Le grincement de dents de Louise Gagnon: halte au gaspillage des citrouilles
Publié le
21 octobre 2019
Nutritionniste de formation, créatrice de recettes et photographe, Louise Gagnon est une ardente défenderesse de la citrouille. Auteure du livre Sous le charme des courges et citrouilles, paru aux Éditions de l’Homme, en 2012, et du site Ma citrouille bien-aimée où elle partage ses meilleures recettes, celle qu’on surnomme Madame Citrouille grince des dents chaque année en constatant la quantité de citrouilles mises à la poubelle après l’Halloween. Son souhait? Que les gens (re)découvrent le grand potentiel de ce légume-fruit d’ici, nourrissant, abordable, polyvalent et – avec un peu d’amour – délicieux!
Texte de Julie Aubé
Photo de Céline Malépart
Combien de citrouilles sont gaspillées bon an mal an au Québec?
Il existe peu de données propres à notre province, mais selon les résultats d’une étude américaine, repris par La semaine verte, 69% des citrouilles finiraient à la poubelle ou au compost. Parmi les quelques dizaines de milliers de tonnes de citrouilles vendues au Canada chaque année, on en savourerait donc une bien faible quantité! Ça me désole quand je pense que ce n’est pas juste la citrouille qu’on gaspille, mais aussi toutes les ressources utilisées pour la cultiver, la récolter et la transporter. Utiliser un aliment pour décorer, pourquoi pas! Mais si et seulement si il est consommé par la suite.
Pourquoi pensez-vous que tant de citrouilles sont jetées alors qu’on entend régulièrement des gens trouver que manger local coûte cher?
Décorer des citrouilles a peut-être un effet insidieux. Certains perdent de vue qu’il s’agit d’un aliment. Il y a sans doute aussi une notion d’habiletés culinaires. On a beau savoir qu’elle se mange, encore faut-il savoir quoi en faire et ne pas en être intimidé. Enfin, certains éprouvent peut-être un mépris à son égard, puisqu’elle est moins goûteuse que certaines autres courges. Ce n’est pas faux, mais on peut tirer profit de cette caractéristique notamment en la glissant incognito dans de nombreux plats. Et surtout, je reviendrais à l’idée de développer inspiration et habiletés culinaires autour de cette généreuse cucurbitacée pour trouver les meilleures façons de la cuisiner pour soi et sa famille.
«Ce n’est pas juste la citrouille qu’on gaspille, mais aussi toutes les ressources utilisées pour la cultiver, la récolter et la transporter.»
Louise Gagnon
D’ailleurs, ça me déçoit de voir tant de chefs cuisiner avec toutes sortes d’autres courges que la citrouille. Réels ambassadeurs, les chefs ont la possibilité de promouvoir et de mettre en valeur des produits. Ce serait extra s’ils nous régalaient plus souvent de citrouille. Avec sa saveur délicate, elle demande certainement un peu plus de savoir-faire ou de créativité pour la mettre à son meilleur, mais cette démonstration aurait le potentiel d’inspirer les gens à (re)valoriser cette citrouille trop souvent mal-aimée. Je lance donc l’invitation aux chefs à ne pas la bouder et à faire preuve d’audace pour nous montrer ce que la citrouille a dans le ventre!
Quels conseils donnes-tu à ceux qui souhaitent décorer leur citrouille d’Halloween en famille et ensuite la manger?
On peut la décorer de l’extérieur, par exemple en collant des formes pour créer des visages. Ainsi, notre citrouille sera toujours en bon état le lendemain de l’Halloween. Si on souhaite absolument percer notre citrouille, on le fait 24 à 48h avant la fête, et on la cuisine ensuite rapidement pour éviter d’en gaspiller la chair. On obtient donc un deux pour un: une jolie décoration ET une belle occasion de cuisiner en famille.
Que suggères-tu pour donner envie aux gens de mettre la citrouille au menu?
D’abord, leur rappeler que la citrouille est non seulement nourrissante, mais qu’elle bat des records de bas prix. Si on cuit une citrouille moyenne, on aura une bonne vingtaine de portions de légumes! Les prix seront d’ailleurs particulièrement concurrentiels à compter du 1er novembre.
La citrouille est aussi extrêmement polyvalente. On la cuisine autant en plats sucrés que salés, sans oublier d’en rôtir ses graines. On connaît les classiques (tarte, potage, confiture…), mais il y a tellement plus à faire! Comme piste d’accords de saveurs, pensons aux Trois Sœurs: si les coureurs des bois cultivaient déjà de la citrouille à leurs postes de traite, les Autochtones, eux, la cultivent depuis longtemps, en trio avec le haricot et le maïs. J’ai pu expérimenter que la complémentarité agricole de ces cultures se traduit en complémentarité gustative. Ajoutez de la citrouille à vos recettes de haricots ou de maïs: des cubes aux chilis, de la purée aux pommes de terre de votre pâté chinois, et pourquoi ne pas intégrer de la citrouille à votre polenta ou votre chaudrée de maïs? La purée de citrouille peut également remplacer des œufs ou une partie des matières grasses dans la majorité des recettes de muffins et gâteaux et leur donner plus de moelleux.
L’invitation à cuisiner vos citrouilles est lancée… et celles de vos voisins si elles se retrouvent intactes au bord du chemin au début novembre. Chaque année, en faisant ce glanage, je «rescape» des dizaines de citrouilles, un aliment aussi riche sur le plan historique et nutritif que formidable pour sa polyvalence et son potentiel culinaire.