L’extraordinaire simplicité d’Émilise Lessard-Therrien - Caribou

L’extraordinaire simplicité d’Émilise Lessard-Therrien

Publié le

11 novembre 2025

Texte de

Sophie Mediavilla-Rivard

Quand je lui demande sous quel chapeau elle désire être présentée, Émilise Lessard-Therrien hésite. Meunière à temps partiel, agricultrice, cueilleuse, entrepreneure, ex-députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue et ex-co-porte-parole de Québec solidaire, chroniqueuse… Chose certaine, depuis qu’elle a troqué le calendrier parlementaire pour le rythme des saisons, elle ne chôme pas sur ses 200 hectares de terre dans le village de Duhamel-Ouest, au Témiscamingue. Malgré son inquiétude face au climat social et politique actuel, elle continue de rêver d’autosuffisance et de se consacrer corps et âme à cet idéal – surtout en plein temps des récoltes!
émilise lessard-therrien
Quand je lui demande sous quel chapeau elle désire être présentée, Émilise Lessard-Therrien hésite. Meunière à temps partiel, agricultrice, cueilleuse, entrepreneure, ex-députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue et ex-co-porte-parole de Québec solidaire, chroniqueuse… Chose certaine, depuis qu’elle a troqué le calendrier parlementaire pour le rythme des saisons, elle ne chôme pas sur ses 200 hectares de terre dans le village de Duhamel-Ouest, au Témiscamingue. Malgré son inquiétude face au climat social et politique actuel, elle continue de rêver d’autosuffisance et de se consacrer corps et âme à cet idéal – surtout en plein temps des récoltes!
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— Entre toutes tes occupations, à quoi ressemble ton quotidien?

C’est super varié! Un an et demi après mes aventures politiques, je suis encore en train de redéfinir ma vie. L’an dernier, à pareille date, je commençais un diplôme d’études professionnelles en production horticole. L’école à temps plein a été très prenante. En parallèle, je développais mon entreprise, les Glaçons du Pays. Il s’agit de popsicles à base d’eau de bouleau, aromatisés avec des sirops forestiers.

J’ai fini mon cours à la fin juin; juste à temps pour le rush des marchés et de la commercialisation de nos nouveaux produits. Heureusement, depuis que les enfants ont recommencé l’école, ça ralentit. Je passe pas mal de temps devant mon ordinateur pour planifier la prochaine saison, mais, surtout, le déploiement de nos glaçons.

Je suis aussi beaucoup dans mon jardin, parce qu’il y a quelques semaines, on a ouvert un kiosque libre-service où on vend nos légumes pour amener un service de proximité dans le rang. Enfin, je passe à peu près deux jours par semaine en forêt à faire de la cueillette d’aromates pour les tisanes, les marchés de Noël et mes glaçons.

— D’où est née l’idée des Glaçons du Pays?

Au printemps 2023, j’étais dans la phase creuse de mon expérience politique. Ma thérapie a été de récolter l’eau d’érable en forêt. À la fin de la saison, mon processus de guérison n’était pas assez avancé — j’ai donc commencé à récolter l’eau de bouleau. On en a fait du sirop, mais c’est un processus très énergivore. Savais-tu que ça prend 140 litres d’eau de bouleau pour faire un litre de sirop? C’est donc un produit très cher et niché, même si c’est très bon. On a donc réfléchi à une manière de le rendre grand public. Mon amoureux a eu l’idée de faire un genre de Mr. Freeze.

Moi, ce qui me fait tripper avec l’eau de bouleau, c’est de la boire à la chaudière. C’est super rafraîchissant, ça goûte le printemps et ça vient des entrailles de la terre. Je me suis dit que ce serait génial de l’aromatiser avec des sirops forestiers. On a fait des petits tests qu’on a fait goûter à nos amis: ça a été vraiment concluant.

Les Glaçons du Pays viennent en cinq saveurs locales: Érable, Sapin, Pommes & comptonie voyageuse, Thé du labrador & bleuets et Matricaire odorante.

Ce que je trouve le fun du glaçon, c’est que c’est un produit qui est très accessible pour découvrir les produits forestiers non ligneux. C’est un «prêt-à-manger». Tu l’achètes, tu coupes l’emballage, et tu as accès à une bouchée du territoire. En plus, le Mr. Freeze s’inscrit dans notre imaginaire collectif, donc ça pique la curiosité.

émilise lessard-therrien glaçons du pays

— Quelle est ta vision pour l’avenir de l’entreprise?

On en a commercialisé 7000 cette année. J’aimerais en commercialiser 60 000 l’année prochaine et les distribuer à l’extérieur de la région. La demande est là. Produire en aussi grande quantité, ça implique aussi de planifier judicieusement la cueillette et de créer de l’espace d’entreposage. J’aimerais transformer notre étable, qui est sous-utilisée en ce moment, en bâtiment de transformation.

On a appelé l’entreprise Le Goût du Pays pour jouer sur plusieurs tableaux: la politique et le terroir.

— Ta démarche est très ancrée dans le Témiscamingue. Quel est ton rapport au terroir?

On a difficilement accès aux saveurs du territoire, tandis qu’il y a des affaires qu’on consomme couramment qui viennent de l’autre bout du monde. Je pense à la cannelle, à la muscade, à la vanille, au chocolat… J’essaie d’être le plus possible en autosuffisance. Par exemple, une des premières choses qu’on a faites en arrivant à la ferme, c’est de s’acheter un moulin à farine. C’est merveilleux de goûter notre propre grain, de connaître les saveurs du Témiscamingue.

