[Re]parlons cochons
Publié le
15 avril 2019
Il y a quinze ans, l’élevage du porc au Québec faisait grand bruit. Pour le cochon! Contre le cochon! De part et d’autre, des cris et des boucliers. En 2019, ce conflit entre les producteurs de porc et les citoyens vivant à proximité de porcheries est-il derrière nous?
Texte de Véronique Piché
Au début des années 2000, c’était la crise dans les campagnes québécoises. La gestion du lisier – cette boue de déjections – était au centre du débat. Mais la Commission du Bureau des audiences publiques sur l’environnement (BAPE) qui avait été mandatée pour examiner les modèles de production présents au Québec, établir le cadre de développement durable de la production porcine, et proposer des modèles de production favorisant une cohabitation harmonieuse entre producteurs et citoyens, n’a pas réussi à simplifier l’affaire.
Au terme d’un exercice de terrain – un an d’audiences, 18 municipalités visitées, quelque 9000 personnes sollicitées et 400 mémoires lus – les commissaires s’étaient fait une tête. Et ce conflit, constataient-ils dans leur rapport publié en 2003, transcendait le rural: «Il tend à devenir un conflit au sein de la société québécoise dans son ensemble, entre l’ouverture ou non à la modernité et à ses techniques, entre la mondialisation ou un retour au local et au régional, entre le naturel et le technique, entre l’animal et l’être humain».
Quinze ans plus tard, ce sujet ne fait plus les manchettes. Pourtant, la production porcine québécoise a maintenu sa cadence. Selon le Conseil canadien du porc, bon an mal an, environ sept millions de porcs d’abattage sont élevés dans la province. Ce qui a changé depuis cette période trouble? Le nombre ainsi que la grosseur des fermes porcines. De 3000, elles sont aujourd’hui 1800, chacune d’elles comptant plus de cochons qu’avant à son bord.
Cochon rime avec exportation
«En 2019, vous allez battre les États-Unis», lançait le conférencier américain Brett Stuart à son auditoire réuni dans la vieille capitale pour la 5e édition du Porc Show, en décembre dernier. Et on a applaudit. En effet, la vente du porc réfrigéré canadien est au coude-à-coude avec celui des Américains au sein de ce lucratif marché qu’est le Japon. Un exploit si on pense au volume de production de nos voisins du sud.
La majorité des porcs élevés – et transformés – dans la province est exportée. Quand on examine les chiffres, on découvre qu’environ 80% de la viande préparée par les abattoirs et les transformateurs québécois prend la route du marché mondial. En ordre, les États-Unis, le Japon et la Chine en sont les principaux pays importateurs.
Richard Vigneault, porte-parole du géant Olymel, dépeint la situation: l’entreprise doit faire venir des porcs de l’Ontario jusqu’à leur abattoir de Saint-Esprit dans Lanaudière, car les fermes québécoises ne suffisent pas à la demande en matière d’exportation. Alors, manque-t-il de porcs au Québec? «Non. Mais on en prendrait plus», répond M. Vigneault.
De son côté, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec calcule que l’on produit l’équivalent de 4 fois nos besoins internes en viande de porc, alors que notre consommation de viande rouge n’a de cesse de diminuer depuis les 25 dernières années.
Je me souviens
En juin 2002, un moratoire pour toutes nouvelles demandes d’exploitation porcine au Québec est décrété par le ministre d’État aux Affaires Municipales et à la Métropole, à l’Environnement et à l’Eau de l’époque, André Boisclair. Le contexte l’y avait poussé, expliquent différents témoins de cette période. Même chose pour le BAPE sur le développement durable de la production porcine au Québec, déclenché trois mois plus tard. Quelque chose bouillait dans les campagnes. Et la marmite commençait à déborder.
Entre 2000 et 2003, 90 cas de conflits à propos de l’implantation de porcheries avaient été dénombrés par la fédération des Éleveurs de Porcs du Québec. Une situation propre à la province? Pas vraiment. Au Canada, aux États-Unis et dans plusieurs pays européens, les mêmes enjeux sont soulevés, indique un relationniste du BAPE: pollution de l’eau, odeurs et nuisances, intégration à la ruralité, risques sanitaires, bien-être animal, processus décisionnel et pouvoir des élus locaux. L’élevage de porc s’intensifiait partout, tout comme les tensions.
