Personnalité Caribou 2016: Jean-Martin Fortier en pleine révolution agricole
Publié le
19 décembre 2016
Texte de
Geneviève Vézina-Montplaisir
Photos de
Dominique Lafond
Cet hiver, Jean-Martin n’ira pas surfer dans le Sud. Vous le retrouverez plutôt marchant dans les allées enneigées de la Ferme des Quatre-Temps, située à Hemmingford, ou en dessous des tunnels de toiles recouvrant certaines parties des jardins. Il y récoltera des rabioles, mais aussi différentes variétés de laitues et des bébés choux frisés qui entreront dans son mesclun; le produit dont il est le plus fier après la première année d’opérations de la ferme.
Oui, vous avez bien lu, des légumes continueront d’être fraîchement récoltés une partie de l’hiver par Jean-Martin et son équipe après avoir été tranquillement habitués au froid tout l’automne.
«On a repoussé les limites. On veut révolutionner la patente», clame le jardinier accroupi dans la neige pour cueillir une rabiole bien sucrée.
Ce n’est pas la seule innovation qui fait de la ferme expérimentale des Quatre-Temps un endroit unique au Québec. On y pratique la polyculture et non la monoculture comme c’est maintenant la norme en agriculture. On y cultive comme dans le temps : vaches, poules, cochons et légumes se partagent 167 acres de terre sur laquelle on retrouve également une station de lavage de légumes faite sur mesure, une cuisine toute équipée qui servira dans le futur à préparer des produits transformés, et plusieurs autres bâtiments flambant neufs.
Son nouveau terrain de jeux est six fois plus grand qu’il l’est aux Jardins de la Grelinette, une microferme biologique fondée en 2005 avec sa conjointe, Maude-Hélène Desroches, à Saint-Armand. Ils y ont créé un modèle en permaculture sur petite surface, capable de générer des ventes annuelles de plus de 150 000$. Il a donné tous ses trucs dans l’ouvrage Le jardinier-maraîcher, manuel d’agriculture biologique sur petite surface, qui s’est vendu à plus de 70 000 exemplaires.
Si aux Jardins de la Grelinette, il a dû travailler des années pour arriver à ses fins, la Ferme des Quatre-Temps, elle, jouit de ressources quasi illimitées, étant financée à 100% par l’homme d’affaires André Desmarais, président délégué du conseil, président et co-chef de la direction de Power Corporation. Il est l’instigateur de cette idée de ferme expérimentale bio et a choisi d’en confier les rênes à Jean-Martin, devenu une référence en matière de maraîchage biologique ici et ailleurs dans le monde. Un «cadeau» pas si facile à accepter au départ.
«J’étais assez mal à l’aise avec le projet au début, confie le maraîcher aux yeux bleu perçant. Comme la ferme est bien financée et que la plupart des fermiers ne le sont pas, ça les faisait chier. Dès le départ, j’ai été très sensible à ça. Ils avaient peur qu’on arrive avec nos gros sabots, mais j’ai averti M. Desmarais qu’il fallait faire attention de ne pas piler sur les autres, qu’il fallait plutôt grossir la tarte, créer de nouveaux marchés.»
C’est donc à cela que Jean-Martin s’est évertué cet été tout en commençant la production, après avoir passé l’automne 2015 à faire l’aménagement de la ferme et le printemps 2016 à la bâtir.
«Au début de l’été, on savait ce qu’on voulait vendre, mais pas à qui. Il a fallu trouver nos clients, mettre les systèmes en place. On a commencé au marché Atwater car il n’y avait presque pas d’autres petits maraîchers bios là-bas, que des revendeurs, assez poches d’ailleurs. On est allé ensuite au Marché des Éclusiers [dans le Vieux-Port de Montréal] et à Jean-Talon. Au début, au marché Jean-Talon, il n’y avait personne à notre kiosque. Ça a été dur pendant plusieurs semaines où on avait plein de légumes, mais pas beaucoup de clients.»
Séduire les chefs
Jean-Martin ne s’est pas découragé et il s’est ensuite mis en tête de séduire les chefs avec ses produits, un créneau qui n’était pas suffisamment exploité selon lui. «Je suis allé chercher les chefs un a un. Chaque jeudi de l’été j’allais manger à un resto et j’apportais des légumes. Plusieurs chefs n’avaient aucune idée de qui j’étais. J’avoue que ça a piqué mon égo au début! confie-t-il en riant. Le premier à me faire confiance a été Marc-André Jetté, ensuite Charles Antoine-Crête, Patrice Demers. Ils se sont passé le mot et on avait 20 chefs avec qui on collaborait à la fin de l’été. Si l’année prochaine, il y en a 40, je ne pourrai pas tous les servir, on va les rediriger vers d’autres maraîchers et faire grossir la tarte.»
C’est l’essence même du projet, et ce l’est aussi aux Jardins de la Grelinette: faire des petits. Des huit employés engagés cette année à la Ferme des Quatre-Temps, six partiront leur propre ferme en 2017. Jean-Martin privilégie dans son équipe des employés qui apprendront les bases de son «modèle» de polyculture et de permaculture et qui iront le multiplier.
«C’est le même message que je prône à la Ferme des Quatre-Temps qu’à la Grelinette: bien manger, bien produire, respecter les artisans, développer des nouvelles techniques. Ici, on a plus de ressources, on amène ça ailleurs dans les équipements et l’innovation mais aussi on partage ce qu’on découvre pour en faire bénéficier ceux qui n’ont pas les mêmes moyens que nous. C’est pour ça que je suis ici. M. Desmarais me dit toujours: “Enregistre tout parce qu’il va falloir donner nos trucs.” Il souhaite développer et financer 100 fermes en 10 ans. J’ai rencontré quelqu’un d’aussi, sinon de plus motivé que moi!»
À la fin de cette première année d’opérations, comment se sent Jean-Martin?
«Je ressens un mélange d’épuisement, de bonheur et de fierté. Je suis fier de mon équipe. Je suis fier de nos réalisations, souligne-t-il. Je suis également très excité pour l’année prochaine. En 2016, on a mis les choses en place, en 2017, on va vraiment tripper!»