt. On se trouve donc coincés entre la pression d’augmenter les salaires et le manque d’acceptabilité face à l’augmentation du prix de ce qu’on vend. En d’autres mots, on est pauvres, et on vend des fruits et légumes à des gens (souvent plus aisés que nous!) qui risquent d’aller voir ailleurs si nos prix augmentent trop. C’est important d’en parler car je suis loin d’être pas un cas isolé: je connais des fermes qui diminuent le nombre de paniers offerts faute de main d’œuvre, d’autres qui ont cessé leurs activités… ça fait peur! Il y a cinq ans, je n’avais pas ces enjeux-là, que la pénurie de logement ne fait qu’amplifier.

Mathieu vit sous le seuil de la pauvreté depuis maintenant 8 ans, tout en étant propriétaire d'une entreprise qui génère un revenu agricole de 220 000$.

De quelle manière la pénurie de logement impacte-t-elle tes défis de recrutement?

C’est une épine de plus car une personne qui veut travailler à ma ferme doit se loger dans le secteur… mais il n’y a pas de logement! Si je pouvais louer une maison abordable au village, sans doute que je le ferais, mais il n’y en a pas de disponibles. Certains fermiers construisent des logements sur leur terre, mais c’est un endettement considérable. Actuellement, la seule solution, c’est une roulotte sur la terre. Cette situation limite les candidatures.

Comment envisages-tu la suite? T’y prendras-tu de manière différente l’an prochain?

Je suis chanceux que les choses aient débloqué cette année, grâce à un mouvement de solidarité: suite à mon cri du cœur, les gens ont tellement partagé l’offre l’emploi qu’elle est devenue virale! C’est sûr que je vais changer certaines choses l’an prochain, en commençant par publier mon offre d’emploi encore plus tôt, probablement en décembre. Par ailleurs, je vais mettre de l’avant tous les avantages non pécuniers à travailler sur une petite ferme à échelle humaine! C’est vrai que les salaires sont modestes, mais c’est intéressant de regarder tout ce qu’il y a autour, en commençant par un rythme de vie sain: on bouge, on respire de l’air pur, on mange bien. Je donne beaucoup de produits de la ferme, j’ai calculé que ça correspond à 2$ de plus de l’heure sur toute la saison. Sans compter la bière du mardi chaque semaine! C’est sain, sensé et valorisant de faire de l’agriculture. C’est une des meilleures job sur la planète!

Est-ce qu’il pourrait y avoir plus de programmes adaptés à nos défis en lien avec la pénurie de main-d’œuvre et de logements?

Sans doute: l’agriculture devrait être prioritaire puisque manger, c’est un besoin de base, trois fois par jour.

Et comme consommateur, est-ce qu’on se tourne vers des produits importés dès qu’ils sont quelques sous de moins?

Si on veut avoir accès, chez nous, à des aliments de qualité, frais, savoureux, meilleurs pour nous comme pour toute une économie locale et pour la vitalité de l’agriculture écologique sur notre territoire, on peut se dire que quelques sous de plus permet aux fermiers d’être moins précaires et, au final, de pouvoir envisager offrir des salaires qui s’approchent de ceux qu’on aimerait tous voir sur les offres d’emplois.

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