Les Pervenches: 25 ans à faire du vin autrement - Caribou

Les Pervenches: 25 ans à faire du vin autrement

Publié le

17 juin 2025

Texte de

Geneviève Vézina-Montplaisir

Cette année, le vignoble Les Pervenches, situé à Farnham, dans les Cantons-de-l’Est, célèbre ses 25 ans. Fers de lance de la nouvelle vague de vignerons québécois, Véronique Hupin et Michael Marler ont été parmi les premiers au Québec à faire de la viticulture biologique et à produire des vins avec les préceptes de la biodynamie. Ils ont été des pionniers de la vinification sans intrant et travaillent avec les vitis viniferas depuis leurs débuts. Les vins du couple occupent depuis longtemps une place de choix sur les cartes des meilleurs restaurants de la province et leur vignoble a accueilli au fil des années plusieurs apprentis vignerons. Caribou s’est entretenu avec le duo chouchou de la viticulture québécoise afin de revisiter les 25 ans de leur vignoble.
les pervenches
Cette année, le vignoble Les Pervenches, situé à Farnham, dans les Cantons-de-l’Est, célèbre ses 25 ans. Fers de lance de la nouvelle vague de vignerons québécois, Véronique Hupin et Michael Marler ont été parmi les premiers au Québec à faire de la viticulture biologique et à produire des vins avec les préceptes de la biodynamie. Ils ont été des pionniers de la vinification sans intrant et travaillent avec les vitis viniferas depuis leurs débuts. Les vins du couple occupent depuis longtemps une place de choix sur les cartes des meilleurs restaurants de la province et leur vignoble a accueilli au fil des années plusieurs apprentis vignerons. Caribou s’est entretenu avec le duo chouchou de la viticulture québécoise afin de revisiter les 25 ans de leur vignoble.
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— Pourquoi avez-vous eu envie de faire du vin il y a 25 ans?

Michael (Mike): En fait, on a décidé cinq ans avant l’achat du vignoble d’êtres vignerons! En 1995, quand j’étais à ma deuxième année d’université en ingénierie agricole, à Toulouse, en France, Véro est venue me rejoindre et on est allés chez Nicolas Maillet [ndlr: vigneron de la Bourgogne]. Nicolas allait à l’école avec moi et il nous avait invités au vignoble de ses parents.
C’est là que j’ai taillé mes premières vignes et que suis tombé en amour avec elles. J’ai alors dit à Véro: «Je veux être vigneron!»

Véronique (Véro): Il y avait le vin, mais il y avait tout le lifestyle autour du métier qui nous a charmés. On trouvait que ça avait l’air d’une belle vie.

Mike: Le côté agricole, paysan, ça m’a tout de suite plu. Et à cette époque, en 1995, pour quelqu’un qui étudiait en agriculture, l’avenir c’était les grandes cultures, la production laitière ou porcine…

Véro: Il y avait la production de fromages artisanaux qui commençait au Québec. On y a pensé. Mais moi, j’ai grandi sur une ferme laitière et c’était clair que je ne voulais pas d’animaux. J’avais vu mes parents ne pas pouvoir prendre de vacances à cause des animaux.

Mike: Avec la viticulture, on a réalisé qu’il y avait moyen de faire de l’agriculture sans acheter 100 hectares de terre, des gros tracteurs et faire de très gros investissements. J’y ai vu un modèle agricole dans lequel il y a un côté artistique, technique, scientifique et au bout duquel, en plus, le produit est fantastique!  Ça fait parfois beaucoup d’éléments à gérer, mais c’est cet aspect multiple qui nous a attirés vers le vin.

— Et qu’est-ce qui fait qu’aujourd ‘hui, 25 ans plus tard, vous avez encore envie de faire du vin?

Véro: Il y a la communauté du vin autour de nous et à Montréal  qui est tellement vivante et inspirante, qui nous stimule beaucoup. Une autre chose qui nous pousse à continuer c’est le fait qu’on soit deux dans l’aventure: on s’alimente continuellement. Quand il y a un qui est un peu plus down, l’autre peut prendre le relais, ça se fait naturellement.

