Beaucoup l’affirment avec conviction: d’ici quelques années, les insectes feront partie intégrante de notre régime alimentaire. Pas le choix: avec la multiplication des bouches à nourrir et les problèmes environnementaux liés à l’élevage d’animaux pour la viande, il faudra trouver une autre source de protéines. Mais comment faire le saut vers l’entomophagie alors qu’aujourd’hui, la majorité des Occidentaux grimacent à la vue de ces petites bibittes comestibles? La nutritionniste Camille Bourgault a consacré son mémoire de maîtrise à la question. Elle dresse l’état des lieux de la place des vers à soie, des grillons et de toutes ces alléchantes petites bêtes dans notre alimentation actuelle… et future.
Texte d’Audrey Lavoie
Photo de
Gabrielle Sykes | Plat conçu par
Maurín Arellano Frellick
Depuis quelques années, on parle beaucoup des insectes comme d’un aliment promis à un bel avenir, mais en Occident, on en voit très peu dans notre assiette. Vit-on une mode qui n’ira jamais au-delà des barres pour sportifs, ou la consommation d’insectes s’accélérera-t-elle au cours des prochaines années?
Je pense que présentement, le problème, c’est la façon dont on positionne les insectes. On dit qu’ils pourraient répondre à nos préoccupations tant environnementales que nutritionnelles. Le premier de ces arguments peut venir nous toucher ici, en Occident, où plusieurs personnes souhaitent réduire leur consommation de viande et leur empreinte écologique. Mais comme on n’a pas de carences alimentaires, présenter les insectes comme des aliments riches en protéines, ce n’est pas très vendeur.
Ici, les insectes ne remplaceront probablement jamais la viande comme source principale de protéines. Il faudrait plutôt les voir comme les noix, par exemple, c’est-à-dire comme un aliment qu’on met dans des salades ou qu’on réduit en poudre pour le cuisiner dans nos muffins, nos gâteaux.
Au Québec, le principal frein à la consommation d’insectes semble être le dégoût qu’ils inspirent aux consommateurs. Comment faire pour surmonter cette barrière psychologique?
En fait, j’ai constaté en réalisant mon étude [NDLR: effectuée en 2017 dans le cadre du projet Croque-insectes de l’Insectarium de Montréal auprès de 242 répondants] que ce que les gens craignent le plus quand ils envisagent de manger des insectes, c’est d’être malades. Près de 73% des répondants étaient inquiets quant à l’innocuité des insectes. Ça amène une réflexion et ça nous fait voir qu’il faut mieux informer le public. Il y a plus de 2 milliards de personnes sur la planète qui consomment déjà quelque 2000 espèces d’insectes comestibles, et ce, sans tomber malades.
Cette peur-là viendrait en grande partie de la représentation qu’on fait des insectes dans la société et à la télévision, par exemple. En Occident, quand on voit des gens goûter des insectes, c’est dans des émissions comme
Fear Factor, où les participants mangent une grosse tarentule en faisant des grimaces de dégoût. Ce genre d’images marque l’imaginaire collectif. Il faut donc arrêter de regarder les insectes dans
Fear Factor et commencer à les voir dans des émissions comme
Ricardo. Ça, ça pourrait contribuer à leur acceptabilité et au changement des mentalités!
Le Nordic Food Lab [NDLR: une division du Département des sciences de l’alimentation de l’Université de Copenhague qui a mené un projet de trois ans sur les meilleurs moyens d’intégrer les insectes dans la gastronomie] indique que pour que les gens aient vraiment envie de manger des insectes, ça doit passer par leur goût et leur texture. Les chercheurs du Nordic Food Lab élaborent donc des produits vraiment intéressants, comme un gin à base de fourmis rouges, lesquelles procurent une bonne acidité à l’alcool.
«Les insectes respectent toutes les tendances actuelles en alimentation : ils sont sans gluten, sans OGM, casher, paléo… Pourquoi alors ne sont-ils pas plus intégrés à notre alimentation?»
Quelles seraient les prochaines étapes pour instaurer une culture entomophagique au Québec?
Je pense qu’il faut rendre les insectes plus accessibles, tant en termes de coût que de disponibilité. Par exemple, si on compare aujourd’hui le prix de la poudre de grillon à celui de la viande hachée, on constate que 100 grammes de poudre de grillon coûte 12,38$, alors que la même quantité de boeuf haché revient à 1,30$. Les insectes ne représentent donc pas une option économique pour une famille moyenne.
De plus, en ce moment, c’est un produit qui est vraiment difficile à trouver. Et selon la littérature sur le sujet, il faut aussi que les consommateurs aient des modèles, comme des chefs qui en cuisineraient et qui amèneraient d’autres gens à en manger.
85%
Pour les répondants de l’étude de Camille Bourgault, réalisée dans le cadre du projet Croque-insectes de l’Insectarium de Montréal, le goût est la motivation la plus importante (85%) quand vient le temps de faire des choix alimentaires. La valeur nutritive (60%) ainsi que le respect de l’environnement (46%) arrivent respectivement en deuxième et troisième positions.
Dans le cas où, en 2068, les insectes seraient consommés couramment, est-ce qu’on pourrait se retrouver avec des problèmes similaires à ceux qui découlent de l’intensification de l’élevage d’animaux pour la viande aujourd’hui?
Il faut faire attention à notre façon de gérer les élevages et s’assurer d’agir de façon responsable, ça, c’est certain. Mais ce qu’on sait déjà, c’est que l’élevage d’insectes produira de 10 à 100 fois moins de gaz à effet de serre que la production de porc, par exemple. De plus, il faut 1800 gallons d’eau pour générer un kilo de boeuf, alors qu’il n’en faut qu’un seul pour la même quantité de grillons. C’est donc 1800 fois moins! Pour la nourriture, c’est la même chose. Produire un kilo d’insectes nécessitera deux kilos d’aliments, alors que ça en prend huit pour obtenir un kilo de bœuf. Élever des insectes est certainement plus écologique, mais si on en fait une production de masse, il faudra tout de même être prudents, parce qu’il peut toujours y avoir des dérives.
Personnellement, en consommez-vous beaucoup?
J’ai de la poudre d’insectes, que j’ajoute parfois à mes muffins ou à mes biscuits. Mais je suis comme mes répondants... je ne me ferais pas une salade avec des grillons entiers. J’en ai consommé, je trouve ça bon, mais je n’en achèterais pas moi-même, ne sachant pas comment les apprêter. J’attends les recettes de Ricardo!
***
Après avoir lu ce texte, le rédacteur en chef invité de notre
numéro Futur a proposé l'idée de cuisiner des insectes à Ricardo...
Ce texte est paru à l'origine dans le numéro 8, Futur, paru en novembre 2018.