365 jours d’autonomie alimentaire aux Îles-de-la-Madeleine: l’heure est au bilan
Publié le
08 janvier 2025
Texte de
Virginie Landry
«Je m’attendais à ce que ça intéresse des gens, mais jamais autant que ça», confie-t-il d’emblée. Sa démarche, fondée sur une profonde quête identitaire du terroir local, lui aura permis d’apprendre de nouvelles techniques pour enrichir ses envies d’autonomie alimentaire, de tisser des liens avec des producteurs insulaires et, ultimement, de revoir ses priorités dans la vie. Voilà qu’il en valait la peine de se priver de café, de sucre et de bananes pendant un an!
— Quel a été ton premier repas à la fin de ton aventure?
J’aurais pu faire une transition douce… mais ç’a été une poutine au porc effiloché avec un extra bacon! C’était la meilleure de toute ma vie! Cette poutine me permettait de passer à autre chose en plus de contredire les gens qui me prêtaient de trop grandes intentions locavores.
— Étais-tu soulagé que ce soit fini?
Mon soulagement n’a pas été instantané. D’ailleurs, je ressens encore beaucoup de culpabilité de me remettre à manger de tout, alors que je me suis privé pendant un an! Mon rapport avec la bouffe a tellement changé, certaines habitudes d’autrefois ne sont pas encore revenues… et je ne sais pas si elles reviendront. C’est contradictoire: j’avais si hâte de réintroduire les produits céréaliers dans mon alimentation, mais finalement, je ne sais plus si j’en veux, sachant tout le sucre qu’ils contiennent.
J’en parle beaucoup avec ma blonde, de cette grande prise de conscience et de comment on pourra s’adapter, en tant que famille, à la suite des choses. Certes, au départ, mon défi était une quête identitaire, mais l’aspect santé et nutritionnel a pris tellement de place.
— Que retiens-tu le plus de cette expérience?
Que c’est une affaire de communauté, l’autonomie alimentaire. Je veux continuer à avoir ce mode de vie là, mais je ne pense pas que c’est réaliste de le faire seul. Ni aux Îles-de-la-Madeleine ni sur le continent.
Par chance, je ne me suis pas restreint qu’à mes légumes, ma basse-cour ou ce que je pêchais. J’ai pu avoir l’aide de maraîchers, de pêcheurs, etc. J’ai été reconnaissant de ce monde-là et je les ai mis de l’avant dans mes publications. Les gens ont été solidaires avec moi: plusieurs ont partagé le fruit de leurs récoltes avec moi et j’ai pu bénéficier de viandes (lapin, phoque, volailles), de fruits (baies, rhubarbe), de légumes (maïs, pleurotes), de palourdes… J’ai eu beaucoup de ressources, je me sais chanceux.
— Quel a été le plus grand défi?
Si j’ai passé de très beaux moments avec des gens, fait des rencontres inespérées et eu des échanges intéressants, mon aventure m’a aussi beaucoup isolé des autres au quotidien. Je ne pouvais pas prendre un café avec ma blonde. On faisait des épiceries différentes. Mes amis ne m’invitaient plus à bruncher ou à prendre une bière, c’était trop difficile de s’arrimer. Je me suis rendu compte à quel point la bouffe est au centre de nos interactions sociales.
— Qu’est-ce qui a été plus facile que prévu?
Composer avec la redondance de mes plats! Je ne me suis pas vraiment tanné de ce que je mangeais, sauf dans le dernier mois. Là, j’avais hâte de me faire une toast ou de manger une pizza. Je veux me remettre à en consommer, mais plus consciemment, et le faire moi-même le plus possible.
— De quoi les gens t’ont le plus parlé à propos de ton projet, qu’est-ce qui les intriguait le plus?
Le côté financier revenait beaucoup. On m’a demandé combien ça m’a coûté, si j’ai économisé de l’argent. Quel a été le temps investi versus les économies monétaires. La vérité, c’est que je n’ai pas vraiment calculé. Si c’était à refaire, j’aurais une équipe qui s’occuperait de tout ça.
J’ajouterais que si je n’avais pas été travailleur autonome, cette autonomie alimentaire n’aurait pas été possible. Je pouvais me permettre de partir à la pêche lorsque c’était le bon moment et de travailler sur mes projets professionnels plus tard dans la journée.
— Tout au long de ton défi, tu alimentais ta page Instagram de photos et de récits, permettant à tes lecteurs de découvrir ce que tu faisais et surtout, ce que tu mangeais. Quelle a été la place des réseaux sociaux dans ton projet?
Instagram a été mon journal de bord. Ça m’a pris beaucoup de temps et je me suis mis beaucoup de pression à faire trois publications par semaine. Je passais des heures à planifier des contenus et à essayer que ce soit intéressant, mais j’étais dépassé par l’effort que cela demandait. Je l’ai fait parce que je croyais au côté éducatif de la chose, mais aussi pour mousser mes futurs projets qui seront reliés à ce défi.
— As-tu pu découvrir des traditions culinaires ou vivre des expériences authentiques pendant ton défi?
Côté cuisine, je me suis surtout rendu compte que beaucoup de recettes «typiques» comprenaient des ingrédients qui ne venaient pas du tout d’ici. Toutefois, j’ai appris plusieurs méthodes pour m’alimenter de façon autonome: je suis allé à la chasse au phoque, à la pêche aux homards et aux coques. J’ai mis en place une cave à légumes, j’ai appris à faire du yogourt, du beurre, de l’hydromel. J’ai travaillé le vivant, mon territoire, pour en faire un produit qui allait me nourrir et je ne compte pas arrêter ça!
— Recommanderais-tu aux autres de relever le défi?
Non. (rires) J’ai eu l’aide de bien du monde et je me suis rendu compte que ça devenait plus grand que moi. Je sais que les gens ont hâte à la suite, ils veulent avoir accès à mes réflexions. On m’a souvent dit qu’ils aimeraient avoir un plan de match, ou une recette, pour introduire plus de produits locaux et d’autonomie alimentaire dans leur quotidien. Ça, c’est possible.
— Tu avais mentionné être suivi auprès d’un médecin pour t’assurer que tu ne manquerais de rien tout au long du défi. Comment cela s’est passé? As-tu remarqué un changement au niveau de ta santé?
En effet, je voyais un médecin tous les trois mois et mes résultats étaient vraiment beaux: cholestérol, glycémie, etc. Il ne me reste qu’une prise de sang à faire, un mois après la fin du défi. Tout s’est amélioré, sans exception. D’ailleurs, ça m’a beaucoup fait réfléchir: est-ce que j’étais en train de me nuire en mangeant comme je le faisais avant? Je me rends maintenant compte à quel point il y a du sucre dans tout.
— Quand pourrons-nous voir le résultat final de tout ce que tu as documenté dans la dernière année?
Je dois tout d’abord compléter les tournages. Je vais capturer mon retour à la réalité. Ensuite, c’est le montage, mais ça va me prendre du financement! Je travaille aussi sur deux livres, un sous la forme de récit et un autre plus photographique/culinaire.
Je suis conscient que c’est un projet qui va m’habiter encore longtemps et qui, très certainement, va m’offrir tout plein d’opportunités dans le futur.