La belle histoire du maïs
Publié le
24 août 2024
Texte de
Julie Francœur
Des sols riches en calcaire, un microclimat lié à la proximité du fleuve, des conditions propices aux primeurs: le long de la route 138, dans la petite municipalité de Neuville, sept producteurs se partagent un peu plus d’une centaine d’hectares sur lesquels ils cultivent un maïs dont la réputation n’est plus à faire.
Médé Langlois est l’un d’eux. Sa famille y produit du maïs depuis plus de 350 ans. À l’époque, on le consommait sous forme de farine ou de semoule, et non comme légume. La région, qui était déjà reconnue pour la qualité particulière de son maïs, était considérée comme le grenier de la colonie. Depuis, onze générations se sont succédé à la ferme. Aujourd’hui, ce sont les frères Médé et Daniel qui font tourner l’entreprise familiale, avec leurs conjointes (Emelie et Nina), leur père (Fernand), leur mère (Murielle), leur sœur (Nathalie) et leur tante (Danielle).
«On a commencé à vendre du maïs sucré sur le bord de la route dans les années 1950, raconte l’agriculteur. La conserverie du village avait fermé, et plusieurs producteurs s’étaient retrouvés avec des surplus de maïs destiné à être consommé sous forme de légume. Ma grand-tante a alors eu l’idée d’installer une petite table au bord du chemin.»
Au cours des décennies suivantes, la pratique se répand, et la réputation du maïs frais de Neuville se développe au-delà des frontières de la municipalité. «Déjà, à l’époque, il y avait tellement de trafic à la ferme! C’était le bordel au magasin», se remémore Médé Langlois en souriant.
Des semis à la vente directe
Selon Médé Langlois, la réputation de ce maïs d’exception vient du terroir. «On fait pousser les mêmes variétés que partout ailleurs au Québec, mais, comme pour les raisins, c’est le terroir qui fait la différence.» Une différence que l’indication géographique protégée (IGP) «Maïs sucré de Neuville» — la seule de la province pour un maïs — est venue appuyer en 2017.
L’IGP est aussi associée à un savoir-faire unique: les épis sont cueillis tous les jours avant qu’ils ne mûrissent trop, sous le même principe que les petits légumes primeurs qu’on récolte très tôt en saison pour conserver leur croquant. À la ferme Langlois et Fils, le maïs déclassé, légèrement pâteux, sert à nourrir les vaches laitières, dont le fumier est utilisé pour fertiliser naturellement les champs. L’utilisation de trichogrammes — des prédateurs naturels qui s’attaquent aux œufs de la pyrale du maïs — permet de réduire au minimum l’usage d’insecticides.
Pour avoir un maïs jeune de la mi-juillet à la fin octobre, les producteurs sèment différentes variétés (hâtives, mi-saison, tardives) chaque semaine dès avril. «Ici, le climat du fleuve permet aux producteurs de commencer la saison un peu plus tôt et de la terminer un peu plus tard qu’ailleurs dans la région.»
Il existerait même plusieurs microclimats à l’intérieur de la zone de production. «Certains producteurs ont la chance d’avoir dans leur sol de petits galets qui emprisonnent la chaleur le jour et la libèrent la nuit. Ça leur permet de sortir le maïs quatre ou cinq jours avant tout le monde. Mais là, on parle vraiment de toutes petites parcelles», précise-t-il.
Crédit photo: Jean-François Michaud
Au-delà de Neuville
L’importance du maïs sucré dans la culture québécoise dépasse bien sûr les frontières de ce petit territoire. Selon l’Association des producteurs maraîchers du Québec, à l’échelle de la province, ce sont plus de 600 entreprises qui cultivent du maïs destiné à être consommé sous forme de légume frais ou transformé. La région où on compte le plus de producteurs est la Montérégie, suivie de loin par Chaudière-Appalaches et la région de la Capitale-Nationale.
Certains associent la tradition de l’épluchette à la colonisation — comme le voulait la coutume, un épi rouge était caché à travers les autres et la personne qui tombait dessus embrassait l’individu de son choix. D’autres, comme Médé, situent plutôt son origine du côté des Premières Nations. On raconte que ces dernières se rassemblaient à l’automne afin d’effeuiller le maïs destiné à la farine et de le mettre à sécher en vue de l’hiver.
Quant à savoir si cette tradition est typique de chez nous, Médé Langlois hésite: «En Amérique du Nord, je ne crois pas que les Québécois soient les seuls à faire ça, mais, chose certaine, les touristes européens qui viennent chez nous ne connaissent pas les épluchettes.»
«Il y a tellement de manières de manger le maïs, ajoute-t-il. Moi, j’aime bien l’éplucher et le faire cuire dans l’eau. Je mets les épis dans l’eau froide et, dès que l’eau se met à bouillir, je compte de sept à huit minutes, pas plus. J’ajoute ensuite beaucoup de beurre pour encourager les producteurs laitiers!»