François-Emmanuel Nicol, personnalité de l'année Caribou 2024 - Caribou

Personnalité Caribou 2024: François-Emmanuel Nicol en quête d’étoiles

Publié le

05 décembre 2024

Texte de

Geneviève Vézina-Montplaisir

Photos de

Alma Kismic

Instigateur de la venue du Guide Michelin au Québec, François-Emmanuel Nicol a reçu en 2024 son deuxième prix des Lauriers de la gastronomie: restaurant de l’année, après avoir été nommé en 2023 chef de l’année. Celui qui ne cache pas son ambition de voir son institution reconnue comme une des meilleures au monde revient sur une année foisonnante et remplie d’accolades.
Instigateur de la venue du Guide Michelin au Québec, François-Emmanuel Nicol a reçu en 2024 son deuxième prix des Lauriers de la gastronomie: restaurant de l’année, après avoir été nommé en 2023 chef de l’année. Celui qui ne cache pas son ambition de voir son institution reconnue comme une des meilleures au monde revient sur une année foisonnante et remplie d’accolades.
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C’est un lundi gris et pluvieux de novembre. Les rues pavées aux alentours de la place Royale, dans le Vieux-Québec, sont presque vides. Il n’y a qu’une poignée de touristes qui s’y aventurent pour trouver un endroit chaleureux où prendre un café ou un verre de fin de journée. Je retrouve le chef François-Emmanuel Nicol, qui fait un peu d’administration dans les bureaux de la Tanière3, où il est venu tout spécialement aujourd’hui pour me rencontrer pendant sa journée de congé.

Avant qu’on s’assoie pour discuter de la merveilleuse année qu’il vient de passer, François-Emmanuel me fait faire le tour du propriétaire.

«Quand les gens réservent à la Tanière3, ils reçoivent un code unique qu’ils doivent utiliser pour entrer», m’explique-t-il en me montrant le petit clavier sur le cadre de la porte de l’établissement, entouré des insignes de Relais & Châteaux et des 5 diamants CAA-AAA.

Les convives entrent ensuite dans un long vestibule orné d’arbres en fer forgé avant d’être accueillis par le maître d’hôtel, Roxan Bourdelais. La clientèle voyage par la suite dans trois espaces immersifs différents durant leur repas, ce qui permet de vivre une expérience gastronomique où tous les sens sont sollicités. La Tanière3 étant aménagée sous des voûtes, elle offre un cadre unique qui appelle la prestation et le spectacle. «Mais le service se fait en toute convivialité», assure le chef né en Gaspésie de parents bretons.

Pour notre entretien, on remonte à l’étage et on s’installe au bar du restaurant L’Orygine, pour capter un peu de lumière avant la nuit noire. L’Orygine appartient au Groupe La Tanière, qui compte aussi le restaurant Légende et le bar le Vieux Carré. En tout, ce sont plus d’une centaine d’employés qui travaillent sous l’égide de Frédéric Laplante, Karen Therrien et François-Emmanuel Nicol, les trois propriétaires du groupe.

François-Emmanuel Nicol

De la reconnaissance qui rapporte

Quand je lui demande de me faire un bilan de son année, le jeune chef de 33 ans souffle un «Ouf!», qu’il fait suivre d’un grand sourire.

«Tout a commencé en novembre 2023, après l’arrivée du Guide Michelin à Vancouver. J’ai écrit une lettre, signée par 14 autres chefs de Québec, que j’ai remise au maire de la ville, Bruno Marchand, afin qu’il pousse la candidature de la Capitale-Nationale», dit-il.

«Je me doutais que la prochaine destination canadienne serait Montréal et je ne voulais pas que la ville de Québec passe à côté de cette occasion.»
François-Emmanuel Nicol

Mais c’est vraiment en mai 2024, à l’assemblée générale de La Table Ronde (un collectif qui rassemble les entrepreneurs derrière les grands restaurants des différentes régions du Québec) qu’il a dû convaincre les membres de voter pour entériner la venue du Guide Michelin au Québec. Ainsi, La Table Ronde ferait les représentations auprès des instances politiques et touristiques afin qu’elles travaillent et investissent de l’argent en ce sens.

«Quelques semaines après, c’était le gala des Lauriers de la gastronomie, à Montréal, où on a reçu le prix «Restaurant de l’année» et où mon collègue Simon Faucher a reçu le prix «Mixologue de l’année», raconte-t-il. Après, on a été complet tous les soirs, à part trois! Ces reconnaissances ont vraiment eu un bel effet sur les réservations.»

Et la cerise sur le sundae a bien sûr été l’annonce officielle, le 31 août 2024, de la venue du Guide Michelin au Québec.

«Je m’en souviendrai toujours: j’avais des changements prévus au menu et un cuisinier malade ce jour-là. Je n’avais aucune idée que ça allait être annoncé à ce moment-là. J’avais 100 livres de homard à arranger et là, les médias m’appelaient non stop! En 48 heures, j’ai donné une vingtaine d’entrevues, parfois en plein service», se souvient-il en riant.

