La croisée des chemins pour le vignoble Les Bacchantes - Caribou

La croisée des chemins pour le vignoble Les Bacchantes

Publié le

25 juin 2024

Texte de

Sébastien Daoust

Photos de

DAPH & NICO

Le vignoble en est à son 12e printemps. Aucun printemps ne se ressemble, si ce n’est qu’ils représentent un défi unique à chaque année. En 2013, la pluie avait duré jusqu’à la mi-juin, ce qui nous empêchait de planter nos premières vignes. En 2016, nous avions de la difficulté à embaucher des gens pour aider dans les vignes. En 2019, le gouvernement fédéral imposait un nouveau système biométrique qui a retardé nombre d’arrivées de travailleurs du Mexique. Cette année? Pour le mois d’avril, beaucoup de pluie, de nouvelles règles pour l’arrivée des travailleurs du Mexique, puis de la chaleur. Pas de gel printanier par contre. La saison 2024 débute en grand!
Sébastien Daoust vigneron
Le vignoble en est à son 12e printemps. Aucun printemps ne se ressemble, si ce n’est qu’ils représentent un défi unique à chaque année. En 2013, la pluie avait duré jusqu’à la mi-juin, ce qui nous empêchait de planter nos premières vignes. En 2016, nous avions de la difficulté à embaucher des gens pour aider dans les vignes. En 2019, le gouvernement fédéral imposait un nouveau système biométrique qui a retardé nombre d’arrivées de travailleurs du Mexique. Cette année? Pour le mois d’avril, beaucoup de pluie, de nouvelles règles pour l’arrivée des travailleurs du Mexique, puis de la chaleur. Pas de gel printanier par contre. La saison 2024 débute en grand!
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L’arrivée de nos collègues du Mexique a été la partie certainement la plus compliquée. Bien des vignerons et des agriculteurs en ont perdu le sommeil, et se sont même rendus physiquement malades par le stress. Si ça n’avait pas été des médias qui nous ont épaulé dans ce défi, je pense que nos compatriotes mexicains seraient toujours pris à Mexico, à attendre leurs permis de travail.

J’ai eu la chance d’en discuter avec certains journalistes, du Journal de Montréal notamment, et avec l’équipe du 15-18 de Radio-Canada. Tous m’introduisaient de la même façon, «le vigneron Sébastien Daoust…»

J’apprécie énormément qu’on parle de moi comme vigneron, mais il va falloir que je commence à accepter le fait suivant: je ne suis plus un vigneron.

Quand on regarde la définition d’un vigneron, c’est une personne qui travaille dans la totalité du processus de fabrication d’un vin. Un vigneron est à la vigne, est dans les cuves, et va aussi commercialiser ses vins. Au Québec, c’est aussi une personne qui gère la paperasse, bien sûr. Bien que je comprenne, à haut niveau, ce qui se passe dans mes vignes et dans mes cuves, je n’y touche plus vraiment. Dans mon cas, je suis sur la route, je suis dans les papiers par-dessus la tête. Mais j’ai des collègues beaucoup plus habiles que moi aux champs et au chai.

La réalité est que je suis un entrepreneur, mais je ne suis plus vraiment un vigneron.

Certains m’accuseront d’un dogmatisme terminologique, que dans le vernaculaire québécois, vigneron peut vouloir dire bien des choses. Mais je ne me détache pas de cette idée que, comme bien des choses dans ma vie, j’ai appris énormément à faire ce travail, et que maintenant, je m’attarde à autres choses. Et ce «autre chose» n’est pas encore 100% clair dans ma tête, que ce soit au vignoble ou au-delà. Être sur la route pour parler des vins des Bacchantes, je m’y plais. J’aime aussi en apprendre sur mes clients – les distributeurs de mes vins. Je suis curieux d’en apprendre plus sur eux, sur leur réalité d’entrepreneur. Et je veux aussi en apprendre sur mes autres collègues (réellement) vignerons. Je ne passe pas tant mon temps à leur parler de cépages et de lutte phytosanitaire, mais plutôt de la façon qu’ils ont de vivre leur vie d’entrepreneur. J’ai l’impression, très personnelle, qu’il y un gros malaise entrepreneurial au Québec. Particulièrement en agriculture. Certains m’accuseront de mettre une pointe de politique dans tout ça. J’assume pleinement.

Est-ce que ça veut dire que mon vignoble n’a plus de vigneron? Pas du tout. Voilà quelques semaines, la sommelière Véronique Rivest nous a fait le cadeau de parler de notre vin R1 dans La Presse. Elle disait ceci:

Établi depuis 2013 à Hemmingford, dans le sud de la Montérégie, le domaine Les Bacchantes s’est discrètement hissé parmi les meilleurs au Québec. Sans tambour ni trompette, mais avec beaucoup d’observation, de réflexion et de gros bon sens, l’équipe y produit des vins droits, authentiques et honnêtes, tout à fait à l’image de leur terroir.

C’est ma mère qui m’a envoyé par SMS cet article. J’étais très fier de ce qui était dit. Je ne pensais pas qu’une si grande sommelière et chroniqueuse dirait ça de mon vignoble un jour. Nous sommes beaucoup plus loin que je ne l’aurais jamais imaginé. Et je pense que mon père serait content.

Mon côté cartésien, cependant, doit aussi y voir des corrélations, si ce n’est pas tout simplement des causalités.

«Mais je n’ai pas grand-chose à y voir», que je me dis. Pour le millésime 2021, sujet de la critique de Mme Rivest, c’est Geneviève (photo) et Thomas qui ont réalisé ça. Et aujourd’hui, si on continue de faire parler de nous, c’est grâce au travail de Geneviève et Loïc. Ce sont eux, les vignerons. Ce n’est plus moi. Et je pense que tous les vignerons le sentent un peu, depuis quelques années, mon vignoble est beaucoup plus le travail rigoureux de Geneviève que le mien.

Mon choix de lui avoir « passé la puck » l’automne dernier comme vigneronne ne demande plus vraiment d’explication. Le résultat parle de lui-même. Je suis maintenant le propriétaire du vignoble. Mais plus le vigneron. J’ai une équipe solide et autonome. Et je leur dis merci de relever ce défi.

Vous lisez «Le Journal d’un vigneron». Est-ce que cette incroyable tribune que m’offre Caribou devrait changer de nom? Peut-être.

Je vous soumets l’idée. Même si je ne suis plus vraiment un vigneron, je reste entouré d’une bonne centaine de collègues qui, eux, remplissent pleinement cette définition. Et j’aimerais vous les faire connaître. Il y en a une dizaine qui vous sont certainement familiers, or il y en a une bonne centaine que nous gagnerions tous à connaître un peu mieux. Entre deux livraisons, je vous propose d’arrêter en rencontrer quelques-uns, et d’en apprendre plus sur leur histoire. Si l’actualité s’y prête, je continuerai tout de même à vous écrire sur la situation de notre industrie.

Pour moi, et le vignoble, c’est la croisée des chemins, encore une fois.

Pour ce qui est de ce blogue, pourquoi ne pas le faire passer de «Journal d’un vigneron» à «Journal des vignerons»?

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