Janette Bertrand et ses recettes - Caribou

Les recettes de Janette

Publié le

24 mai 2024

Texte de

Virginie Landry

Photo de

Julien Faugere lowres

Pour sa remarquable contribution à la culture culinaire québécoise et à notre patrimoine de recettes, c’est à Janette Bertrand que sera remis le Laurier Hommage à la prochaine cérémonie des prix Lauriers de la gastronomie québécoise, le 27 mai prochain. Discussion avec l’autrice qui, grâce à un seul et unique livre de recettes, aura réussi à faire cuisiner du jambon au foin, du rôti de palette et de la truite en gelée à plusieurs générations de Québécois et Québécoises.
Pour sa remarquable contribution à la culture culinaire québécoise et à notre patrimoine de recettes, c’est à Janette Bertrand que sera remis le Laurier Hommage à la prochaine cérémonie des prix Lauriers de la gastronomie québécoise, le 27 mai prochain. Discussion avec l’autrice qui, grâce à un seul et unique livre de recettes, aura réussi à faire cuisiner du jambon au foin, du rôti de palette et de la truite en gelée à plusieurs générations de Québécois et Québécoises.
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— Quelle a été votre réaction lorsque vous avez su que vous seriez honorée aux Lauriers de la gastronomie québécoise?

D’abord, je ne m’y attendais pas du tout. Et puis, quand tu es vieux, tu vas à des enterrements. Tu entends les hommages que les gens rendent aux défunts et tu te dis, pourquoi n’ont-ils pas dit ça alors que la personne était encore en vie? Moi, on me le dit pendant que je suis encore là. Je suis contente, bien que je ne m’enfle pas la tête avec ça.

— À quand remonte votre intérêt pour la cuisine?

Quand j’étais jeune, je me suis intéressée à la cuisine pour une raison : être aimée par mon père. Il aimait beaucoup jouer avec mes frères au baseball, au hockey. Je me suis vite rendu compte que si je voulais avoir son attention, je devrais lui préparer à manger. C’est triste, mais c’est ça. J’ai fait beaucoup de cuisine pour me faire dire que mon sucre à la crème par exemple était le meilleur qu’il n’ait jamais mangé.

— Vous n’avez écrit qu’un livre de recettes, «Les recettes de Janette et le grain de sel de Jean», publié en 1968. Il fut réédité en 2005 et vous y avez ajouté 165 nouvelles recettes. D’où vous est d’abord venue l’idée de publier ce livre, il y a 56 ans de cela?

À l’époque, j’étais à la radio avec mon ancien mari, Jean Lajeunesse. On animait à CKAC l’émission «Mon mari et nous» en direct de notre maison de Westmount. Le midi, mes enfants venaient dîner et pendant l’émission, mon mari me demandait «qu’est-ce que tu leur fais à manger aujourd’hui?». Et moi, comme une folle, je faisais à manger pendant l’émission! Je décrivais mes recettes à la radio. À un moment donné, un éditeur m’a approchée et m’a dit que sa femme faisait toujours mes recettes. Il m’a demandé pourquoi je ne les publiais pas. Je lui ai dit qu’elles n’étaient pas toutes mes recettes, mais plutôt mon répertoire à moi! Tout ça pour dire qu’on en a fait un livre… et ç’a tellement marché!

«Quand je vois du monde dans les salons du livre venir se chercher une nouvelle copie de mon livre de recettes parce que le leur est sale et déchiré, ça me fait tellement plaisir.»
Janette Bertrand

— Comment expliquer que vos recettes aient passé l’épreuve du temps, qu’on les cuisine encore et toujours?

Parce que c’était des recettes extraordinairement faciles. Avant, les recettes étaient souvent écrites par des hommes dont c’était le métier. Mais moi, j’étais une femme qui travaillait, qui avait trois enfants et qui avait une émission tous les jours à la radio. Alors je coupais les coins ronds quand je cuisinais. Ce livre aurait d’ailleurs pu s’appeler «Cuisine pour femmes qui travaillent». C’est ce qui explique son succès.

— De quelle recette vous parle-t-on encore le plus?

Mon rôti de palette. C’est la recette qui a fait décoller les ventes du livre. Je ne sais pas trop où j’avais pris ça, je l’ai peut-être inventée. C’était du bœuf avec un sachet de soupe à l’oignon Lipton, cuit dans du papier d’aluminium. À l’époque, tous les jeunes qui partaient en appartement cuisinaient ça.

