Terres agricoles: pour millionnaire seulement - Caribou

Terres agricoles: pour millionnaire seulement

Publié le

21 octobre 2021

etat agriculture quebec
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Plus grand que la panse

L’accès à la terre et la protection des terres agricoles sont deux des questions au cœur du documentaire Québec, terre d’asphalte, diffusé sur ICI Radio-Canada Télé le 16 octobre dernier. Le reporter et agronome derrière ce documentaire, Nicolas Mesly, explique dans cette carte blanche les dangers qui guettent notre territoire nourricier et pourquoi il est important de le protéger au plus vite.

Une carte blanche de Nicolas Mesly

Vous rêvez de contribuer à l’autonomie alimentaire du Québec en ce lendemain de pandémie? Vous voulez développer un projet d’élevage ou de production maraîchère biologique à proximité des grands marchés comme Montréal ou Québec? Pour le lancer, vous aimeriez acheter un lopin de terre?  

Oubliez ça! La terre, le principal outil des agriculteurs, est devenue en 2021 une affaire de millionnaires. Même les fils ou les filles d’agriculteurs et agricultrices ne peuvent y avoir accès sans que leurs parents leur en fassent en grande partie «cadeau». Alors, imaginez si vous n’êtes pas du milieu!

La réalisatrice et documentariste Hélène Choquette en pleine action à la ferme de M. Normand Legault, producteur maraîcher à Laval. Crédit photo: Nicolas Mesly

Pourtant un secteur économique, quel qu’il soit, ne se régénère que par l’apport de sang neuf et d’idées innovatrices. Je pense par exemple aux propriétaires de deux entreprises qui ont déjà fait le sujet de reportages dans ce magazine. Véronique Bouchard, cofondatrice de la Ferme aux petits oignons, et Fernande Ouellet, propriétaire de Rusé comme un canard. Notez que, pour ces deux entrepreneures, l’accès à la terre relève du parcours d’une combattante pour l’une et d’une chance incroyable pour l’autre.

C’est en partie pour soulever l’enjeu de l’accès à la terre en milieu périurbain que j’ai planché sur le documentaire Québec, terre d’asphalte.

Un peu d’histoire

Nous devons collectivement la protection de notre petit jardin nordique à un avocat et économiste du nom de Jean Garon. Il est le père de la Loi sur la protection du territoire agricole (LPTAQ) adoptée par le parlement en 1978. L’histoire le consacre comme le plus grand ministre de l’Agriculture de la province. Le but de cette loi était de mettre un frein à une spéculation outrancière et un étalement urbain anarchique, particulièrement sur le territoire de la Communauté urbaine de Montréal (CMM), là où se trouvent nos meilleures terres agricoles.

Plus de quarante ans après l’adoption de cette loi, la spéculation court toujours comme le rhizome d’une mauvaise herbe. Cette législation, si avant-gardiste soit-elle, a un vice de conception. Je m’explique. Les autorités affirment que les terres agricoles sont un bien public, mais elles reposent entre des mains privées. Cela crée deux classes d’agriculteurs, ceux qui ont de la relève et ceux qui n’en ont pas. En milieu périurbain, les agriculteurs qui n’ont pas de relève peuvent toucher le gros lot, en vendant leurs terres à un promoteur immobilier. Peut-on les blâmer? Ils ou elles protègent leurs retraites comme un propriétaire de maison ou de condo.

Valeur spéculative vs agronomique

En plus, n’importe qui peut acheter des terres agricoles, sans être agriculteur. Investisseurs, entrepreneurs, petits et gros, mafieux, achètent du foncier agricole. On s’entend pour dire que ce n’est pas pour faire pousser des carottes ou des bok choy. Tous ces acheteurs parient, à juste titre, sur le fait que les terres agricoles sont une ressource non renouvelable et que leur valeur ne fera qu’augmenter. Pourquoi? D’une part, parce qu’il faut nourrir les gens. D’ici 2050, la planète comptera plus de 9 milliards d’habitants. 

De l’autre, il n’y a pas d’investissement plus tangible que la terre agricole au lendemain d’un marasme économique, comme celui provoquée par la bulle immobilière et les prêts à haut risque qui ont mené à la crise financière de 2007-2008, la pire depuis la Grande Dépression des années 1930.

Ces investisseurs sont très, très patients. Le gouvernement Legault, par exemple, vient d’annoncer l’agrandissement de l’autoroute 19 à Laval, troisième ville en importance au Québec. Ce projet traîne dans les cartons depuis des décennies et vise à désengorger le trafic infernal de Montréal vers les couronnes nord. En me faisant passer pour un investisseur, je me suis fait offrir une terre zonée verte adjacente à cette route au prix de 300 000$/hectare. C'est dix fois la valeur moyenne des terres les plus dispendieuses de la province, vendues en Montérégie.

Nicolas Mesly en compagnie du producteur maraîcher Raynald Paquette à Laval. L’agrandissement de la A19 annoncé par le gouvernement Legault va amputer les terres cultivées par la famille. Crédit photo: CocoTV

Ces prix spéculatifs n’ont rien à voir avec la valeur agronomique d’une terre. Et ils contaminent la valeur du foncier des producteurs qui restent en affaires. Comment? En faisant augmenter leurs comptes de taxes foncières ou encore le loyer des terres louées à ces mêmes investisseurs spéculateurs. Ce phénomène échappe complètement au chien de garde qu’est la Commission de protection du territoire agricole (CPTAQ).

Dans le cas de la terre agricole offerte à 300 000$/ha à Laval, ce n’est qu’une question de temps pour que la CPTAQ se voit dans l’obligation de la dézoner. La première raison, c’est qu’il n’y a plus d’agriculteurs pour l’exploiter. La seconde, c’est que, sur l’Île Jésus, plus de 50% des terres agricoles n’appartiennent plus à des producteurs, mais à des spéculateurs. Imaginez la pression sur la CPTAQ pour dézoner ce qui reste de zone agricole!

Une ceinture verte

Toronto, Ottawa, Seattle, Londres, toutes ces villes et grandes régions métropolitaines ont en commun d’avoir établi «une ceinture verte» pour pérenniser leur territoire agricole et leur agriculture. C’est une sorte de territoire sacré où l’on reconnaît la valeur de l’agriculture et des services environnementaux que jouent les milieux humides et la biodiversité dans la lutte aux changements climatiques, mais aussi au bien-être de la population. On y a coupé l’herbe sous le pied des spéculateurs.

Tous les urbanistes, économistes, géographes, interviewés dans le cadre de notre documentaire disent que le leadership pour établir une ceinture verte dans la CMM ou encore dans la Communauté métropolitaine de Québec doit provenir du premier ministre, François Legault.

Nicolas Mesly

Si nous voulons voir pousser des fermes comme la Ferme aux petits oignons ou Rusé comme un canard en région périurbaine, il nous appartient, comme citoyens et consommateurs, de provoquer un débat public sur le prix des terres et l’occupation du territoire. Afin d’éviter, au nom des futures générations de Québécois, que notre foncier nourricier soit recouvert d’asphalte.


Québec, terre d’asphalte est une idée originale de Nicolas Mesly, reporter et agronome, et Hélène Choquette, réalisatrice, COCO.TV Créations Inc., producteur. Disponible sur TOU.TV

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