La cuisine ce n’est pas pour tout le monde, la plupart des gens formés en institutions quittent l’industrie avant cinq ans dans le métier. Les salaires sont modestes pour les employés, le risque est énorme pour ceux qui entreprennent. La main-d’œuvre se fait rare pour des raisons évidentes. C’est plus souvent un passage qu’une destination.
À l’école, on nous apprend à porter fièrement l’uniforme et à utiliser les bons mots du langage d’Escoffier aux bons endroits.
On pratique des techniques que nous pourrions revoir en établissement, on survole quelques concepts de gestion et on nous relâche dans la nature.
Malgré un programme bien défini et une marche à suivre claire, le travail change selon les restaurants et l’humeur du chef, il faut être souple et faire confiance.
Une bonne brigade doit être disciplinée et connaître son rôle, c’est à ce moment que l’on apprend que la véritable force de caractère c’est de savoir fermer sa boîte et suivre le plan. Il faut laisser son égo au vestiaire.
La cuisine c’est une meute, on s’enrôle et on suit son chef jusqu’au jour où à son tour on prend le chapeau.
C’est par ce compagnonnage que ça se passe, nos «universités» ce sont les bonnes maisons d’ici et d’ailleurs où l’on accumule des heures pour devenir un artisan valable et artiste de temps en temps.
Ce n’est pas tout d’avoir un point de vue, la table est un médium et son chef doit bien jouer l’orchestre pour l’exprimer. L’ambition surpasse souvent les capacités de l’équipe, la pression est forte et la critique, assassine.
Un chef ressemble plus à un coach de sport d’élite qu’à un patron, il doit pousser très fort pour que l’équipe gagne, parfois ça casse pour que l’on passe.
Pour réussir, il faut aussi cultiver l’attention du public et bien diffuser nos idées par tous les moyens nécessaires.
Est-ce qu’on choisit de devenir musicien ou sculpteur en pensant devenir célèbre?
Nous savons tous qu’il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus parmis les étoiles, ça prend beaucoup de travail, de chance et de talent, il faut en être conscient!
Le chef de «party»
Aussi stimulants soient-ils, les restaurants sont un monde d’abondance et d’excès. Comme on dit dans le milieu, work hard, play hard.
J’ai passé l’ensemble de ma vie adulte dans une cuisine de restaurant, l’autre au bar avec mes amis. Fait à noter, c’était souvent les mêmes amis avec qui j’avais passé les 14 dernières heures pour essayer d’éteindre le feu ardent de l’adrénaline à grands coups de gin tonic.
Pour jouer au restaurant, il faut souvent vivre de nuit, c’est un décalage horaire de 6 heures donc, quand ton 5 à 7 est à 17h, le mien est à 23h. Ce n’est pas nécessairement le même phénomène pour les heures de sommeil…
Voici une journée type d’un chef de «party»:
9h : Réveil avec un Gatorade, un espresso et deux cigarettes, douche chaude pour défripper, awaye dans le char.
9h45 : Réanimer son sous-chef pour faire les courses et planifier la journée.
10h45 : Planification et mise en place, arrivée des autres éclopés, distribution massive de caféine et de Tylenol.
11h30 : Mise en place, nettoyage, anecdotes en boucle des exploits de la veille, gestion des fluides. Grignoter du beurre au pain de la veille et des retailles.
16h30 : Repas du personnel, souvent le seul vrai repas de la journée, digestion forcée.
17h : Début du service et du reconditionnement, l’adrénaline est un puissant nettoyant. Penser fort au party, c’est l’oasis quand tu traverses le désert, tu le vois au loin à la fin de ton shift.
23h : Fin de service, nettoyage et listes pour le lendemain, deux pintes de réchauffement.
00h : Arrivée au bar, peindre la ville en rouge.
3h15 : Manger une poutine pour absorber la boisson.
9h : Rince and repeat.
Après 20 ans, l’hygiène de vie en prend un coup, ma vie tournait autour de mes passions pour les restos et les grands vins, à grand volume et sans fin!
Aussi, à un moment donné, la soif s’est mise à apparaître de plus en plus tôt. Un chef propriétaire, ça a toutes sortes de bonnes raisons de picoler…
Des amis qui t’envoient un verre en cuisine au lunch jusqu’au shooter de grappa dans le café pour casser le lendemain de veille, je buvais à chaque jour pour tout et pour rien.