La nouvelle a rapidement fait le tour du monde. La venue du Guide Michelin a été la nouvelle ayant le plus fait rayonner le Québec cette année dans les médias étrangers. Une belle publicité pour la destination et sa gastronomie, dont la valeur vaut déjà plus que l’investissement fait pour encourager la venue du célèbre guide dans la Belle Province, croit le chef.

C’est d’ailleurs ce que François-Emmanuel souhaitait en entreprenant, un an plus tôt, sa démarche pour faire venir le Guide Michelin chez nous.

«Ce n’est pas un rêve d’ego que de vouloir des étoiles Michelin, assure celui qui a commencé en cuisine à l’âge de 15 ans. Le but, c’est vraiment d’amener un tourisme gourmand au Québec et de faire reconnaître sa gastronomie à sa juste valeur. L’objectif, c’est que cette reconnaissance internationale rayonne sur tout le monde. Un touriste qui va venir manger dans un restaurant étoilé va passer quelques jours dans la ville, il va aller dans d’autres restaurants et ça va avoir un impact sur toute l’économie de la région.»

L’autre but avoué, c’est que cette reconnaissance apportée par le Guide Michelin remplisse les salles et permette au Groupe La Tanière d’investir temps et argent en recherche et développement pour continuer sa mission de mettre de l’avant le patrimoine sauvage québécois.

Car c’est ce qui motive le diplômé de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ) en gestion de la restauration, qui a fait ses classes dans de grandes institutions comme l’Arzak, en Espagne, le Quay, en Australie, et le Mirazur, en France. Celui qui a entre autres développé avec ses équipes un chocolat 100% local, dont la recette ne cesse d’évoluer et de s’améliorer, souhaite participer à forger l’identité culinaire québécoise grâce à ses expérimentations.

«Pour moi, c’est entre autres la mise en lumière de la diversité des plantes et des aromates sauvages qui va y contribuer», croit le cueilleur amateur qui trouve son inspiration en forêt, souvent quand il fait du vélo de montagne.

«Quand tu arrêtes de travailler avec la cannelle ou le poivre de Sichuan, que tu adoptes des solutions locales sans chercher à reproduire les goûts d’ailleurs et que tu mets vraiment de l’avant le goût d’un produit d’ici, c’est là que tu commences à développer une véritable identité culinaire.»
François-Emmanuel Nicol

Des combats à mener

Pour construire une vraie identité culinaire québécoise, François-Emmanuel croit qu’il y a plusieurs combats à mener, dont celui d’améliorer notre accès aux produits de la mer. Encore là, il souhaite que la reconnaissance apportée par le Guide Michelin puisse faire bouger les choses chez Pêches et Océans Canada.

«Présentement, tout est pêché en volume, il y a beaucoup de quantitatif, mais peu de qualitatif. Si on commence à avoir des chefs qui achètent des produits à de meilleurs prix pour le pêcheur, on sera peut-être capable d’avoir des poissons pêchés à la ligne de très grande qualité.»

François-Emmanuel rêve de pouvoir cuisiner du bar rayé de Gaspésie pêché à la ligne. Mais en ce moment, il ne peut en acheter qu’en provenance de Miramichi, au Nouveau-Brunswick. Au Québec, cette pêche commerciale est interdite, alors que les rivières regorgent de bars rayés. Trouvez l’erreur!

«J’aimerais que les produits marins fassent partie de notre identité culinaire. À cause de la façon dont les chaînes d’approvisionnement fonctionnent actuellement, le poisson d’ici n’a jamais été très présent dans les assiettes des familles québécoises. C’est impensable qu’on soit entourés d’eau et qu’on n’ait pas accès aux ressources qui s’y trouvent!»

Tisser des liens

En attendant que les lois qui sont de juridiction fédérales changent, François-Emmanuel ne reste pas les bras croisés et développe certains partenariats prometteurs, dont un avec les Micmacs de Restigouche.

«Cette année, on a réussi à avoir des arrivages de pétoncles d’élevage vivants pendant huit semaines. J’étais tellement heureux d’aller déloader le pick-up avec les pétoncles! Je les ai quasiment tous ouverts moi-même tellement j’étais content de les travailler, raconte-t-il les yeux brillants. Il y a vraiment de la fierté et un respect mutuel avec les pêcheurs micmacs. Je vis pour créer des liens comme ça!»

Un autre lien fort qu’il a tissé dans le cadre de son travail, c’est avec le cueilleur, biologiste et auteur Fabien Girard, étroit collaborateur de François-Emmanuel depuis ses débuts à la Tannière3 en 2019.

«Avoir des cueilleurs qui débarquent avec des trucs avec lesquels on n’a jamais travaillé, c’est ça qui donne du sens à ce qu’on fait, dit-il. Avec eux, on est en train de mieux comprendre les plantes qui nous entourent et c’est vraiment trippant. Par exemple, on a découvert que la racine d’armoise du printemps est pleine de chlorophylle et qu’elle colore nos préparations. C’est le genre de découvertes qu’on adore faire. Des fois, ça arrive par accident, d’autres fois, c’est le savoir de Fabien qui nous guide et enrichit nos expérimentations. Ces échanges sont extrêmement précieux.»

