Journal d’un vigneron: le plaisir des cuves de 1000 litres - Caribou

Journal d’un vigneron: le plaisir des cuves de 1000 litres

Publié le

14 janvier 2021

Texte de

Sébastien Daoust

Geneviève Thisdel m’aide au vignoble depuis septembre dernier. Elle et moi sommes en attente de terminer un soutirage entre deux cuves de petit volume, 1000 litres bien comptés. En fait, le soutirage est terminé, mais nous discutons de notre temps des fêtes. Nous jasons de notre futur collègue, Thomas, qui devrait arriver au printemps, de France.
cuves 1000 litres sebastien daoust
Geneviève Thisdel m’aide au vignoble depuis septembre dernier. Elle et moi sommes en attente de terminer un soutirage entre deux cuves de petit volume, 1000 litres bien comptés. En fait, le soutirage est terminé, mais nous discutons de notre temps des fêtes. Nous jasons de notre futur collègue, Thomas, qui devrait arriver au printemps, de France.
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6 janvier 2021. Nous philosophons sur le vin. Tout est tranquille dans le chai. On se croise encore les doigts pour que la fermentation malolactique parte pour le vin blanc. Le chai est donc encore un peu chaud. Malo ou non, on baissera la température du chai en février, pour que tous les vins refroidissent. Avec le froid, l’acide tartrique se cristallise, et on désacidifie naturellement notre vin. C’est un bel avantage du Québec: descendre l’acide tartrique est facile chez nous!

J’aime nos cuves de 1000 litres. Elles n’ont aucun gadget comme nos plus grandes cuves. Pas de jacket de froid, pas de bec verseur, pas d’indicateur de volume. Juste une cuve, et un adaptateur standard à boyau d’un pouce et demi. C’est tout. Mais quand vous voulez savoir ce qu’est l’avenir du vignoble, vous regardez dans ces cuves. C’est dans ces cuves que nous avons fait notre premier rouge et notre premier blanc. Voilà deux ans, le pinot gris s’y retrouvait. Cette année, ce sont les vins blancs de macération pelliculaires (vin «oranges»). Les cuves de 1000 litres, c’est l’avenir, ce sont les tests.

vin orange

Une cuve de 1000 litres, c’est là que le plaisir commence.

Geneviève a deux cuvées personnelles en ce moment. Et elle a d’autres idées encore. Son orientation avec ses cuves s’approche grandement des vins natures, ce qui n’est pas propre aux vins traditionnels développés par le vignoble jusqu’à maintenant.

Alors pourquoi pas! Go Geneviève!

L’important, c’est de continuer d’explorer. Et d’avoir du plaisir à le faire.

Au tout début du vignoble, en 2013, alors que je plantais mes toutes premières vignes, un vigneron de grande envergure m’a dit: «Tu ne peux pas plaire à tout le monde, tout le temps, juste à certaines personnes, parfois».

Et je n’ai pas compris ce principe lorsque, quelques années plus tard, un sommelier réputé dans son domaine, a critiqué vertement mes vins, en disant qu’ils n’étaient ni natures, et ni même bios. Dans ses mots, et j’ai encore le courriel: «Vos vins n’ont malheureusement aucun avenir dans les restaurants gastronomiques de Montréal, et vos qualités seraient mieux utilisées à continuer dans le domaine des affaires à la place de la viticulture.» Quelques mois à peine après le décès de mon père, mon partenaire dans cette aventure viticole, disons que ça frappait.

J’ai passé deux ans à éviter tous les restaurants. Je n’osais pas y présenter mes vins. J’étais gêné. Mes amis vignerons blaguaient car j’évitais de leur servir mes vins.

Puis, certaines chroniqueuses en vin ont eu accès à mes produits, et les ont bien appréciés. Elles savent, d’ailleurs, comment je leur en suis reconnaissant. Et c’est là que j’ai réellement recommencé à être fier de présenter mes vins.

Plusieurs mois plus tard, à quelques jours d’intervalle, j’ai tout d’abord reçu l’appel d’un propriétaire d’un restaurant qui voulait avoir mes vins. Il en avait trouvé une bouteille dans une boutique à Québec, et aimait le respect que nous avions pour le raisin sous notre garde. Puis, le sommelier qui m’avait si vertement critiqué avait décidé de critiquer le vin d’un collègue, réputé être nature, mais qui n’entrait pas dans ses critères car «le chêne pervertit le vin».

Et je me suis donc aperçu que j’avais été plus victime de dogmatisme viticole que d’une réelle critique de mes vins. Le contrôle qu’on laisse à certaines personnes de nous définir peut être immense.

Le dogmatisme tue l’initiative et les idées. À force de critiquer les autres de faire ceci ou cela, on réduit nos horizons collectifs. Et on n’aide personne.

Quand Geneviève est arrivée l’automne dernier, pour acheter quelques kilos de raisins, je lui ai demandé ce qu’elle voulait faire avec ça. Et elle avait ses propres idées, différentes des miennes. D’où la raison pour laquelle elle fait partie de l’équipe maintenant. Si elle était arrivée en 2017 ou 2018, je n’aurais jamais osé lui offrir une responsabilité de la sorte. Une personne, une seule, m’avait défini comme un vin industriel. Et j’aurais eu honte de lui offrir une cuve dans mon vignoble.

Mais plus maintenant.

Et je suis loin d’être le seul vigneron qui pense de la sorte. Vous le voyez de plus en plus: des vignobles québécois qui testent des cuvées avec des gens de l’extérieur, qui veulent faire leurs cuvées «personnelles». On l’a fait avec Steven Fortin, le Sommelier Nordiq. Nous avons eu, et continuons d’avoir, beaucoup de plaisir à le faire.

Discuter autour d’une cuve de 1000 litres, c’est ça. C’est de planifier les prochaines idées. C’est le contraire du dogmatisme, des horizons fermés. C’est l’ouverture vers d’autres choses. Tout ça dans une cuve bête.

On ne peut pas plaire à tout le monde, tout le temps. Mais on peut plaire à ses propres idées.

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