Le chaga, ou l’or des forêts
Publié le
28 février 2025
Texte de
Martin-Pierre Tremblay
Photos de
Martin-Pierre Tremblay

«As-tu déjà vu ça?»
J’ai pris le téléphone et agrandi l’image. L’excroissance sur l’arbre ressemblait à un morceau de bois brûlé.
«Oui, mais c’est pas commun.»
«Es-tu capable d’en trouver?», m’a demandé le colosse qui se tenait devant moi, avec un air de défi.
Il avait entendu parler d’un champignon qui pouvait nettoyer la glande pinéale, logée au cœur du cerveau, aidant du coup à réguler le cycle veille-sommeil.
Ne manquait qu’un crinqué pour aller le chercher.
C’était il y a 12 ans, presque jour pour jour. Je me suis mis à fouiller le sujet, lire des articles, des études et des rapports. Mais rapidement, j’ai compris que je devais «prendre le bois». Que ça se passerait in situ.
J’ai donc arpenté tout le secteur à l’est de Sept-Îles. Levé la tête, plissé les yeux dans le soleil, inspecté les bouleaux jaunes comme les blancs. Pendant des semaines. Février et mars de cette année-là.
En vain.

Puis une fin d’après-midi, je suis tombé sur deux grosses cornes noires qui jaillissaient littéralement d’un bouleau dans le coin de la rivière Manitou, aux portes de la Minganie.
Le démon, toi!
Je n’avais pas ma hache, alors j’ai enlevé une raquette pour tenter d’en casser un bout… Jubilation! Tel qu’on me l’avait décrit, l’intérieur des fragments était strié de filons jaunes, qui pouvaient faire penser à de l’or.
Je suis revenu le soir même avec ma lampe frontale et ma hache pour prélever les deux cornes. Puis, j’ai texté une photo à l’ami du début, avec cette définition.
«Inonotus obliquus. Communément appelé chaga.»
Le polypore oblique, son nom générique, fait partie de la médecine traditionnelle en Asie, en Russie et en Scandinavie.
On l’utilise en infusion ou en extraction à l’alcool, notamment pour ses capacités à renforcer le système immunitaire et pour ses vertus antioxydantes, anticancéreuses et anti-inflammatoires. Il s’est également frayé un chemin dans l’alimentation, puis dans la cosmétique.
Mais de quoi s’agit-il?
D’un parasite du bouleau, essentiellement. Parce que le chaga s’attaque exclusivement aux bouleaux. Il s’installe dans les blessures, à la jonction des branches. C’est une carie. Un sclérote, pour utiliser le terme exact.
Selon la professeure Lynne Boddy et la biologiste Ali Ashby, le chaga «pousse sur les arbres vivants et produit une masse à l’apparence de charbon brûlé qui jaillit de l’écorce».
On peut aussi se livrer à de lents travellings de chemins forestiers (comme on pêche à la traîne en chaloupe). Avec des jumelles de bon calibre, pour observer et fouiller la forêt proche.
Quand je tombe sur un spécimen, au-delà de la joie initiale, il me faut établir s’il est possible de le récolter. Un sclérote situé à cinquante pieds de haut sur l’arbre demande une stratégie concertée et des talents de grimpeur. On doit souvent passer son tour.
S’il est atteignable à hauteur d’homme, je prélève le chaga à la hache. Une bonne entaille, puis avec l’effet de levier, je détache la masse noire en prenant soin de laisser au moins deux centimètres de mycélium. Pourquoi? Parce que le chaga va repousser dans les prochaines années. Garanti. J’ai récolté sur le même arbre plusieurs fois!
Au retour, après avoir bien disposé et nettoyé mon butin, je fais sécher les fragments pendant une quinzaine de jours sur des cartons, dans une pièce obscure.
Le sclérotium, la partie noire à la surface du chaga, est coriace. On pourrait la comparer à un polymère particulièrement résistant. Je taille les morceaux avec un ciseau à bois et un marteau, dans une boîte de carton rigide. Gare aux éclats!
Je conserve les morceaux dans des pots Mason, à l’abri de la lumière. Une fois entreposée, la récolte peut être consommée pendant deux ans.
On dit que trouver un spécimen d’Inonotus obliquus est une occurrence rare, qui touche statistiquement un bouleau sur plusieurs milliers.
Chose certaine, c’est un thrill chaque fois de le repérer, même s’il est parfois impossible de le prélever sur le champ. Pour cette raison, j’ai plusieurs excroissances déjà localisées qui m’attendent à l’intérieur des terres. Et combien d’hectares à découvrir encore, jamais investigués?
«Patience et longueur de temps», écrivait La Fontaine
J’y retourne au printemps.
Quelle recette pour une infusion?
La plus simple. Je dépose quatre ou cinq morceaux dans un litre d’eau portée à ébullition, puis je baisse le feu. Les pépites qui frémissent dans la casserole vont suer toute la journée, tant qu’il y aura de l’eau. Pour favoriser l’absorption, on peut réduire les morceaux en poudre avec un moulin à café. Cette technique est particulièrement efficace quand on veut emporter un Thermos d’infusion avec soi, en randonnée. Deux cuillerées à thé dans un demi-litre d’eau feront amplement l’affaire.Plus de contenu pour vous nourrir
