«Quand le printemps arrive, t’as besoin d’aller sur l’eau. Je ne sais pas, il y a quelque chose qui nous attire là, raconte le capitaine Vincent Dupuis, rencontré chez lui. Les yeux bleu clair de ce doyen des pêcheurs de crevettes s’illuminent lorsqu’il parle de partir en mer. «J’ai pêché toute ma vie. Mon père a pêché avant moi. Avant ça, je vivais sur les quais, je rêvais d’aller pêcher, dit-il. On est en train de nous enlever ça.»
Une «extinction de masse»
La baisse drastique des quotas de pêche à la crevette nordique a fait les manchettes dans les derniers mois, mais de nombreuses autres espèces du golfe du Saint-Laurent sont en difficulté: la pêche au hareng et au maquereau est fermée depuis 2022, les débarquements de turbot ont atteint leurs niveaux les plus bas depuis des décennies, et les quotas de crabe des neiges ont été réduits de 30% dans la zone de pêche 12, au large de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, pour la saison 2024.
Et si le homard ou le crabe des neiges des autres zones connaissent des jours heureux, ces pêches ne sont pour la plupart pas concentrées à Rivière-au-Renard. On y retrouve surtout des pêcheurs de poissons de fond (flétan, turbot), de crevette et de crabe.
Habitués à l’incertitude, les pêcheurs se retrouvent pourtant devant un stress d’une intensité jamais vue: celui d’être en mesure de remplir leurs obligations financières.
Les mauvaises nouvelles s’accumulent sans répit. Les turbotiers pêchent aussi le crabe; les crevettiers pêchent parfois le crabe et les poissons de fond; les crabiers pêchent aussi le hareng. Mais cette année, c’est un creux historique: ces pêches, souvent complémentaires, sont toutes en déclin et ne se compensent plus entre elles. Le calcul est simple.
«Jusqu’à l’année passée, on pouvait se dire que ça allait mieux aller. Mais il faut se résigner, il faut se rendre à l’évidence, ça n’ira pas mieux. On est devant une extinction de masse [des espèces marines]», se désole Patrice Element, directeur de l’Office des pêcheurs de crevette du Québec.
Le désespoir
«J’ai eu plusieurs nuits blanches depuis une semaine, on sait que la pêche s’en vient. Ce n’est pas évident, ce sont de grosses sources de stress surtout depuis l’année passée», raconte Danny Cassivi, pêcheur de crabe et de poissons de fond, rencontré à Rivière-au-Renard.
Il a vu ses quotas fondre comme neige au soleil: de 200 000 livres de turbot quand il a commencé à pêcher, dans les années 1990, il se retrouve cette année avec 70 000 livres de poisson à pêcher au total, incluant le crabe. «Avec la saison qui s’en vient, je ne pourrai pas payer mes dettes à la fin de l’année», dit-il.
Vincent Dupuis, pêcheur de crevette, ne voit pas d’échappatoire à sa situation à court terme.