François-Régis Gaudry: toujours en appétit
Publié le
18 novembre 2024
Texte de
Geneviève Vézina-Montplaisir
En France, François-Régis Gaudry est une personnalité bien connue. Son émission de radio On va déguster, diffusée depuis 2010 sur les ondes France Inter est écoutée par des millions de personnes. Il cumule près de 450 000 abonnés sur Instagram, il a écrit plusieurs livres et a publié des centaines de recettes sur YouTube. Caribou a pu le rencontrer en 2023 lors de l’enregistrement de son émission de radio. Avouant être tombé amoureux de la scène gastronomique, il est revenu dans la métropole en 2024 avec toute sa bande pour enregistrer un épisode de l’émission de télévision Très Très bon, diffusée sur Paris Première. À cette occasion, je m’étais attablée avec lui au restaurant Le Petit Alep. C’est maintenant à son tour de se mettre à table!
— D’où vous vient cette passion pour la nourriture?
Ça vient de ma famille. J’ai hérité d’un grand patrimoine culinaire. Je suis issu d’une famille où on aime beaucoup, beaucoup manger, et ce, des deux côtés.
Du côté de ma mère, c’est ma famille corse, avec la tradition méditerranéenne de préparer des repas de famille autour de grandes tables. La cuisine corse emprunte beaucoup à la cuisine provençale et italienne. Il y a tout un patrimoine autour des pâtes, des grands produits méditerranéens comme l’ail, l’huile d’olive, les tomates, les aubergines, les artichauts, les herbes fraîches, etc. C’est une cuisine qui est tout en goûts et en couleurs, à laquelle je suis très attaché.
Mon père, lui, m’a inculqué le goût des grands restaurants. Quand j’étais jeune, on voyageait avec le Guide Michelin dans la boîte à gants de la voiture. C’est comme ça que j’ai découvert les restaurants gastronomiques. Il faut aussi dire que j’ai grandi à Lyon. J’ai eu la chance, dès l’adolescence, de m’attabler à des tables comme celle de Paul Bocuse, des frères Troisgros, à Roanne, et d’Alain Chapel au nord de Lyon. Lyon m’a «civilisé» les papilles en quelque sorte.
Avec ma mère, j’ai vraiment appris la cuisine familiale, l’idée de bien se nourrir, de façon équilibrée, avec de bons produits. Avec mon père, j’ai découvert le spectacle du grand restaurant à la française.
— Qu’est-ce qui vous a donné le goût d’en faire un métier?
Honnêtement, je n’avais aucun plan de carrière en gastronomie. J’ai caressé à un moment l’idée d’être cuisinier lorsque j’étais au collège, mais mes parents étaient un peu effrayés par cette idée. En France, on a beaucoup de respect pour les grands chefs, mais choisir la cuisine comme plan de carrière, c’est souvent perçu comme un échec. J’ai abandonné assez vite l’idée parce que je n’étais pas trop mauvais à l’école. Je suis parti à l’âge de 19 ans étudier à Paris pour faire sciences politiques. Je m’intéressais beaucoup à la politique, à la culture, à l’actualité, je voulais être journaliste.
Après mes études, j’ai commencé à travailler dans un hebdomadaire assez réputé en France, L’Express. J’étais journaliste généraliste, et peu à peu, sans m’en rendre compte, je me suis spécialisé vers la cuisine. Très souvent, les sujets que je proposais lors des conférences de rédaction tournaient autour de l’alimentation, de la gastronomie, des chefs. Peu à peu, j’ai fait de la gastronomie une de mes spécialités.
— Quand êtes-vous devenu critique gastronomique?
En 2006. Lorsque Jean-Luc Petitrenaud – celui qui avait occupé cette rubrique pendant 10 ans – a quitté L’Express, on m’a proposé de le remplacer parce qu’on savait que j’avais une passion pour les restaurants. Et là, ç’a vraiment été une plongée dans le grand bain de la critique gastronomique. Ça m’a offert une grande visibilité, car à cette époque L’Express vendait encore des centaines de milliers d’exemplaires dans les kiosques et par abonnement.
