On sait qu’une forme de pourboire existait dès le 15e siècle en Angleterre: les seigneurs offraient un petit bonus à leurs servantes et servants pour montrer leur appréciation d’un travail bien fait. Cet argent était nommé vails. L’étymologie de ce mot est double. D’abord, il trouve son origine dans le verbe latin valeo, qui veut dire «valoir», comme dans «le travail des serviteurs “vaut” un petit extra». Ensuite, vails vient également du vieux français «avaler», qui signifiait à l’époque «abaisser, humilier». Le vails a donc deux pôles en tension. D’une part, il y a la réclamation d’être rémunéré à sa juste valeur. D’autre part, il y a l’acceptation de son infériorité.
En français, la première trace du mot «pourboire» se trouve dans L’école des femmes (1662) de Molière: «Cependant par avance, Alain, voici pour boire.» On peut retrouver des désignations antérieures telles que «vin du valet, vin du messager, vin du clerc, le gracieux vin, le vin courtois». Toutes ces expressions désignent une même action, celle d’offrir à boire à des individus inférieurs en rang. Cette monnaie se serait répandue dès le 16e siècle en Europe et en Asie. La composition française du mot «pourboire» est similaire dans les autres langues eurasiennes. Propina en espagnol vient du latin propinare qui signifie «offrir à boire» tandis que Trinkgeld en allemand signifie «argent pour boire»; en polonais, napiwek se traduit par «pour la bière»; nachai en russe veut dire «pour le thé»; de même, cumshaw en mandarin est l’équivalent de «l’argent du thé».
Dans la seconde moitié du 17e siècle, un autre type de pourboire se développe en Angleterre. Dans les cafés des aristocrates londoniens, un pot métallique est déposé sur le comptoir. Les clients pressés peuvent y jeter une pièce de monnaie: le bruit du choc des métaux saisit immédiatement l’attention du garçon de café, qui comprend alors que la personne ayant lancé une pièce a payé un supplément afin que sa commande passe avant celle des autres. On raconte que l’inscription «To insure promptness» (TIP), que l’on pourrait traduire par «pour assurer la rapidité», aurait été apposée sur ces pots à pourboire. Toutefois, il semble qu’il s’agirait d’un mythe étymologique. Tip viendrait plutôt du latin stips, c’est-à-dire «cadeau» ou encore de tip me, une expression dans le langage courant anglais, aujourd’hui désuète, qui signifie tout simplement «donne-moi».
Les Britanniques traversant l’Atlantique pour se rendre en Amérique apportent avec eux cette coutume. Les distances étant plus grandes et les voyages plus longs qu’en Europe, le pourboire se répand dans les commerces du voyage: trains, hôtels, auberges et restaurants. Pourtant, le pourboire y est longtemps mal vu: il est considéré comme antidémocratique et un-American puisque servant à obtenir un traitement différencié. Cependant, dans la seconde moitié du 19e siècle, les dirigeants du secteur de l’hôtellerie, de la restauration et du voyage défendent ce système. Il leur fournit un prétexte pour rémunérer faiblement, voire nullement, les personnes qu’elle emploie, majoritairement des Afro-Américains récemment émancipés du système esclavagiste.
Avec l’avènement d’une classe moyenne blanche, capable de voyager et de fréquenter les restaurants, le pourboire cesse d’être le seul fait de la haute bourgeoisie et s’installe progressivement dans les mœurs dominantes.