La terre de personne, pour toujours et pour tous - Caribou

La terre de personne, pour toujours et pour tous

Publié le

27 juillet 2020

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Plus grand que la panse

Il arrive qu’un lopin soit squatté par quelques maraîchers anarchistes. Sans demander la permission, et surtout pas au propriétaire des lieux. Mais ce peut-il que ce soit le propriétaire qui décide de donner sa terre, à tout le monde? Et ce, à perpétuité? C’est possible oui, mais ce n’est pas simple. La fiducie d’utilité foncière sociale et agricole (FUSA), voici un nouveau modèle tout juste fabriqué cette année dans les contrées du Bas-Saint-Laurent.

Texte et photos de Nicolas Paquet

En 2004, quand Jean Bédard et Marie-Hélène Langlais ont quitté leur confortable chalet au bord de l’eau pour s’enraciner le long de la 132, au Bic, dans une vieille maison à animer et rénover, une grande aventure prenait son envol. « Nous étions un couple en danger d'embourgeoisement (la lèpre de l'âme). Après la publication de [mon livre], Maître Eckhart, j'étais personnellement en ivresse de succès, je le ressentais sans en saisir tout le péril. Nous avons décidé de faire quelque chose qui nous jetterait sur le plancher des vaches, des jeunes et des pauvres», raconte Jean.

C’est ainsi qu’est née Sageterre, une ferme collective écologique, qui a vu passer depuis des milliers d’amoureux de la terre et des dizaines de projets horticoles, maraîchers et d’élevages. Les fondateurs ont offert un accès au sol à des jeunes et moins jeunes motivés, en leur prêtant un bout de terrain à bon marché, voire à prix très modique, créant ainsi une joyeuse communauté. 

En 2020, cette bande de comparses amorce un nouveau périple, alors qu’ils viennent de créer l’une des premières fiducies d’utilité sociale et agricole (FUSA) au Québec. En quelques mots, la ferme n’a plus de propriétaires, et est dotée d’une mission qui doit guider tous les gestes posés sur la terre. Celle-ci doit bénéficier au bien-être de ceux qui portent les différents projets (potager, poulailler, élevage de lapins, verger, etc.) ou encore aux citoyens qui habitent ce coin de pays. Un projet qui ne répondrait pas à ce principe moteur serait tout simplement rejeté. L’intérêt propre des membres ne doit pas nuire à la mission de la FUSA. Et quelle est cette mission? L’écologie, au sens que la comprend la Charte de la terre rédigée en 1997, c’est-à-dire qu’elle embrasse tous les êtres vivants, et les êtres humains dans toutes leurs dimensions. La santé de la «nature» va de pair avec les êtres humains qui en font partie. Cela passe entre autres par une alimentation saine et locale, mais aussi par des relations enrichissantes et le partage d’un but commun à travers un esprit de confrérie terrienne.

Jean Bédard

Aux yeux de Jean Bédard, paysan et écrivain, la solution à la crise écologique actuelle passe par une sortie de la propriété dite privée. «La vie collective devient une nécessité. L’idée de la maison totalement autonome, c’est un rêve individuel, comme une cloche d’apparence écologique.» Pour le philosophe, auteur notamment de L’écologie de la conscience, la FUSA permet une transition où chacun trouve son rôle. «Chacun loue, louange et love la terre. Avoir SA maison, trop souvent c’est une illusion de propriété, car elle appartient d’abord à la banque. La propriété telle qu’on la connaît et l’écologie que l’on doit avoir sont incompatibles.»

«Tout le monde est locataire et nous sommes tous égaux. Cela veut aussi dire que nous portons tous l’avenir et la responsabilité envers la rentabilité de notre projet, mais aussi la viabilité de l’ensemble de la FUSA. Ce qui implique l’entretien de la ferme et de toutes les installations.»

Jean Bédard

Il y a présentement neuf projets sur le terrain. Par exemple, La dérive, un grand potager avec vente à la ferme et au marché, le Verger d’Arianne, avec ses kiwis de Sibérie, qui a pour objectif «démonstratif» de mettre en lumière des plantes très rustiques, ou encore le Jardin de Karine, avec ses jardiniers bénévoles qui sont des étudiants/bénéficiaires de l’Université du Québec à Rimouski. La FUSA touche aussi la dimension sociale et spirituelle de l’être humain, avec Égo/Éco, un organisme qui orchestre des stages éducatifs et de conscientisation à la ferme, tout comme des ateliers d’art social. À tout cela s’ajoute l’organisation de séminaires philosophiques et plusieurs repas improvisés en petits groupes où l’avenir de la société nourrit les esprits.

Un long chemin vers la FUSA

Pour faire don de la maison de cinq logements, de la ferme et du terrain de Sageterre, il a fallu des mois de démarches, et plusieurs rendez-vous avec la notaire, pour rédiger la mission, rendre le tout parfaitement légal et adapté à la volonté des fondateurs. En bout de piste, la FUSA ressemble sous certains aspects à un organisme à but non-lucratif, car elle ne vise pas à bonifier ses avoirs. Mais plus encore, elle ne peut être vendue et ne peut pas contracter d’hypothèque qui la mettrait à risque d’être reprise par la banque en cas de problèmes financiers importants. Elle est insaisissable. Elle peut prendre de la «valeur». Toutefois, elle reste à l’abri de la soif de profits qui serait l’apanage d’un regroupement financé par des actionnaires.

En plus de la santé de leurs projets respectifs, en grand comité, les responsables de projets voient à partager les contributions pour couvrir les dépenses courantes et communes. À chaque rencontre, ils pensent et construisent de manière tangible le rôle social définit dans la mission de la FUSA. Plus qu’une ferme de production, c’est également un espace d’échanges et de réflexion. 

En ces temps de pandémie, la ferme reçoit nombre d’offres de la part de gens qui sont prêts à donner un coup de mains. Une aide bienvenue dans la sècheresse actuelle. Si cela peut annoncer la création d’un plus grand nombre de FUSA dans les prochaines années, Jean Bédard et Marie-Hélène Langlais pourront dire mission accomplie, une fois de plus.

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