— Pourquoi ne pas avoir publié d’autres livres de recettes?
Je n’ai plus eu le temps. Mon intérêt est allé vers d’autres choses. J’ai tout de même continué à ramasser des recettes dans un tout petit livre, toutes écrites à la main. Il y a beaucoup de raccourcis dedans, je n’explique pas des affaires… Je n’ai jamais rien fait avec ça, je ne sais pas ce que j’en ferai. Ce sont des recettes pour moi. D’ailleurs, il m’enrage mon petit livre! Je dois passer au travers pour trouver une recette!
— À votre avis, comment est-ce que la place des femmes – ainsi que celle des hommes! – en cuisine a-t-elle évolué depuis la parution de votre livre de recettes?
La dernière chose que mon mari [NDLR : Jean Lajeunesse, de qui elle a divorcé en 1981] m’a dite avant qu’on se sépare, c’est: «tu as oublié de me dire comment faire une omelette». Avant, les hommes ne faisaient pas à manger à moins d’être vraiment mal pris… Les choses ont changé. Maintenant, ils ont pris goût à faire la cuisine et ils se sentent valorisés lorsqu’ils le font. Il faut arrêter d’être à côté des hommes pendant qu’ils cuisinent et leur dire «tu ne fais pas ça comme moi». C’est la pire chose! Après, il n’aura plus envie de cuisiner.
Mon fils Martin, quand il veut se plaindre de moi, il raconte qu’à trois ans, je le faisais essuyer la vaisselle. Je réponds toujours… «pourquoi pas»? Je l’asseyais sur le comptoir et je lui donnais les chaudrons et un linge. C’est un bon mari, maintenant!
— Et en 2024, où en sommes-nous rendus?
Ce qui me choque, c’est qu’avant, ce sont les femmes qui faisaient la cuisine, qui ont jeté les bases des plus grandes cuisines. Mais quand il y a une gloire quelque part qui appartient aux femmes, les hommes viennent la chercher. C’est ce qui est arrivé avec la cuisine, les hommes se sont emparés de ça. Et maintenant, les chefs, des hommes surtout, sont des vedettes!
— Vous avez eu 99 ans cette année. Quelle est votre relation avec la nourriture et comment a-t-elle évolué avec le temps?
Je t’avoue que j’ai perdu le désir de manger. C’est triste! Ça ne me tente jamais de manger, je n’ai plus d’appétit. Donald [NDLR: son conjoint des 40 dernières années] me fait des surprises, il essaie de me titiller l’appétit. Toutefois, il m’arrive d’oublier de manger. J’ai fait une septicémie à 95 ans, est-ce que c’est ça qui m’a coupé l’appétit ou la vieillesse? Je ne sais pas. La vieillesse, c’est une succession de deuils des petits plaisirs.