Marc-André Corriveau: maraîcher enrôlé
Publié le
02 mars 2016
Un éleveur-provocateur, une charcutière singulière, un brasseur-défricheur, un maraîcher-guerrier. Bernard, Nathalie, Louis et Marc-André ont choisi de faire les choses autrement. Et de revenir aux bases, à des méthodes de travail plus simples et plus naturelles afin de nourrir les Québécois à hauteur d’homme et de femme. Voici leurs histoires.
Portrait de Marc-André Corriveau, jardinier-maraîcher
Texte de Véronique Leduc
Photo de Maude Chauvin | maudechauvin.com
À première vue, il a l’air difficile d’approche; après avoir passé une journée chaude dans ses champs de l’île d’Orléans, ses yeux bleus perçants, sous son large chapeau de paille, disent peut-être regretter d’avoir dit oui à une (autre) entrevue. Pourtant, il suffit qu’il comprenne que nous occupons la même tranchée pour qu’il sorte la bouteille de vin, nous fasse faire le tour du propriétaire et parle avec conviction de son rôle de guerrier. Un maraîcher pas comme les autres, ce Marc-André.
«L’été, j’entre en mode guérilla. J’apprends à me battre contre le laiteron et le chiendent, qui cherchent à s’attaquer à mes récoltes. C’est cave, mais je deviens comme un flo: je joue à la guerre avec les mauvaises herbes. Je les surprends par derrière, j’utilise l’engrais comme un explosif et, certains jours, un peloton composé d’amis vient m’aider pour qu’ensemble on achève l’ennemi. Toujours sans chimique. À moins d’absolue nécessité.»
Le voilà le combat de Marc-André: tuer les produits chimiques. Et pour y arriver, il a élaboré un plan. Dans le village de Sainte-Famille, entre la belle maison centenaire de son oncle et le fleuve, il travaille selon la méthode des planches permanentes, qui consiste à organiser la terre de façon à ne jamais la piétiner. Quand on utilise cette technique, même l’aération du sol est faite à la main, afin d’éviter que la machinerie vienne en compacter la structure.
«Dans l’agriculture traditionnelle, on résout ce problème avec des engrais chimiques, mais quand tu fais attention à ta terre et que tu diversifies tes cultures, l’équilibre dans le sol est censé se faire tout seul», explique le jardinier de 37 ans, originaire de Québec, fier de réussir ainsi à cultiver fruits et légumes sans engrais de synthèse, ni herbicides, ni insecticides. Pour le moment, les récoltes de Marc-André ne sont pas certifiées bios, mais il compte entamer les démarches l’an prochain.
Pas de pause pour un maraîcher en mission: pendant qu’il raconte son histoire, Marc-André vérifie que tout va bien du côté des semis, dans la vaste serre derrière la maison. C’est là que naissent les bettes à carde, concombres, melons, tomates, betteraves, navets, choux, poireaux, oignons, aubergines et poivrons pour lesquels se bat le jardinier-guerrier. Marc-André arrache quelques mauvaises herbes avant de se diriger vers le bâtiment qui abrite ses poules Chantecler.
«Ne regardez pas le ménage.» C’est qu’il est fier, notre maraîcher. Devant la grange, il y a aussi les cochons Berkshire à nourrir. Marc-André leur jette des restants de cuisine, puis la drêche – des résidus de la distillation des céréales – récupérée à la Microbrasserie de l’Île.
Et c’est comme ça, à la main, avec son oncle et avec Tim Boucher, un partenaire de travail, que le jardinier réussit à remplir chaque semaine 75 paniers de légumes livrés à des familles de Québec, mais aussi à fournir en fruits, en légumes et en viande les cuisines du branché restaurant Le Cercle, à Saint-Roch, dans la Vieille Capitale.
C’est de là que tout part, du Cercle. Après avoir oeuvré en cuisine dans différents établissements, Marc-André travaillait dans ce restaurant depuis quelques années quand il a décidé de devenir maraîcher.
