Bien plus qu’une simple sauce poisson - Caribou

Bien plus qu’une simple sauce poisson

Publié le

19 décembre 2023

Texte de

Sophie Mediavilla-Rivard

Après près de 10 ans de recherche et d’essais-erreurs, Anh et Jim Nguyen peuvent enfin se dire prêts à commercialiser la toute première sauce poisson 100% locale. Le projet de ce couple néo-québécois d’origine vietnamienne a pris forme dans les Maritimes en 2014, avec le désir de valoriser les ressources du territoire québécois.
Crédit: Racines boréales
Après près de 10 ans de recherche et d’essais-erreurs, Anh et Jim Nguyen peuvent enfin se dire prêts à commercialiser la toute première sauce poisson 100% locale. Le projet de ce couple néo-québécois d’origine vietnamienne a pris forme dans les Maritimes en 2014, avec le désir de valoriser les ressources du territoire québécois.
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Anh et Jim Nguyen n’avaient aucune expérience dans le domaine de la restauration ni de l’alimentation. «Mon mari est en informatique et moi, je suis en fiscalité», explique Anh, qui n’avait  jamais envisagé se lancer dans une telle entreprise. Pourtant, leur sauce poisson québécoise sera mise sur le marché dès le mois de novembre, et le projet est déjà appelé à prendre de l’expansion. Actuellement dans la dernière ligne droite avant le lancement, les créateurs travaillent à donner une image de marque unique à leur sauce nuoc-mâm locale.

Tout a commencé en 2014, lors d’un voyage dans les Maritimes, où ils ont visité le barrage hydroélectrique Mactaquac au Nouveau Brunswick. Ils ont constaté que les infrastructures d’Énergie NB empêchaient le passage normal des poissons et causaient beaucoup de dégâts. En effet, les barrages hydroélectriques modifient considérablement les cours d’eau et par conséquent les dynamiques des espèces aquatiques.

Ils ont été frappés par le «gaspillage» de ces poissons qui mourraient dans les barrages et qui étaient directement transportés vers des sites d’enfouissement pour en faire de l’engrais. L’inspiration est alors venue, accompagnée d’un désir de revaloriser les ressources alimentaires. «Mon premier réflexe, ç’a été de dire à mon mari: “chez nous, on ferait de la sauce poisson avec tout ça”, parce qu’on est d’origine vietnamienne [et que c’est un produit de base pour nous].»

Si aujourd’hui, le poisson utilisé dans la nuoc-mâm d’Anh et Jim Nguyen est un capelan du fleuve Saint-Laurent, et non pas récolté aux abords d’un barrage hydroélectrique, l’idée originale reste la même : mettre à l’honneur des ingrédients locaux de façon durable et écoresponsable, dans un produit issu de leur culture d’origine.

Crédit: Racines boréales

Travail de longue haleine

Anh et Jim ont commencé par approcher un chercheur du département agroalimentaire de l’Université McGill, qui a accepté de se lancer dans les études, la recherche et le développement de leur projet. «Ç’a pris environ huit ans pour arriver à une sauce correcte», raconte Anh, puisqu’aucune connaissance n’existait sur le sujet au Québec. «Dans l’Atlantique et le Pacifique, les espèces de poissons sont différentes, les compositions protéiques aussi.»

Parmi les partenaires de cette quête vers la recette parfaite, il y a les Pêcheries Charlevoix. L’entreprise utilise la très ancienne technique de pêche à la fascine. «[Anh et Jim] sont venus pêcher avec nous, et ils ont vu de quelle façon on pêchait le poisson. Ils ont aimé la durabilité de la chose, l’aspect familial. Ils ont décidé d’utiliser le capelan pour faire leur développement de sauce poisson à l’Université McGill», se souvient Julie Gauthier, propriétaire des Pêcheries Charlevoix. Chaque année, l’entreprise a livré une centaine de livres de capelan pour permettre au couple de poursuivre ses tests.

Tout au long de ce travail de grande ampleur, ils ont été motivés par un souhait de revaloriser les ressources du Québec. «La sauce poisson sur le marché aujourd’hui est importé exclusivement de l’Asie. On ne sait pas ce qu’il y a là-dedans, quelle sorte de poissons», argue la femme qui habite à Longueuil.

Le produit a finalement été présenté pour la première fois au Salon Fourchette bleue en février 2023, qui promeut les ressources maritimes du fleuve Saint-Laurent. Alors disponible en très petite quantité, la sauce nuoc-mâm a instantanément séduit le public – et propulsé ses créateurs vers un succès inattendu.

Des efforts récompensés

Des mois après le Salon Fourchette bleue, Julie Gauthier se fait encore approcher par des gens qui désirent se procurer la fameuse sauce poisson locale. Les quelques bouteilles qui étaient vendues à la boutique de Pêcheries Charlevoix sont parties en un clin d’œil. «Ç’a été un succès fou. Je ne sais pas si Anh s’y attendait, parce que pour eux, la sauce poisson, c’est un produit de base alimentaire», soutient-elle.

«Pour nous, c'est un produit plus exotique, mais qui est maintenant fait avec des ingrédients d'ici. Donc on est renversés d'arriver à un produit comme ça.»
Julie Gauthier

Heureuses victimes de cette frénésie autour de leur produit, le couple néo-Québécois travaille maintenant à rendre accessible la sauce nuoc-mâm à un plus large public. Avec l’aide du Centre de recherche et de développement de Saint-Hyacinthe (CRD Saint-Hyacinthe), ils planifient déjà d’augmenter les volumes de production, avec toutes les installations et l’équipement que cela implique. C’est d’ailleurs dans les infrastructures du CRD Saint-Hyacinthe que la sauce poisson est produite et embouteillée.

«On va essayer de répondre à la demande de tout le monde, mais l’entreprise est encore très petite. On demande la patience du public, parce que pour prendre les dispositions nécessaires, ce ne sera pas demain, mais probablement l’année prochaine», avance Anh. Les produits de leur entreprise, nommée KLKT, sera notamment disponible chez Racines boréales et Chez Boulay Épicerie québécoise.

Traverser le Pacifique

D’origine vietnamienne, Anh et Jim Nguyen sont arrivés au Québec à la fin des années 1970 avec les boat-people. «Nous avons recommencé notre vie ici», partage Anh Nguyen.

Avec cette sauce poisson, ils transportent un peu de saveur de leur Asie natale dans les assiettes de leur terre d’adoption.

Anh espère que les Québécois sauront adapter la sauce nuoc-mâm à la cuisine traditionnelle. «Il faut dissocier la sauce nuoc-mâm des pâtes fraîches, des riz frit, des rouleaux, par exemple. C’est bon, je n’ai rien contre ces plats-là, mais il faut adapter la sauce à la cuisine québécoise. N’ayez pas peur!» Elle vante sans demi-mesure la versatilité et le goût savoureux de ce condiment rehausseur de saveurs.

«On va pouvoir dire mission accomplie quand les Québécois vont mettre de la sauce nuoc-mâm dans leurs tourtières!», s’exclame la créatrice.

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