Le grincement de dents de Pascal Hudon: il n’y a que deux bavettes sur un bœuf
Publié le
01 août 2020
Pascal le boucher est une boucherie de quartier située dans Villeray, à Montréal, qui offre des viandes en provenance de fermes familiales du Québec. Le propriétaire Pascal Hudon achète directement des fermiers des carcasses entières qu’il découpe avec son équipe afin de les valoriser de la tête à la queue. Les clients apprécient la qualité du service et des viandes autant que la philosophie d’approvisionnement et de respect du produit. N’empêche que Pascal Hudon ne peut s’empêcher de grincer des dents quand il se fait demander de la bavette pour une énième fois dans la journée.
Texte de Julie Aubé
D’où vient cette irritation à se faire demander de la bavette à répétition?
Je prends la bavette en exemple, parce que c’est un produit vraiment demandé. Mais je pourrais parler de l’onglet ou des jarrets de veau par exemple. En gros, certains morceaux prisés sont présents en quantité limitée sur un animal. Par exemple, il n’y a que deux bavettes sur un bœuf ou que deux biftecks d’onglet. Une fois qu’ils sont vendus, nous avons tout le reste de l’animal à vendre avant d’acheter une nouvelle bête au fermier. C’est une réalité quand on s’approvisionne directement auprès des petits éleveurs. Notre clientèle, qui adhère à notre philosophie d’approvisionnement, est ravie que l’on puisse parler des fermiers, de leurs méthodes, de la provenance de chacun de nos produits. Toutefois, le système alimentaire actuel nous a habitués à avoir accès à tout en tout temps. Les grandes surfaces commandent des boîtes de bavettes afin de pouvoir satisfaire la demande. Mais nous ne pouvons pas faire ça car en travaillant directement avec les petits éleveurs, on s’engage à acheter – et donc à valoriser – les carcasses entières.
Il y a donc une sorte de contradiction à apprécier l’approvisionnement «en direct des fermiers» pour le goût et le sens qu’il donne aux aliments, mais à quand même espérer avoir la coupe souhaitée en tout temps?
Oui, et des fois ça nous tiraille, parce que comme commerçant de quartier, notre mission est de nourrir notre monde, on veut satisfaire nos clients! On souhaite qu’ils soient heureux à chaque visite chez nous. Et c’est certain qu’il y a un petit pincement chaque fois qu’on doit dire «non, nous n’avons plus de bavette», parce qu’on craint que le client soit déçu, qu’il ne nous prenne pas au sérieux et qu’il ne revienne pas nous voir. C’est pourquoi on prend toujours le temps d’expliquer pourquoi on n’a plus de bavette, ce qui nous permet de parler de nos méthodes d’approvisionnement. D’une part, ça nous prend beaucoup de temps et parfois le travail s’accumule, mais d’autre part c’est positif parce que la très grande majorité des gens comprennent et ressortent heureux avec une autre coupe que nous avons suggérée.
Une partie de notre travail devient donc de déconstruire les attentes des clients, et de participer ainsi à une certaine forme de sensibilisation agroalimentaire. Ça nous prend du temps, mais ça fait partie de notre mission, et on ne peut que saluer l’ouverture d’esprit des gens qui comprennent nos explications et qui deviennent ainsi des alliés dans un système d’approvisionnement qui mise sur la proximité.
Puisque la saison du barbecue est loin d’être terminée, que pourrait-on demander comme coupe pour changer de la bavette?
Je réalise que les gens demandent la bavette car c’est ce qu’ils connaissent, mais ils sont très réceptifs à être dirigés vers une autre coupe à griller, et ce ne sont pas les idées qui manquent! On peut penser à l’aiguillette baronne, au persillé ou encore à l’entrecôte paysanne par exemple. Mais il demeure que la meilleure chose, selon nous, c’est de ne pas arriver avec une idée précise de la coupe avec laquelle on repartira, et de se laisser plutôt inspirer par la suggestion du boucher. Par exemple, si vous souhaitez faire un barbecue, demandez «qu’est-ce que vous avez à me suggérer comme viande à griller?» ou l’hiver «qu’est-ce que vous avez d’intéressant comme viande à braiser, ou à mijoter?». Un peu comme au kiosque d’un maraîcher: quand toutes les laitues romaines sont vendues, on va prendre une laitue frisée ou du mesclun. Nous sommes choyés d’avoir des clients qui apprécient notre démarche qui vise à raccourcir la chaîne d’approvisionnement et à soutenir l’agriculture familiale d’ici. Reste à développer la souplesse d’adapter ses repas à ce qu’il y a à offrir, à la boucherie comme ailleurs!