Tout a découlé à partir de cette rubrique restaurant, qui était très lue. La direction de France Inter, la radio publique française, m’a contacté, et en 2010 j’ai commencé à animer mon émission de radio On va déguster le dimanche, à 11h. Et l’émission de télé Très Très Bon a commencé la même année. J’ai mené en parallèle les deux émissions qui ont été un peu les deux jambes sur lesquelles j’ai appris à marcher. Je continuais à être à L’Express et j’avais un pied à la fois en presse écrite, en télé, en radio. Je commençais à faire un blogue, donc j’avais également un pied sur le numérique et c’est un peu comme ça que j’ai bâti une espèce d’écosystème. Finalement, on peut dire que j ‘ai eu beaucoup de chance!
— Qu’est-ce qui vous passionne encore après presque 20 ans à évoluer dans ce domaine?
Ce qui me sauve de l’ennui, c’est que je reste encore super curieux de tout, et que cette curiosité me pousse à voyager et à toujours découvrir de nouvelles choses.
Pour moi, c’est une formidable source de dépaysement et de rencontres.
Il y a encore tellement de destinations que je ne connais pas! Je n’ai jamais encore mis les pieds en Turquie, un pays qui a pourtant une cuisine folle. Ce qui me sauve de l’ennui, c’est de me rendre compte que plus je découvre des choses, plus il m’en reste à découvrir.
Un premier livre de recettes
«J'ai sorti mon premier livre de recettes aux éditions Marabout. Il compile toutes les recettes que j'aime, à la fois celle de ma famille corse, mais également plein de recettes que j'ai découvertes en voyageant, et dans les restaurants gastronomiques où je me suis attablé au cours des années. C'est un recueil de plus de 150 recettes!»— Vous êtres venu à Montréal la première fois en 2012. Qu’est-ce qui vous avait plu à l’époque?
La première fois que j’ai fait un voyage au Québec, j’étais très curieux. Il y a une forte curiosité des Français à l’égard des Québécois parce qu’on se ressemble sur certains aspects, et en même temps, on est très différents. Il y a une culture québécoise assez forte en France notamment à travers le cinéma, la chanson, la littérature. J’ai grandi avec une mère prof d’histoire et de géo et un père amoureux du français. Mes parents me disaient: «Vous vous rendez compte, il y a ce pays lointain de l’autre côté de l’Atlantique où on parle français, vous devez vous rendre compte de ça, c’est précieux». Puis, le «Vive le Québec libre!» du général de Gaulle est un moment historique qui est dans notre imaginaire collectif.
Je dois dire que je suis arrivé au Québec avec une forme d’arrogance française. La France n’a plus le monopole de l’excellence gastronomique, mais j’arrivais avec mes idées reçues sur le fait que les Québécois étaient des mangeurs de caribou et de bleuets, et qu’ils avaient une cuisine assez sucrée, nappée de sirop d ‘érable.
La première fois que je suis venu au Québec, je me souviens d’avoir dégusté une cuisine rustique que j’avais beaucoup appréciée, avec des choses que je n’avais jamais goûtées et qui m’avaient intriguées, comme du gibier. Mais parfois, je trouvais dans certains restaurants gastronomiques une influence française et italienne un peu caricaturale.
— Et qu’est-ce qui a changé en 2023 et en 2024 quand vous êtes revenu?
J’ai vraiment ressenti un truc intéressant 12 ans plus tard: l’émergence d’une scène culinaire fière et propre.
J’ai été impressionné par l’utilisation de produits comme le sumac, qui est a priori une épice levantine, qui pousse au Québec, et qui est intégrée dans certains répertoires gastronomiques.
Et puis, j’ai aussi été impressionné par la curiosité, l’ouverture d’esprit des Québécois et le fait que vous êtes aussi une terre d’accueil formidable avec un multiculturalisme, et un cosmopolitisme culinaire que je trouve passionnant. C’est au Québec que j’ai fait mes meilleures expériences de cuisine thaïlandaise.
Je trouve en fait que le Québec et Montréal sont des destinations particulièrement vivifiantes et rafraîchissantes sur le plan humain, culturel et culinaire. Ce sont autant de motifs qui me donnent envie de revenir régulièrement et surtout, de découvrir le Québec à toutes les saisons. Parce que vous êtes dans un pays où les saisons sont très marquées. Par exemple, je fantasme sur la fonte de la neige et l’ouverture des cabanes à sucre que je n’ai jamais vécue. Ce que j’aime aussi au Québec, c’est que vous avez un truc qui est précieux pour nous et qu’on n’a pas vraiment en France: ce sentiment de liberté et cette relation aux grands espaces.
