Le grincement de dents de Fernande Ouellet et Francis Laroche: pas de viande de proximité sans abattoir à proximité - Caribou

Le grincement de dents de Fernande Ouellet et Francis Laroche: pas de viande de proximité sans abattoir à proximité

Publié le

14 août 2017

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Plus grand que la panse
Il y a sept ans, Fernande Ouellet et Francis Laroche quittaient le Plateau-Mont-Royal pour s’installer à la campagne, sur une fermette de Granby. Ressentant une responsabilité par rapport à leur nouvelle terre agricole, ils y démarrent une production artisanale de canards et d’oies élevés au pâturage pour la viande et le foie gras. Si leurs oiseaux bénéficient des conditions de vie les plus douillettes qu’on puisse imaginer, il demeure qu’à la fin de leur vie ils doivent parcourir de nombreux kilomètres pour se rendre à l’abattoir avec tout le stress que cela représente. Cette situation fait grincer des dents le couple, surtout quand ils pensent à tous les autres éleveurs de proximité qui vivent la même situation qu’eux, voire pire. Texte de Julie Aubé Photos de Maude Chauvin Quand on achète une viande d’un élevage artisanal à la ferme ou auprès du producteur au marché, on imagine que nos produits n’ont pas, ou très peu voyagé. En théorie… Ça devrait être le cas, mais en pratique, il y a trop peu d’abattoirs au Québec, et il arrive très fréquemment que les producteurs soient localisés à plusieurs centaines de kilomètres d’un de ceux-ci. En plus de devoir s’y rendre pour faire abattre, il faut y retourner pour récupérer la viande, qui n’est généralement prête que le lendemain. L’addition de tous ces kilomètres nous éloigne du concept d’agriculture de proximité pour nous rapprocher de celui de commerce de proximité: on achète à son voisin, mais la viande n’est plus aussi locale que l’on imagine. De surcroît, cette situation pose la question primordiale du bien-être animal: les centaines de kilomètres parcourus soumettent les animaux à un stress qui va à l’encontre du travail que l’on fait tout au long de l’élevage. La situation est très délicate pour les petits producteurs, puisqu’ils n’ont finalement pas beaucoup de choix.
«Lorsqu’on ajoute au peu d’abattoirs disponibles l’obligation d’y réserver ses dates plusieurs mois à l’avance pour s’assurer d’une place, on perçoit clairement le rôle névralgique des abattoirs dans les opérations des agriculteurs et l’importance de leur localisation géographique pour la rentabilité des petites fermes.»
Pourquoi y a-t-il si peu d’abattoirs au Québec? Il s’agit d’une situation globale, propre à l’industrialisation de l’agriculture qui s’est engagée depuis les 50 dernières années. On assiste à la même problématique aux États-Unis et en Europe, où la concentration de l’industrie a mené à la disparition graduelle des petits abattoirs comme des petits producteurs, entraînant du même coup une rupture entre le système alimentaire et le territoire, entre le système alimentaire et les citoyens. Plusieurs rapports font d’ailleurs état de cette situation et proposent ou exposent des solutions réalistes et prometteuses, pour peu que l’on adapte les réglementations de manière à en permettre l’existence. Lorsqu’on met en place une politique qui se veut en faveur de l’agriculture de proximité et de l’occupation du territoire ou un règlement sur le bien-être animal, il faut en toute cohérence poser la question de l’abattage et ne pas s’imaginer que l’entreprise privée à elle seule résoudra le problème. L’entreprise privée n’a pas pour objectif premier l’occupation territoriale, l’avenir de l’agriculture à petite échelle, ou le souci de s’inscrire en cohérence avec les objectifs de la société civile, spécialement si sa rentabilité n’en dépend pas. Il relève des gouvernements de viser une distribution territoriale équilibrée des abattoirs et de favoriser l’essor d’infrastructures dont la taille est adaptée tant aux stratégies de développement des régions qu’aux besoins de la petite agriculture, qui trouve difficilement sa place dans les abattoirs industriels. Quelle sont les solutions? Les animaux n’ayant pas demandé à faire partie du système, il faut envisager les solutions en ayant en tête le bien-être animal avant toute chose. Limiter le kilométrage doit être l’objectif premier. Juste au sud de la frontière, au Vermont, il est légal d’abattre des bovins, porcs, chèvres et moutons à la ferme (sous certaines restrictions), et jusqu'à 1000 poulets/dindes/canards fermiers que l'agriculteur peut vendre non seulement à la ferme mais au marché public et aux restaurateurs locaux. Toujours au Vermont ainsi que dans le Maine et l’État de New York, il existe des abattoirs mobiles opérant sous inspection fédérale, de même que des micro-abattoirs fabriqués dans des conteneurs et opérant sous les normes HACCP. Ces initiatives font la preuve que ce type d’infrastructures ne pose pas de risques pour la santé de la population en plus de requérir un investissement nettement inférieur à la construction d’un bâtiment conventionnel. En Suisse et en Allemagne, on autorise le tir au champ. L’agriculteur peut abattre son animal à la carabine, au champ ou à l’étable pendant que l’animal mange calmement, puis la carcasse est rapidement saignée sur place et elle est immédiatement transportée à l’abattoir pour être éviscérée et découpée. On peut difficilement prétendre que ces deux pays ont la réputation de manquer de rigueur en matière de normes sanitaires, et ils ont pourtant permis l’utilisation de cette méthode, au nom du bien-être animal. La Wallonie envisage de le faire aussi. En France, l’implantation d’abattoirs collectifs de petite taille a permis l’installation de petits agriculteurs et la revitalisation de certaines campagnes. Assurer l’implantation de petites unités d’abattage dans chacune des régions constitue un des éléments essentiels à l’atteinte d’objectifs plus larges réclamés par les citoyens: l’amélioration du bien-être animal, l’alimentation locale et l’occupation dynamique des territoires. *** À lire aussi:
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