Les premières années, on a quand même connu de très gros défis. Quand on a acheté le vignoble, la première chose que le propriétaire nous a dit c’est: «le chardonnay, il va falloir l’arracher parce que ça ne produit pas». On a goûté ce qu’il y avait dans les cuves, et on trouvait qu’il y avait du potentiel. Notre première mission a donc été de faire produire le chardonnay. Mike a réfléchi comme un démon, il a fait des recherches, il est allé à des conférences. Une fois que ça a marché, on s ‘est dit: «ok, on en plante un peu plus».

Mike: Aujourd’hui, les défis continuent et ce sont eux qui nous alimentent et qui nous poussent à continuer.  De toute façon, on se ne verrait pas faire autre chose.

«C'est plus qu'un boulot notre vignoble, c’est un mode de vie.»
Michael Marler

— Comment les vins du Québec ont changé depuis vos débuts?

Véro: Je pense qu’il y a définitivement eu une élévation dans la qualité des vins québécois depuis 25 ans. Il y a eu quand même du gros travail de fond qui a été fait dans les premières années avec la création de l’IGP (Indication Géographique Protégée). Même si malheureusement, l’IGP Vins du Québec n’a pas eu le succès escompté, il a participé à augmenter la notoriété des vins d’ici auprès des pairs, des chroniqueurs vins, de tout le monde.

Je crois aussi que les années pendant lesquelles Yvan Quirion a été président du Conseil des Vins du Québec et qu’il martelait qu’il fallait augmenter la superficie de culture de la vigne au Québec, ont contribué à développer le vignoble québécois. Ce n’était pas notre vision pour notre vignoble à nous de planter davantage, mais on respectait sa vision. Justement, ça prend plus qu’un joueur, plus d’une vision dans une industrie.

Mike:  L’ouverture des différents marchés a également contribué au développement de l’industrie viticole au Québec. En 1999, quand on a eu le droit de vendre nos vins dans les restaurants, nous avons décidé d’exploiter ce marché. Autour de 2010 on a aussi senti une volonté d’aider venant de la SAQ. Ça a ouvert la porte aux plus gros vignobles. La vente en épicerie et la pandémie ont aussi eu un gros impact sur l’augmentation des ventes de vins québécois.

Véro: Aujourd’hui, on est capable d’aller au resto de commander du vin québécois et de boire le vin de nos collègues avec plaisir. Ce n’était pas le cas il y a 25 ans.

Les Pervenches

— Après 25 ans, est-ce que vous trouvez qu’on a développé une identité viticole propre au Québec?

Mike: Tout à fait. Quand on voyage, et qu’on boit du vin d’ailleurs, on se dit souvent qu’on a hâte de revenir aux vins blancs du Québec. Ils sont légers, ils ne sont pas surfaits, ils ont un équilibre incroyable entre l’alcool et l’acidité. C ‘est sûr qu’il y a des trucs fantastiques qui se font ailleurs dans le monde, mais je trouve que c’est incroyable ce qu’on a comme blancs au Québec.

— Selon vous, quelle est votre contribution à la viticulture d’ici?

Véro: Je dirais que nous avons prouvé qu’on pouvait avoir du volume et de la qualité avec les vitis viniferas au Québec. Il y en avait avant nous qui avait tenté l’expérience, mais beaucoup avaient arraché leurs vignes car il n’avaient pas été satisfaits des résultats.

Mike: Le vignoble Négondos était certifié bio avant nous. Quand on s’est mis nous aussi en régie bio, on se faisait traiter de fous, de menteurs. On nous disait que c’était impossible d’être bio au Québec en viticulture. On a prouvé le contraire, on a montré comment on pouvait le faire. Puis aujourd’hui, il y a vraiment une tendance vers la viticulture biologique au Québec.

On a commencé à afficher qu’on était certifié bio puis biodynamique sur les étiquettes en 2019 seulement, quand on a refait notre image de marque. Ce n’était pas sur les étiquettes avant car on le faisait vraiment pour nous.

