Christina Blais professeure un jour… professeure toujours
Publié le
08 avril 2021
Texte de
Hélène Raymond
À mon invitation, Christina relate des souvenirs, du genre de ceux dont on mesure l’importance une fois que les années permettent de prendre du recul. Une grand-mère maternelle née en Italie, exilée à Kirkland Lake en Ontario, avec son mari qui travaille dans les mines. Une table qui rassemble. Une femme vaillante qui se transforme en pizzaiola au décès de son conjoint, puisqu’il faut de l’argent pour continuer. Ses comptoirs sont garnis de mozzarella, de parmesan, de salami. Un oncle de Christina se charge des livraisons. Elle se rappelle l’interdiction de sa «nonna» quand, petite, elle voulait plonger la main dans le bol de parmesan râpé: «CACA CHEESE! me disait-elle pour me décourager! J’ai compris plus tard que c’était beaucoup trop cher pour m’autoriser à en manger.» Mais les odeurs s’impriment, comme le geste.
Du côté paternel: des racines irlandaises percolent, par sa grand-mère. Elle goûte une autre cuisine et le coeur d’un autre monde. Il bat, celui-là, grâce à une tante, excellente cuisinière, qui s’installe auprès de son frère au décès de sa femme. Comme plusieurs fillettes de sa génération, elle reçoit un Easy Bake et met à l’épreuve son microfour. Puis, elle teste non pas une, mais toutes les recettes d’un livre consacré au Jell-O, avant de se lancer dans les gâteaux. Alors qu’elle est malade, sa mère la surprend à «faire l’école» à ses poupées et lui dit doucement: «Tu ferais un bon professeur!» Plusieurs années plus tard, les mots aliments et cuisine, dans le prospectus du programme de nutrition de l’Université de Montréal vont la convaincre de s’y inscrire. Elle y imprimera sa marque.
De son séjour à l’Université de la Californie à Davis, où elle complète une maîtrise au lendemain du baccalauréat, elle retient les hasards qui la mènent à se spécialiser en analyse sensorielle des aliments. Autre fait marquant: la lecture de l’ouvrage de Harold McGee, On Food and Cooking, un modèle en matière de vulgarisation des connaissances scientifiques sur les aliments. À son retour à Montréal, on recherche un professeur, là où elle a étudié. Elle est embauchée: «J’ai eu à donner le premier cours, de la première année de formation. Dès la première semaine, je leur disais d’emblée: pour faire ce travail, il faut aimer les aliments, les toucher, les humer, aller au restaurant, fréquenter les marchés, connaître ce que mangent les immigrants! Si vous n’avez pas cette passion, comment allez-vous aider quelqu’un qui doit adapter ses repas aux contraintes imposées par sa condition de santé?» Elle les invite à prendre une distance sur ce que l’industrie alimentaire leur a inculqué, conçoit des laboratoires pratiques, convaincue que cuisiner pour soi ne peut qu’avoir un effet positif.
Sa présence auprès de Ricardo pendant 17 saisons permet de diffuser ses connaissances: «J’explique les phénomènes parce qu’une fois que tu as compris, tu ne fais plus la même erreur.»
Depuis un an, ses textes et capsules diffusés sur En cuisine avec Christina Blais, la ramènent au bonheur d’enseigner. Je me rappelle l’avoir découverte en avril 2020 et avoir testé et recommandé sa méthode de planification. Des vidéos simples détaillent les étapes, le langage est précis, jamais réducteur. Les commentaires fusent: «Grâce à vous, j’ai réalisé mes premiers pains au levain», «C’est une réussite!», «Trop beau, on n’ose pas couper!» Elle remercie et répond à mesure aux questions: «Ça prend du temps, mais c’est moins accaparant que l’enseignement universitaire!» ajoute-t-elle. Le plaisir est manifeste.
À l’heure où l’autonomie alimentaire revient dans les discours, je crois que cette quête déborde largement du cadre agricole et de la transformation bioalimentaire et qu’à ce chapitre, nous devons nous rappeler que nous sommes beaucoup plus que des consommateurs. En poursuivant sa mission d’enseignement, Christina Blais travaille à faire de nous des mangeurs mieux éclairés et compétents.