«J’ai toujours jardiné, puis j’ai fait deux étés ici, à la ferme. J’apportais des légumes au resto, et un jour, l’équipe du Cercle m’a dit: “Crisse-nous la paix, vas-y travailler sur la ferme, va faire pousser nos légumes.” C’est vrai qu’en cuisine j’étais un gueulard…»
C’est l’an dernier [en 2013], donc, que Marc-André a «défroqué» pour se retrouver aux champs. Mais encore aujourd’hui, il n’est pas loin du Cercle, où il passe une fois de temps en temps pour présenter fièrement ses produits: «Ce que j’aime le plus, c’est aller au resto pour servir les gens, avec mes doigts “propres sales”, en leur expliquant l’évolution de ce qu’ils ont dans leur assiette. Ça me fait triper et ça les fait triper. Les premières fois que j’ai servi les assiettes de poulet Chantecler, j’avais le frisson dans la barbe. Boucler la boucle, de la ferme à l’assiette, c’est cool!»
Quand il voit le bonheur des clients et des cuisiniers au resto, quand il constate la quantité de choses qu’il arrive à produire sans produits chimiques, Marc-André avoue ne rien comprendre au monde.
«Veux-tu faire un tour de pick-up? Je vais te montrer.» En roulant sur les routes étroites de la vaste terre de son oncle, il pointe les voisins. «Partout autour, c’est de la grande culture: fèves, blés d’Inde, patates. C’est tout. Aucune diversification. Si tu leur en parles, ils répondent: “Y a ben plus de monde qu’avant sur la planète: il faut passer en deuxième vitesse; pour fournir, il faut que ce soit chimique.” Ce n’est pas vrai! Je suis convaincu qu’avec une agriculture naturelle on pourrait arriver à nourrir tout le monde.»
Il donne l’exemple de ses fraises: «Des fraises bios sur l’île, on est deux à en faire, pis je me demande pourquoi on n’est pas plus nombreux. J’ai peu d’expérience, pis je suis capable. Mes fraises sont belles et bonnes. Parfois, t’en pognes une funky, mais c’est le pire qu’il puisse arriver. Ça ne coûte pas plus cher, et j’ai des fraises en même temps que tout le monde… Criss, pourquoi personne ne les fait bios?»
On roule en silence pendant un moment. Le maraîcher est pensif. Puis, sur le chemin du retour, il dit: «Tu veux savoir ce que je trouve le plus dur dans la vie? Ce n’est pas les journées à n’en plus finir, c’est le regard que les gens posent sur toi, comme si t’étais un extraterrestre, parce que tu fais les choses différemment. Ils pensent que tu ne sais pas ce que tu fais, ils se disent: “T’es débile, esti; évolue, pis tu vas faire des ben plus gros légumes!” OK, ils sont plus gros, mais est-ce qu’ils sont plus beaux, est-ce qu’ils sont meilleurs? Je ne pense pas.»
Avant de quitter, je lui demande ce qu’il souhaite pour l’avenir. Il parle de projets personnels, d’une salle à manger sur la ferme et de quelques chambres peut-être, d’une population qui se réveille par rapport au chimique, mais surtout, il rêve d’un gouvernement qui avouerait ses erreurs. «Je me mets à la place des gouvernements, pis il me semble que ça se peut de dire: “Eh gang, on s’est trompés finalement. Le modèle auquel on a pensé, ce n’est pas viable. Il faudrait revenir en arrière et penser à une agriculture à l’échelle familiale, à des marchés locaux et à plusieurs petits réseaux de distribution.”»
C’est peut-être seulement à ce moment-là que Marc-André Corriveau sortirait son drapeau blanc.
*Depuis l'écriture de ce portrait, Marc-André est retourné oeuvrer en restauration mais continue tout de même à faire pousser quelques légumes. Il a approfondi ses connaissances en apiculture et est parti à la pêche au homard le printemps dernier. Ce qui le passionne toujours, c'est l'agroalimentaire dans son ensemble et le parcours des aliments de leur origine à l'assiette. Cet article est paru initialement dans le numéro 1, Les origines, paru en octobre 2014.
*Depuis l'écriture de ce portrait, Marc-André est retourné oeuvrer en restauration mais continue tout de même à faire pousser quelques légumes. Il a approfondi ses connaissances en apiculture et est parti à la pêche au homard le printemps dernier. Ce qui le passionne toujours, c'est l'agroalimentaire dans son ensemble et le parcours des aliments de leur origine à l'assiette. Cet article est paru initialement dans le numéro 1, Les origines, paru en octobre 2014.