En 2015-2016, on avait une bonne partie de nos vins qui étaient faits sans intrant. Ils étaient juste un petit peu sulfités à l’embouteillage. Tout le monde disait qu’on faisait des vins natures. On a réalisé qu’il y avait un gros flou dans tout ce qui était vins nature donc on ne voulait pas utiliser ce terme. Comme on avait une gamme sans intrant et une avec et on s’est juste dit «les vins qu’on fait sans intrants, on les aime, faisons toute la gamme sans intrant». Donc aujourd’hui, on ne dit pas qu’on fait des vins nature, on dit qu’on fait des vins sans intrant.

— Pensez-vous que c’est plus facile partir un vignoble aujourd’hui que ça l’a été pour vous il y a 25 ans?

Mike: Le marché est plus facile. Le financement est plus facile. Les terres sont plus chères aujourd’hui, mais il y a tellement plus d’aide, plus de subventions, c’est fou. Nous, on ne recevait rien! Aujourd’hui, je vois des jeunes qui commencent: ils n’ont pas encore de raisins mais ils ont déjà une étiqueteuse! Moi j’en ai eu une en 2016 seulement, près de 20 ans après nos débuts! Ils sont tous super équipés. Tu vas dans leur chai et tout est neuf!

Véronique: Il y a des choses qui sont peut-être plus faciles, d’autres moins. Les maisons sont tellement chères, les salaires à verser sont plus élevés. Oui, le marché est quand même plus facile, mais certains marchés, par exemple, celui des ventes en épicerie, ont ralenti.

— Plusieurs personnes sont passées chez vous avant de partir leur vignoble ou pour parfaire leurs connaissances viti-vinicoles. Qu’est-ce que ça vous apporte de travailler avec la relève?

Véro: Quand on a parlé tantôt de ce qui nous alimente et de ce nous donne encore envie de faire du vin après 25 ans, ça c’est une autre raison: continuer d’avoir des jeunes avec nous.

Mike: On adore avoir le point de vue des jeunes sur ce qui se passe dans le monde du vin, leur manière de voir l’agriculture. Ils sont inspirants pour nous aussi car ils arrivent avec beaucoup de connaissances, ils sont super instruits, ils savent ce qu’ils veulent. Ils ont des visions différentes des nôtres et on peut apprendre d’eux.

Et quand tu es le mentor de quelqu’un, tu ne peux pas dire de niaiseries et tu ne veux pas lui montrer tes mauvaises habitudes! Donc, avoir quelqu’un qui est chez toi pour apprendre ça te pousse à améliorer tes pratiques. Ce qui est bien aussi, c ‘est que ça devient des amis et on partage beaucoup. On s’appelle les uns les autres pour avoir des avis. Ça crée une belle synergie.

Les Pervenches

— Si vous pouviez parler à Véronique et Mike d’il y a 25 ans, qu’est-ce que vous leur diriez?

Mike: Plante pas le frontenac! Plantes du pinot noir tout de suite! Je lui dirais aussi de ne pas attendre 2012 pour faire des gros investissements comme une tour à vent et un pressoir!

Véro: Je ne pense pas que la Véronique d’il y a 25 ans aurait rêvé être où on est aujourd’hui.  On a soutiré du vin cette semaine, et on avait comme 6000 litres de pinot noir. Je n’aurais jamais pu imaginer ça, même il y a 10 ans. Je n’aurais pu imaginer une belle année de culture comme celle que nous avons eu l’an passé.

Mike: Il y a 25 ans, c’était impossible de visualiser ce qu’on fait aujourd’hui car il y avait trop de barrières. Tout le monde nous disait: «Les vinifieras, ça ne marche pas. Le bio, ça ne marche pas. Le marché québécois n’est pas là».

Véro: On n’aurait jamais pu imaginer la notoriété qu’on a réussi à construire, car ça s’est fait naturellement. On n’a pas couru après. Après 25 ans, on continue toujours d’avoir de belles tapes dans le dos et c’est gratifiant.

Un beau cadeau pour leur 25e anniversaire!

Le 26 mai 2025, Véronique Hupin et Michael Marler ont remporté le Laurier de la gastronomie québécoise dans la catégorie Vigneron.ne ou producteur.ice de boissons de l’année.
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