«J’aime quand les gens me racontent mes recettes, quand ils ont des histoires rattachées à mon livre.»
Janette Bertrand

— Pourquoi ne pas avoir publié d’autres livres de recettes?

Je n’ai plus eu le temps. Mon intérêt est allé vers d’autres choses. J’ai tout de même continué à ramasser des recettes dans un tout petit livre, toutes écrites à la main. Il y a beaucoup de raccourcis dedans, je n’explique pas des affaires… Je n’ai jamais rien fait avec ça, je ne sais pas ce que j’en ferai. Ce sont des recettes pour moi. D’ailleurs, il m’enrage mon petit livre! Je dois passer au travers pour trouver une recette!

— À votre avis, comment est-ce que la place des femmes – ainsi que celle des hommes! – en cuisine a-t-elle évolué depuis la parution de votre livre de recettes?

La dernière chose que mon mari [NDLR : Jean Lajeunesse, de qui elle a divorcé en 1981] m’a dite avant qu’on se sépare, c’est: «tu as oublié de me dire comment faire une omelette». Avant, les hommes ne faisaient pas à manger à moins d’être vraiment mal pris… Les choses ont changé. Maintenant, ils ont pris goût à faire la cuisine et ils se sentent valorisés lorsqu’ils le font. Il faut arrêter d’être à côté des hommes pendant qu’ils cuisinent et leur dire «tu ne fais pas ça comme moi». C’est la pire chose! Après, il n’aura plus envie de cuisiner.

Mon fils Martin, quand il veut se plaindre de moi, il raconte qu’à trois ans, je le faisais essuyer la vaisselle. Je réponds toujours… «pourquoi pas»? Je l’asseyais sur le comptoir et je lui donnais les chaudrons et un linge. C’est un bon mari, maintenant!

— Et en 2024, où en sommes-nous rendus?

Ce qui me choque, c’est qu’avant, ce sont les femmes qui faisaient la cuisine, qui ont jeté les bases des plus grandes cuisines. Mais quand il y a une gloire quelque part qui appartient aux femmes, les hommes viennent la chercher. C’est ce qui est arrivé avec la cuisine, les hommes se sont emparés de ça. Et maintenant, les chefs, des hommes surtout, sont des vedettes!

— Vous avez eu 99 ans cette année. Quelle est votre relation avec la nourriture et comment a-t-elle évolué avec le temps?

Je t’avoue que j’ai perdu le désir de manger. C’est triste! Ça ne me tente jamais de manger, je n’ai plus d’appétit. Donald [NDLR: son conjoint des 40 dernières années] me fait des surprises, il essaie de me titiller l’appétit. Toutefois, il m’arrive d’oublier de manger. J’ai fait une septicémie à 95 ans, est-ce que c’est ça qui m’a coupé l’appétit ou la vieillesse? Je ne sais pas. La vieillesse, c’est une succession de deuils des petits plaisirs.

Questions rapides avec Janette Bertrand

Un aliment nostalgique? Les huîtres, c’était très festif quand j’étais jeune. Mon père achetait chaque année un baril d’huîtres et mettait ça dans la cave. Fallait les manger! J’ai des souvenirs d’aller marcher après le souper parce que j’avais mangé trop d’huîtres. Dans mon estomac ça faisait flouc flouc. J’aime encore ça: des huîtres avec un petit peu de fromage.

Que sert Janette Bertrand lorsqu’elle a quelque chose à célébrer? Beaucoup de nourriture! J’aime préparer de la bouffe en grande quantité. À la campagne, j’ai un chalet en bois rond avec un énorme poêle à six ronds. Quand tous les ronds sont ouverts et que le four est plein, j’éprouve une grande satisfaction.

Le plat le plus emblématique du Québec? Je dirais la fameuse sauce à spaghat’. Tout le monde a sa recette parce que ce n’est pas très cher à faire.

Votre recette de Janette préférée? Le jambon dans le foin. C’est absolument extraordinaire. Je le fais encore! Il y a aussi mon gâteau aux bananes. C’était la recette de ma grand-mère, elle cuisinait si bien. Il y a sept bananes dedans, c’est nourrissant, dense.

La recette… de la longévité? Avoir de l’intérêt pour les autres. Être curieux. Sinon, tu vieillis vite.

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