Pendant ce temps, les études sur leur sensibilité et leur soif de vivre s’accumulent. Il faut aussi savoir qu’élever ces animaux de façon extensive, en pâturage, n’est pas une solution viable. Cela prendrait trop de place: si les cent millions de bovins américains étaient élevés en liberté, ils occuperaient la moitié du territoire.²
Est-il possible de mettre fin à ce carnage et d’envisager un monde sans exploitation animale?
Quand l’alimentation végane rime avec le progrès moral
À quoi ressemblerait un monde où l’on ne mangerait plus d’animaux? C’est la question que deux chercheurs en administration et en marketing de l’Université de Melbourne ont posée à 506 étudiants en 2015.³ On leur a ensuite demandé comment ces sociétés seraient différentes de celles d’aujourd’hui afin de déterminer les éventuels freins au changement social.
Les résultats montrent que le premier sujet d’inquiétude est la santé d’une population végétarienne ou végétalienne. Les répondants estiment que la consommation de viande est nécessaire et que la population d’un monde strictement végétarien serait forcément en moins bonne santé. Il existe pourtant un consensus scientifique, peut-être mal connu, selon lequel les végétariens et les végétaliens sont globalement en meilleure santé et vivent plus longtemps que les omnivores.
Un autre mythe repris par certains répondants est l’idée qu’un monde sans abattoirs entraînerait une surpopulation des animaux de ferme, laquelle serait dommageable pour la planète. Dans les faits, les animaux d’élevage sont généralement incapables de se reproduire naturellement. En outre, un monde végane n’émergerait que graduellement, si bien que les chances que les parcs des villes soient soudainement envahis de vaches et de poules sont, à toutes fins pratiques, inexistantes!
Les conséquences d’un régime alimentaire strictement végétal sur l’économie inquiètent aussi le quart des répondants. Ils prévoient une augmentation du taux de chômage chez les éleveurs et un ralentissement économique à l’échelle du pays, compte tenu du poids des exportations liées à ce secteur dans cette partie du monde. Quelques participants ont tout de même émis l’hypothèse que la société saurait s’adapter et prévenir ce déclin économique. Les éleveurs pourraient par exemple se reconvertir dans la culture de végétaux ou dans un autre domaine. Au Québec, on peut faire le parallèle avec l’industrie du tabac, qui était florissante dans des régions comme Lanaudière jusque dans les années 1990. Les producteurs se sont reconvertis aux cultures maraîchères. Les habitudes des consommateurs ont changé, les producteurs se sont adaptés. Dans son livre Meatonomics, l’auteur américain David Robinson Simon montre d’ailleurs que l’industrie américaine de la viande ne survit que grâce à des subventions et fait aussi le parallèle avec le tabac. Lorsque le gouvernement américain a cessé de subventionner l’industrie du tabac, les prix ont augmenté, et la consommation a chuté.
Ceci étant dit, selon plusieurs répondants, transformer notre rapport aux protéines animales amènerait, comme dans Le nouveau Gulliver et Herland, des changements dans les valeurs dominantes de la société. Dans un monde végane, il y aurait davantage de respect pour l’environnement et les animaux. Et pour un petit nombre de participants à l’étude, le meilleur traitement des animaux est même associé à l’émergence d’une société plus pacifiste et d’un plus grand respect des humains. Plusieurs répondants imaginent d’ailleurs un monde végane comme un monde plus civilisé et plus moral.
Le «replicator» à notre porte
En 2008, l’organisme People for the Ethical Treatment of Animals (PETA) a fait les manchettes en offrant un million de dollars au premier scientifique qui fabriquerait de la viande in vitro prête à la commercialisation. «Un million de dollars, c’est beaucoup d’argent, disait le communiqué de l’association américaine de défense des animaux, mais bien peu pour quelque chose qui a le potentiel de sauver un million de vies à l’heure. » Dix ans plus tard, l’autre objectif de PETA, qui était de voir au moins 10 États commercialiser la viande de laboratoire, n’est toujours pas atteint, mais ce projet qui paraissait utopique il y a quelques années reçoit aujourd’hui des capitaux des milliardaires de la Silicon Valley. Même l’industrie de la viande investit dans ce futur sans consommation d’animaux: le géant américain Cargill, spécialisé dans la fourniture d’ingrédients alimentaires divers, fait partie des actionnaires de la start-up Memphis Meats [toujours en activité et renommée Upside Foods, en 2021].
On parle dorénavant de viande propre (ou clean meat), par analogie avec les énergies propres, pour désigner la viande produite dans des bioréacteurs à partir d’une cellule animale de la taille d’un grain de sésame. Des dizaines d’entreprises travaillent aujourd’hui à élaborer différents produits: de la volaille, des poissons, des fruits de mer, du bœuf, du porc, des produits laitiers, du blanc d’œuf, de la gélatine. Et les consommateurs semblent ouverts à ces nouveaux produits. En effet, un sondage de Faunalytics réalisé au début de 2018 montrait que 65% des Américains seraient prêts à les goûter. Étonnamment, près de la moitié des répondants préfèrent la viande propre aux substituts de soya actuellement sur le marché.
La consommation de viande étant tellement ancrée dans les habitudes, il est fort probable qu’on en mange encore dans 50 ans. Mais on peut croire qu’elle sera essentiellement produite dans des bioréacteurs. Selon les données de 2018, cela nécessiterait de 7% à 45% moins d’énergie et réduirait les émissions de gaz à effet de serre de 78% à 96%. De son côté, la consommation d’eau baisserait de 82% à 96%.⁴