La pomme de demain - Caribou

La pomme de demain

Publié le

23 septembre 2022

Texte de

Laura Shine

La saison des pommes, avec son cortège de tartes, de compotes et de cidres, tire à sa fin dans la Belle Province. Mais une étonnante histoire se cache derrière le fruit qui règne en maître dans les vergers québécois. 
La saison des pommes, avec son cortège de tartes, de compotes et de cidres, tire à sa fin dans la Belle Province. Mais une étonnante histoire se cache derrière le fruit qui règne en maître dans les vergers québécois. 
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L’un des plus anciens fruits cultivés par l’humain, la première pomme, trouve ses racines dans l’est de la Chine actuelle et dans l’Asie centrale. On trouve encore aujourd’hui des forêts de pommiers sauvages dans les plateaux montagneux du Kazakhstan. Les courants de migration humaine vers l’est transportent les premières pommes semi-cultivées dans le bassin méditerranéen – en Égypte, en Grèce et en Italie notamment. Dès le 8e siècle avant notre ère, le poète grec Hésiode rédige un traité sur les variétés de pommes et les techniques de greffe qui permettent de les perpétuer. Grâce aux avancées horticoles, on dénombre, quelques siècles plus tard, plusieurs dizaines de variétés distinctes, que les Romains transplantent en territoires conquis, notamment en Gaule.

Tout au long du Moyen Âge et de la Renaissance, la culture pomicole poursuit son expansion aux quatre coins de l’Europe. Au 18e siècle, les colons anglais et français importent aussi la plante dans le Nouveau-Monde, de la baie du Massachussetts aux rives du Saint-Laurent, même s’il existait sans doute déjà des variétés sauvages endémiques qui produisaient de petits fruits peu comestibles.

La pomme constitue aujourd’hui la plus importante culture d’arbres fruitiers au Canada. Le Québec est la troisième province productrice, après l’Ontario et la Colombie-Britannique. Plus de 450 producteurs québécois mettent en marché environ 110 000 tonnes de fruits rouges chaque année. Et c’est sans compter les dizaines de milliers d’arbres qui poussent au fond des jardins familiaux, à la campagne comme en ville.

Des variétés à découvrir

Abonnée de la boîte à lunch et des collations sur le pouce, abordable et disponible à longueur d’année, la pomme est pour plusieurs le fruit du quotidien.

Mais derrière la McIntosh et la Cortland qui garnissent les étals se cache une grande variété de pommes plus ou moins connues, du fruit féral à l’hybride qui résiste aux maladies, sans oublier la pomme Arctic, génétiquement modifiée pour éviter qu’elle ne brunisse. Seule la moitié des pommes vendues sur le marché québécois proviennent de la Belle Province, un chiffre en stagnation alors que l’intérêt des consommateurs se tourne vers des variétés étrangères. À l’automne 2022, les Producteurs de pommes du Québec tirent d’ailleurs la sonnette d’alarme et demandent un engagement clair du gouvernement pour soutenir la modernisation et l’expansion des vergers québécois afin de faire face à la concurrence internationale. Au programme: la plantation de variétés adaptées à notre climat, à haut rendement et facilitant l’adoption de pratiques plus écoresponsables.

Or, comme le rappelle Alexandre Simard, président de la région Outaouais-Laurentides au sein des Producteurs de pommes du Québec, la mise en marché de nouvelles variétés est un processus très complexe.

«Pour développer une nouvelle sorte de pomme, on compte au moins 20, 25, voire 30 ans.»
Alexandre Simard

«Les arbres qu’on plante aujourd’hui, on les envisage sur une échelle de dix ans. C’est difficile de prédire ce que les consommateurs vont vouloir dans dix ans, et de penser aux changements climatiques aussi.»

Car si les conditions de culture se transforment à grande vitesse, les préférences des croqueurs de pommes évoluent aussi. «Le palais des consommateurs change: on s’en va vers des pommes plus sucrées, plus croquantes, plutôt que les plus surettes comme les McIntosh, qui plaisaient davantage aux générations précédentes.»

Un travail de longue haleine

Alexandre Simard est aussi copropriétaire, avec sa conjointe Maude Richard, du Domaine du Petit St-Joseph, à St-Joseph-du-Lac. L’entreprise familiale propose, en plus des pommes, du cidre et des produits transformés. Pour diversifier leur production, ils plantent depuis quelques années des pommes locales développées par le collectif La Pomme de demain, comme la Belle d’août, la Lapoune ou la Passionata. Le regroupement, fondé en 1986, propose à sa soixantaine de membres – pomiculteurs, producteurs de cidres et chercheurs – des variétés adaptées au climat et aux exigences du marché québécois. Il cultive sur ses parcelles expérimentales des milliers de jeunes arbres pour sélectionner ceux aux caractéristiques les plus prometteuses.

Le développement de nouveaux cultivars est un processus qui demande patience et minutie. Chacun des cinq pépins d’une pomme engendre un arbre différent du parent: pommiers nains ou de grande taille, résistants ou non à certaines maladies, portant des fruits de différentes tailles et couleurs, à la chair sucrée ou pâteuse – un peu comme les enfants de mêmes parents portent à la fois des caractéristiques communes et uniques. Ce n’est qu’une fois les nouvelles variétés isolées qu’on peut procéder par greffage: pour assurer une reproduction exacte du pommier d’origine, on insère un bourgeon – le greffon – aux caractéristiques désirées dans l’entaille d’un autre pommier, le porte-greffe.

Ainsi, pour découvrir la Rosinette, une des deux pommes brevetées par La Pomme de demain, il a fallu cultiver plus de 1200 jeunes plants à partir de graines. Dans les meilleurs cas, explique Alexandre Simard, «ça prend cinq ans pour avoir des fruits, et un autre quatre ou cinq ans pour avoir une certaine stabilité dans le goût et atteindre la pleine production. Parfois, une pomme est très bonne la première année, puis elle devient ordinaire. Alors on l’arrache et on recommence. Chaque automne, il y a quelqu’un qui goûte beaucoup, beaucoup de pommes!»

De quoi remettre en perspective votre prochaine bouchée de Lobo ou Spartan.

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