Le luxe autrement

En faisant le bilan de l’année, on ne peut pas passer sous silence l’inflation qui a marqué 2024. Elle a eu entre autres comme effet de faire monter le prix des denrées alimentaires et, par le fait même, la facture au restaurant. Cette flambée des prix n’a pas semblé trop affecter les activités du Groupe La Tanière, estime François-Emmanuel.

«On comprend qu’il y a des gens pour qui ce n’est pas facile et qu’une sortie dans un restaurant gastronomique, c’est le genre de dépense qui est réduite, mais reste qu’il existe encore un marché haut de gamme.»

«Depuis l’ouverture du restaurant, le luxe, on le définit autrement. Dans le sens qu’on ne sert pas de la truffe d’Italie ou des pétoncles de Hokkaido. Ce n’est pas ce qui nous fait rêver ici. En ce moment, j’ai de la patate en chapelet [ndlr: plante indigène du Québec dont le nom vient de ses tubercules reliés les uns aux autres par une racine-liane] dans la chambre froide. Ça, pour moi, c’est du luxe.»

Et sa clientèle, à la recherche elle aussi de ce genre de luxe, est beaucoup plus locale qu’on pourrait le croire. «Environ 85% de notre clientèle est québécoise, indique-t-il. Elle est constituée de gens qui viennent pour des occasions spéciales. Les gens sortent d’ici et sont fiers de voir ce qu’on fait avec ce qu’on a ici. Souvent, ils découvrent plusieurs produits qu’ils ne savaient pas qu’on pouvait manger, et ils découvrent qu’on peut avoir ce niveau-là de service au Québec.»

François-Emmanuel rappelle aussi que l’argent dépensé dans son restaurant fait tourner l’économie d’ici.

«Cette année, on a acheté pour deux millions de marchandises auprès de fermes, de pêcheurs et de cueilleurs.»
François-Emmanuel Nicol

«Notre projet est bon pour la communauté. Nos employés ont tous des salaires qui sont au-dessus de la moyenne de l’industrie. On offre de bonnes conditions de travail. On est aussi fiers de ça, parce qu’avec la Tanière3, c’est ce qu’on voulait aussi faire: redorer l’image du métier. La venue du Michelin va aussi contribuer à ça: faire reconnaître le métier de cuisinier professionnel.»

Pour l’année 2025, on souhaite bien sûr une étoile ou deux à notre personnalité de l’année qui croit déjà avoir reçu la visite d’un inspecteur du Guide Michelin, à la fin de l’été. Ce sera sûrement le cas une autre fois à l’hiver, avant la sortie du Guide Michelin Québec, prévue au printemps 2025.

Et que peut-on lui souhaiter d’autre?

«À court terme, j’aimerais pouvoir consacrer encore plus de temps à la recherche et au développement du terroir québécois. À long terme, je désire pouvoir m’impliquer davantage pour faire bouger les choses afin d’avoir accès à du poisson de belle qualité, de façon constante, en saison. Et pourquoi pas, développer un projet pilote avec les Micmacs pour avoir accès à du bar rayé!»

Des émules qui ont aussi brillé cette année

Cette année, il n’y a pas seulement François-Emmanuel Nicol qui a rayonné au restaurant. Il y a aussi la cheffe de partie tournante Emmanuelle Gignac-Brassard, qui a participé à l’audition ultime de la 13e saison de l’émission Les chefs!, et le sous-chef Anthony Vien, qui s’est rendu jusqu’à la finale. Anthony Vien s’est aussi illustré cet automne à la finale canadienne du concours S. Pellegrino Young Chef Academy avec son collègue Clément Cavoret et son ancien collègue Sébastien Rémillard. Ce dernier, qui a été pendant quatre ans partenaire de la recherche et développement au restaurant, s’entraîne maintenant pour le Bocuse d’Or Canada. «Je pousse tout le temps pour que des gens dans l’équipe fassent ces concours. Je trouve que c’est important qu’ils se développent et que, même s’ils restent longtemps avec nous, ils sentent que leur carrière avance», explique celui qui a été de la première édition du concours canadien S. Pellegrino Young Chef Academy, en 2014.

Michelin pour les nuls

Créé en 1900 par la compagnie de pneus française Michelin, le Guide Michelin est au départ un livret touristique et publicitaire distribué gratuitement aux automobilistes. Il est devenu avec le temps une référence gastronomique et hôtelière en attribuant des étoiles aux institutions visitées par ses inspecteurs anonymes. Les étoiles Michelin sont attribuées pour une période d’un an et réévaluées chaque année. Elles récompensent la qualité de la cuisine des restaurants. Une étoile signifie une cuisine d’une grande finesse qui vaut l’étape. Deux étoiles signifient une cuisine d’exception qui vaut le détour. Et trois étoiles signifient une cuisine unique qui vaut le voyage. Habituellement, le Guide Michelin se consacre aux restaurants des villes et non à ceux de régions ou de provinces. Au Canada, Toronto et Vancouver ont maintenant leur Guide Michelin.

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