— Pourquoi avoir choisi de te tourner vers l’agriculture après ton parcours politique?

L’autonomie est une de mes motivations. Dans un contexte où le monde ne change pas nécessairement pour le mieux, c’est important de développer cette résilience. Le climat social n’est vraiment pas trippant, entre la crise climatique et les conflits géopolitiques. Alors que la défense devient une priorité pour notre gouvernement, je pense que la priorité devrait plutôt être l’autonomie en matière de ressources élémentaires.

Je me plais à dire qu’avec mon petit dépanneur fermier, la route 117 peut fermer et on va s’en sortir. Il y a du lait, du yogourt, des fruits, des légumes, des produits un peu transformés, de la farine, des œufs. Je ne sais pas si je suis un peu trop survivaliste, mais je trouve ça extraordinaire!

Le dépanneur fermier mis sur pied par l'agricultrice.

— Quels sont les avantages de ton mode de vie assez unique?

Il nous en faut peu pour être bien. On n’a pas besoin de grands voyages. Il faut savoir apprécier le mode de vie en campagne: avoir de l’horizon, voir les couchers de soleil, aller marcher en forêt, tout ça est gratuit.

Se destiner à la simplicité volontaire, ça nous oblige à être créatifs et ça nous donne du temps.

Hier, j’ai fini de conditionner mes oignons. J’ai récolté 100 livres: j’en ai en masse pour la prochaine année et je vais pouvoir en vendre. Je trouve ça valorisant de répondre à mes propres besoins.

Je suis convaincue que ça coûte moins cher, mais ce n’est pas juste ça la question, c’est surtout de meilleure qualité. Quand mes enfants partent à l’école et qu’elles ont un muffin que j’ai fait avec notre farine, les courgettes du jardin et les œufs des poules c’est un investissement dans notre santé et notre bien-être.

— Est-ce que tu trouves qu’on est déconnectés de l’alimentation en tant que population?

Complètement! En même temps, ce n’est pas tant de la faute des gens. En alimentation, on assiste vraiment à une standardisation et à une mondialisation de nos produits. Ça a une empreinte écologique désastreuse et ça nuit au dynamisme des régions. À peu près trois gigantesques grossistes se partagent l’ensemble du marché québécois, donc on ne décide même plus vraiment de ce qu’on mange. Quand ils décident qu’ils nous débarquent les pommes des États-Unis plutôt que de privilégier celles du Québec, c’est ça qui est ça… Ce sont des rapports de force qu’on est incapables de renverser.

émilise lessard therrien chien Charbon, le fidèle compagnon à poils d'Émilise.

— Est-ce que tu penses que la politique est la meilleure façon de protéger le territoire?

On considère souvent la politique comme quelque chose de très encadré, droit et propre, qui se pratique dans les grandes institutions. En même temps, la politique, c’est aussi d’avoir un projet et d’être capable de le défendre et de le porter. Mon projet d’autonomie alimentaire et de reconnexion avec le terroir, il est politique. J’aime créer de l’adhésion autour de ça: c’est l’objectif des Glaçons du Pays.

«On protège ce qu’on aime, et on aime ce qu’on connaît», a dit l’explorateur Jacques-Yves Cousteau. Si on ne connaît pas le territoire, ça va être difficile de l’aimer et de vouloir le protéger. Mais au contraire, si on le connaît, quand il sera question de mettre en place des politiques, il y aura plus d’adhésion sociale, parce que les gens auront le territoire à cœur.

— Où trouves-tu que les besoins urgent le plus?

Ce qui me rend le plus triste, c’est la montée de l’intolérance. Notre monde a cruellement besoin de bienveillance, de sensibilité et de solidarité pour affronter les défis qui nous attendent. Je trouve que l’agriculture est un bon point de départ.

Tout ce qui touche l’alimentation rassemble les gens depuis toujours. C’est un déterminant pour notre santé. Je suis super contente de mettre tous mes œufs dans ce panier-là présentement, car c’est un secteur qui est sûr.

— Penses-tu qu’un projet d’autonomie alimentaire serait possible? Ça ne serait pas trop cher ou trop compliqué?

C’est tout à fait possible! Ça dépend vraiment de la vision qu’on a de la société. Si on choisissait comme projet l’autonomie alimentaire du Québec, ça passerait par créer des fermes, des infrastructures de transformation et des entreprises de services. On pourrait par exemple investir dans des usines de congélation ou de déshydratation pour nos petits fruits. Ce serait extraordinaire!

On peut même voir plus grand. La base de la pyramide des besoins de Maslow, c’est se nourrir, se vêtir et s’abriter. Juste avec ces trois pôles-là, il y a tellement de potentiel! On importe tellement de produits qu’on est capable de faire ici. On pourrait développer une industrie manufacturière beaucoup plus forte. Je rêve du retour de l’industrie du textile dans les régions. On pourrait cultiver du lin et du chanvre pour fabriquer des tissus et arrêter de faire venir tous nos vêtements de l’autre bout du monde. Sans parler de la construction. Nos arbres pourraient servir à renouer avec l’industrie du meuble au Québec, pas juste à faire des boîtes pour les Amazon de ce monde.

Évidemment, ce serait un mégachantier… L’alimentation, c’est peut-être le plus accessible à changer.

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