La fameuse ligne du Bye Bye 2023 sur les vins du Québec
Publié le
11 janvier 2024
Texte de
Sébastien Daoust
L’extrait est court, et le propos m’a fait rire. Pour résumer, un vigneron mentionnait que malgré la pluie, il allait produire des vins nature du Québec de faible qualité, et que ça n’empêcherait pas les consommateurs du Plateau–Mont-Royal de les admirer, même s’ils sont vendus 50$.
— Pour écouter ou réécouter le sketch du Bye Bye: Les changements climatiques à La semaine verte
J’ai trouvé ça amusant, parce que c’est une caricature de l’industrie. Les goûts, dans le vin, sont très personnels. Il y a des modes, des tendances, ce que l’on buvait dans les années 1980 est à des années lumières à ce qu’on boit de nos jours. Il en sera de même dans 20 ans.
Donc, j’ai laissé ça de côté, surtout que ça arrivait dans le tout dernier segment de Bye Bye, une minute avant la fin. Le passage est court, le clin d’œil est donné.
Le 2 janvier, je m’en fais encore parler, par un ami. Puis le 3 et le 4, par deux clients que j’aime bien. Une journaliste de CTV essaie de me faire sortir les vers du nez, mais je ne partage pas son point de vue. On n’attaquait pas les vins du Québec, on caricaturait tout au plus une certaine tendance du marché. Peut-on rire encore un peu en ce bas monde?
Mais encore aujourd’hui, dans une rencontre avec des professionnels en œnologie, c’était le sujet de conversation. Je commence à être moins surpris, ça fait une semaine que je m’en fais parler!
Alors, découpons la critique en deux morceaux.
Les prix
Le prix est l’une des critiques les plus constantes quand nous parlons des vins du Québec. Mais cette critique provient souvent d’une personne qui, ayant vu une bouteille de vin du Québec à 30$ dans une épicerie, vient à comparer le tout avec un vin bon marché à 20$ à la SAQ.
La comparaison se comprend, mais elle est maladroite. Si, par la loi, les vins embouteillés à l’étranger étaient admis en épicerie, ils seraient tout de même assujettis à la majoration de la SAQ. L’effet de la majoration de l’épicier par-dessus la majoration de la SAQ en ferait augmenter grandement le prix. Pour se donner une idée de cette différence, prenez les restaurants-boutiques, proposant des vins d’importation privée. Ces mêmes restaurants-boutiques offrent bien souvent des vins du Québec, et nos produits locaux y sont compétitifs en termes de prix.
Mais là où l’on peut comparer encore plus l’impact réel du prix, c’est sur les tablettes de la SAQ. Sur les 200 vins «Origine Québec» à la SAQ, plus de la moitié sont en bas de 20$. Et les deux tiers sont en bas de 22$. Au-dessus de ça, nous retrouvons des vins de glace et des vins de vendange tardive, pour lesquels nous comprenons que la structure de prix est différente (comme pour les liquoreux étrangers, par exemple). Donc, les vins du Québec offerts à la SAQ sont aux mêmes prix que les vins étrangers. Nous ne sommes pas plus chers.
La qualité
La qualité est un critère plus subjectif. Pour moi, ça commence par l’absence de défauts. J’ai la chance de goûter à près de 300 à 400 vins du Québec par année à l’aveugle, faisant partie du comité d’agrément de l’IGP Vins du Québec. Un lundi chaque quatre semaines, j’ai devant moi des vins qui veulent obtenir l’appellation IGP Vins du Québec. J’en goûte entre 20 et 40 par séance, et je note s’ils ont un défaut ou non. Je ne suis pas seul, nous avons une rotation de 4 autres juges, dont deux provenant de la SAQ. Certains vins sont rejetés, mais sur l’ensemble, les juges s’entendent pour dire qu’il n’y a pas de défauts, que les vins sont bons.
Ce ne sont pas tous les vins du Québec qui passent par ce comité. Mais c’est un ensemble assez grand pour être considéré comme statistiquement représentatif. Par ailleurs, pour ceux qui ne soumettent pas leurs vins à ce panel, il reste que les vignerons québécois font parler d’eux par les divers chroniqueurs en vin dans nos médias, parfois même dans des médias étrangers. Et nos vins reçoivent maintenant régulièrement des médailles dans divers concours aux côtés de vins internationaux. Ces concours sont, comme toujours, à l’aveugle. Donc on ne peut pas dire que les juges ont un parti pris.
Reste-t-il des vins avec des défauts, des vins commercialisés qui sont à la limite de l’acceptable? Oui, comme partout ailleurs dans le monde. Certains sont trop maquillés, d’autres beaucoup trop dénudés. Le sketch du Bye Bye mentionnait les vins nature. C’est porter ombrage à tous les vignerons visant cet épithète, qui ont une solide discipline œnologique leur permettant de réduire au minimum les intrants dans leurs vins – tout en produisant des vins de haute qualité.
Là où la critique fait mal
J’aimerais remercier, donc, les gens qui ont produit le Bye Bye. Parce que ça me fait toujours rire. Et que ce coup-là, ça m’a aussi fait réfléchir.
Quand vous êtes seul chez vous, à prendre un verre d’un vin que vous n’aimez pas, vous vous dites que c’est peut-être vous le problème. Mais quand vous, comme 4,5 millions de personnes, voyez que certains le pensent aussi, même à la blague, ça fait son chemin.
A posteriori, la caricature du Bye Bye a peut-être fait ressortir quelque chose que j’ai pris du temps à voir. Tous les gens qui m’en ont parlé ont été, minimalement, influencés par cette caricature. En marketing, on dit que la pire stratégie est de laisser les autres nous définir. Et quand on sait que les vins du Québec n’occupent que 1% du marché, mais que près de 50% de la population a vu le Bye Bye, on doit redoubler d’efforts pour contrer cette parodie. Si on veut atteindre le prochain 1% du marché, il faudra écouter et analyser toutes les critiques. Même les caricatures.