Julien Côté reconnaît ses propres craintes dans cette liste d’enjeux. Avec des concitoyens de Saint-Valérien, un village non loin de Rimouski, il avait formé le comité «Coup de cochon». Le MÉMO74 déposé lors des consultations publiques du BAPE, c’est eux. À l’origine, un éleveur de porcs avait entamé des démarches pour construire une porcherie à un endroit qu’ils jugeaient inacceptable. Bien que le projet respectait les règles de l’époque, tout était fait à leur insu, voire «en cachette». Ils craignaient pour leur eau et pour leur qualité de vie.
Accepter le porc
Au ministère de l’Environnement, on souligne que le BAPE a justement permis de mettre en place un processus obligatoire de consultation publique au niveau municipal lors du dépôt d’un projet d’élevage porcin. En novembre 2004, un an après que le rapport soit rendu public, la loi sur l’Aménagement et l’Urbanisme était modifiée en ce sens. Et les conseils municipaux ont obtenu le droit d’assujettir la délivrance d’un permis de construction au respect de certaines conditions, lesquelles sont surtout destinées à atténuer les odeurs. Depuis, les choses vont-elles mieux?
Le maire actuel de Saint-Valérien, Robert Savoie, est en poste depuis 10 ans. Il était aussi conseiller à l’époque du BAPE. Lorsqu’il regarde quinze ans en arrière, il constate que son village est rendu complètement ailleurs. Les producteurs agricoles ne peuvent plus faire de démarches unilatérales. On s’entend, par exemple, sur la grille horaire des épandages (les longues fins de semaines de la Saint-Jean-Baptiste et de la Confédération sont des trêves). Aujourd’hui, à Saint-Valérien, on retrouve de l’agriculture biologique de pointe, de l’économie à petite échelle, des produits de proximité, des partenariats... Les élevages porcins font partie de la mosaïque, mais le développement se base sur autre chose.
Pour Maxime Laplante, président de l’Union paysanne, le BAPE a été un exercice public qui a certes permis de démontrer que le problème n’a jamais été le porc en soit, mais bien son élevage intensif. Toutefois, il considère que pendant toute la période du moratoire, entre 2002 et 2005, en coulisses, on s’engageait déjà sur la voie de l’exportation, celle des gros volumes, et qu’en fait bien peu de choses ont vraiment changé.
Du lard ou du cochon?
Récemment, on rapportait un conflit dans la municipalité d’Adstock en Chaudière-Appalaches, cette région qui produit près de la moitié des porcs d’engraissement de la province. Un éleveur de porcs souhaite passer de 1500 à 7500 bêtes d’engraissement. De la levée de bouclier de certains citoyens à la réponse des Éleveurs de Porcs du Québec, en passant par le respect des droits du producteur évoqué à la mairie locale, cette situation offre une impression de déjà-vu.
De son côté, Olymel est partenaire dans un projet au Témiscamingue. Un secteur peu associé à la production porcine à grande échelle. Les Fermes Boréales accueillent quatre – bientôt cinq – maternités ultra-modernes construites selon les plus récentes normes de bien-être animal. Chacune peut loger jusqu’à 2360 truies (notons qu’à partir de 2400, la tenue d’un BAPE aurait été obligatoire). Avec une calculette, on se rend compte qu’Olymel pourra ainsi compter sur quelque 300 000 porcs de plus par année pour ses abattoirs et usines de transformation. Un mégaprojet mené selon les règles en vigueur, mais qui n’a pas fait l’unanimité auprès des citoyens.
Le ministère de l’Environnement assure être proactif dans le dossier des élevages porcins. Il évalue les mesures en place et modifie le cadre légal au besoin, souligne-t-on par voie électronique, afin de mieux protéger l’environnement et la santé publique. On estime que les recommandations du BAPE adressées au ministère par le biais de son rapport ont été prises en considération dans l’élaboration de plusieurs règlements, notamment celui sur le prélèvement des eaux et sur leur protection.
Chez les Éleveurs de porcs du Québec, on considère chose du passé cette accumulation de conflits ruraux autour des élevages porcins. On se souvient des 90 cas recensés en 2003. Merlin Trottier-Picard, directeur aux communications, considère qu’un seul cas de ce genre est actuellement sur la table. C’est celui de la municipalité d’Adstock dans Chaudière-Appalaches. «Nous agissons avant les problèmes, explique-t-il. La fiche Bon Projet est un outil qui aide les producteurs à avoir une communication claire et franche avec la communauté.» Pour cette organisation, la période trouble entourant le moratoire est bel et bien derrière.
La production porcine québécoise actuelle n’évolue plus dans le même contexte d’affaire qu’il y a quinze ans. La crise du porc n’est plus qu’un souvenir pour plusieurs mais ses impacts continuent de se faire sentir dans les campagnes.