— Quel est votre vision de la cuisine de demain?
J’ai envie de dire qu’au 21e siècle, la gastronomie mondiale sera durable ou ne sera pas. C’est-à-dire que la gastronomie n’aura pas d’autre choix que de tenir compte des impératifs écologiques avec des changements climatiques qui vont totalement changer les règles du jeu. Des méthodes agricoles différentes et des produits agricoles adaptés nous attendent. Les changements climatiques vont éliminer certaines variétés de fruits et de légumes, et vont en faire apparaître d’autres. Par exemple, l’avocat, qui est un produit qui fut longtemps considéré comme très lointain et importé depuis le Venezuela ou le Mexique, s’est implanté depuis une dizaine d’années dans le sud de la France. En Corse, je mange tous les hivers des avocats locaux absolument délicieux.
D’ailleurs, je crois que la plus jeune génération de chefs l’a déjà compris en privilégiant les circuits courts, le terroir extrêmement local.
Je crois aussi que la cuisine de demain va être fortement influencée par la contrainte. Cette dernière peut être, paradoxalement, un formidable moteur de liberté et de créativité. C’est souvent dans la contrainte, en restreignant le champ des possibles en termes de choix d’ingrédients, que l’on se force à exploiter, interpréter, utiliser au maximum ces produits. Et c’est souvent dans la contrainte qu’on se dépasse et qu’on arrive à faire des choses innovantes et créatives.
Je pense que la gastronomie de demain est une grande page blanche que les chefs les plus engagés doivent écrire. Elle sera aussi faite d’échanges, car maintenant, avec les réseaux sociaux, on a l’occasion d’en savoir plus sur des cuisines que l’on ne connaissait pas autrefois. Donc, la cuisine de demain sera aussi une cuisine avec des influences du monde entier, mais avec des produits de plus en plus restreints et locaux.
Un nouveau balado
«J’ai développé un podcast qui est une espèce de hors-série de On va déguster, qui s’appelle Ceux qui nous nourrissent. C’est du reportage, je suis sur le terrain et je rencontre des hommes et des femmes qui excellent dans leur métier de bouche, mais dans le respect du vivant. Il y a des vignerons, des pâtissières, des chefs, des cuisinières, entre autres avec lesquels j’ai passé au minimum 24 heures, parfois même 2 jours, et qui me font découvrir leur écosystème.»
Carnet d’adresses: coups de cœur montréalais
«J’adore le Mastard, j’adore le chef [Simon Mathys] J’y suis allé trois fois. J’aime son interprétation des produits locaux et j’aime son approche autour du vin.»
«J’adore Mon Lapin pour la démarche autour des vins, avec notamment cette passion des vins du Jura, qui s’adapte très bien à cette cuisine que je trouve à la fois ludique, créative, particulièrement gourmande. J’aime beaucoup l’ambiance!»
«Ce n’est pas très original de dire ça, mais le premier truc que je fais quand je reviens à Montréal c’est d’aller manger un bagel sur Saint-Viateur. J’adore le spectacle du feu de bois. Et puis, tu peux garnir ton bagel et le manger dans la rue. Le street food n’est pas très présent en France.»
«J’ai adoré Tousignant pour la poutine. Quand on est venu la dernière fois, mes filles m’ont demandé d’y retourner plusieurs fois.»
«J’ai trouvé leurs sandwichs délicieux.»
«J’ai goûté dans cette microbrasserie des IPA et des cuvées vraiment magnifiques.»
«J’ai eu un coup de cœur pour cette boutique du Marché Jean-Talon où tu as le plus beau choix de sirop d’érable. J’y ai goûté aussi d’excellents fromages québécois.»
«C’est de la vrai cuisine thaï, vraiment bien faite. Et de surcroît, tu sais ce qu’il y a dans ton verre. Quand tu veux manger thaï à Paris, tu peux manger correctement, mais par contre, tu bois de la bière industrielle. Ce qui nous a plu aussi dans cette cantine, c’est de boire du vin naturel avec une cuisine thaï authentique.»