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Un couscous royal pour changer le monde (ou de la nécessité de recevoir à souper)
Publié le
16 janvier 2020
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Chaque mois, Caribou offre une carte blanche à une personnalité pour qu’elle s’exprime sur le sujet de son choix. Ce mois-ci, le directeur général aux Éditions Cardinal, Antoine Ross Trempe, vante les plaisirs de recevoir à la maison pour entretenir ses relations.
Carte blanche d'Antoine Ross Trempe Auteur et directeur général aux Éditions Cardinal
À en croire les nouvelles, le monde va mal. Très mal. Guerres, injustices, complots, crise climatique, épidémies… Les médias traditionnels et sociaux nous bombardent de tragédies, augmentant notre anxiété et notre sentiment d’impuissance. En tant que simple individu, il est difficile, voire impossible, de savoir par où commencer pour changer les choses, pour avoir un impact réel et, bref, pour changer le monde durablement et pour le mieux. Psychologiquement, cette difficulté de voir quel chemin emprunter entraîne bien souvent une forme de paralysie anxiogène ou une colère diffuse contre «l’ordre des choses» (le système, le capitalisme, le gouvernement, etc).
Et si le problème était seulement mal posé? Si, au lieu de changer le monde, il ne valait pas mieux baisser ses attentes et tenter d’abord de changer son monde, celui sur lequel nous avons concrètement de l’emprise? Pour changer son monde, la première étape consiste à faire sienne cette injonction que l’on attribue à Socrate: connais-toi toi-même. Se connaître soi-même, c’est reconnaître ses failles, ses limites, ses biais; c’est constater que nous sommes tous et toutes truffés de tares, de défauts de fabrication, de rigidités mentales, de penchants inconscients, de dadas, de peurs idiotes et d’une pléthore d’imperfections — imperfections qui sont, paradoxalement, ce qui rend la vie intéressante. Changer son monde, c’est aussi comprendre que nous avons du pouvoir sur nos relations avec notre famille, nos amis, nos collègues, nos voisins et tous ces gens que nous croisons dans la rue. Entretenir une amitié est chose difficile. Avoir de saines relations avec sa famille est ardu. Les relations entre collègues sont parfois chancelantes.
L’une des très nombreuses manières d’entretenir ces relations en saupoudrant un peu de bonheur autour de soi, c’est de recevoir à souper. Accueillir chez soi famille, amis, collègues ou même de purs étrangers permet de célébrer la vie dans un esprit de partage et de faire un geste concret d’amour et de générosité. Dans cet effort en apparence anodin réside au contraire le désir de tendre un pont vers autrui.
Personnellement, recevoir à souper combine deux de mes passions: cuisiner du bon menoum et ne pas sortir de chez nous.
J’adore faire des recherches pour trouver des nouvelles idées, aller faire les courses au marché, revenir à la maison et prendre le temps de cuisiner. Longtemps avant que les invités n’arrivent, la maison embaume d’effluves de tartes qui cuisent, de viandes qui rôtissent ou d’ail qui frémit dans un peu d’huile. Recevoir à souper est une manière concrète de chasser les ténèbres, de contrecarrer le cynisme et de faire un pied-de-nez à la mort. C’est mettre un sourire sur le visage des gens qui nous entourent, c’est fêter le fait que nous sommes encore là, c’est une manière délicieusement protéinée de dire «je t’aime».
Tout ça pour dire qu’en fin de semaine dernière, j’ai fait un couscous royal dont voici la recette: tu fais chauffer de l’huile de végétaux dans une cocotte; tu ajoutes des pilons de poulet (sans la peau) et tu les colores; tu maudis trois ou quatre gousses d’ail et deux petits oignons et tu regardes ça aller; tu déglaces au vin blanc ou au bouillon de poulet; tu ajoutes carottes, navets et tomates (fraîches ou en conserve), coupés en gros morceaux; tu mets tes épices: une pichenotte de ras el-hanout (que tu peux acheter ou faire maison) et une shnépitte de cumin; tu couvres avec assez de bouillon de poulet; tu laisses mijoter ça mi-couvert le temps de mettre la table; tu ajoutes sel et poivre et tu goûtes; tu fais griller des merguez dans une poêle à part; quand elles sont presque prêtes, tu ajoutes des zuchinis coupés en gros morceaux (ou comme tu veux, c’est toi qui va les manger) dans le bouillon; tu fais cuire la semoule et tu ajoutes une noix de beurre grosse comme ton POING dedans; avec une cuillère trouée, tu prends le poulet (il va se défaire, c’est normal) et les légumes et tu mets ça dans un beau plat de service; tu ajoutes de la coriandre fraîche hachée et tu décores avec les merguez; tu prépares deux bouillons: l’un gentil et l’autre méchant (en ajoutant de la harissa verte ou rouge); tu dresses tes assiettes avec de la semoule et les invités se servent de la viande/légumes à leur faim et arrosent de bouillon.
N’oubliez pas de recevoir à souper!
Et surtout bon appétit et grande soif.
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