De premiers «thés» québécois
Publié le
11 novembre 2024
Texte de
Julie Francœur
Photo de
Audrey-Anne Gingras-Roy
Depuis le printemps 2023, Julien Drouin-Bouffard commercialise sous la marque Thé du Nord [qui s’appelait à la base Artisan du vivant] des thés d’épilobe, une espèce pionnière qu’il a appris à connaître pendant ses études à Rimouski. «C’est une plante qui a tout pour elle, laisse tomber le biologiste. C’est une des plantes les plus vigoureuses et les plus abondantes au Québec. Dans le sud de la province, on la connaît moins. Mais dès qu’on monte un peu au nord, il y en a partout. Cela fait partie du paysage, autant que l’épinette.»
En 2018, il découvre que l’épilobe est utilisé depuis des siècles en Russie dans la fabrication de thé. Il décide alors de faire quelques tests, avant de localiser les terres publiques du Kamouraska et de cogner à la porte de propriétaires terriens, qui lui donnent accès à la plante en échange de ses tout premiers thés.
«La première année, on a fait deux semaines de production en juillet. Puis, chaque année, on augmentait d’une semaine.»
Après quelques années à parfaire ses techniques, Julien décide de s’investir à temps plein dans les thés locaux. Il importe d’Asie tout l’équipement dont il a besoin pour passer à la vitesse supérieure.
La transformation fait le thé
«Cela surprend beaucoup de gens», raconte l’entrepreneur, qui a produit quelque 500 kg de thé en 2023. Mais pendant longtemps, assure-t-il, l’épilobe a cohabité avec le Camellia sinensis (aujourd’hui l’espèce de plante la plus connue dans le domaine) dans le commerce international du thé.
La plante ne contient pas de caféine. Une particularité qui plaît à la grande majorité de sa clientèle. «L’épilobe n’est pas une plante stimulante. Elle n’est pas pour autant sédative, comme bien des plantes qui entrent dans la composition de la tisane. C’est vraiment une plante neutre, qui peut se consommer à tout moment de la journée.»
Pourquoi appeler cela du thé alors? «Ce n’est pas la molécule qui fait le thé, c’est la méthode utilisée. En principe, on peut le faire avec n’importe quelle plante. Mais l’épilobe a vraiment fait ses preuves.»
Ainsi que le veut la tradition, les feuilles d’épilobe sont mises à flétrir tout au plus quelques heures après la cueillette. L’opération permet de les assouplir, avant qu’elles ne soient roulées mécaniquement. Le roulage brise la structure cellulaire de la plante et libère les enzymes responsables de son oxydation. C’est pendant cette étape que la magie opère, et que les arômes du thé se développent. Le séchage à haute température détruit finalement l’enzyme responsable de l’oxydation, et donne son caractère final au thé.
Selon le degré d’oxydation de la feuille, on obtient des saveurs très différentes. On retrouve dans le thé Wulong des notes herbacées et dans le thé noir la rondeur et la profondeur que crée l’oxydation prolongée. Quant au thé vert, qui n’est pas oxydé, il rappelle les arômes typiques des légumes verts grillés.
Et encore, plusieurs maîtres du thé qu’il a rencontrés cet automne à Taïwan se sont mépris à la vue des feuilles séchées…
Une vision d’avenir
Le jeune entrepreneur rêve déjà d’élargir sa gamme de produits afin d’offrir un choix plus varié aux consommateurs en s’inspirant du sencha, du matcha, du Pu erh (thé vieilli)… De quoi ravir les amateurs de thé qui souhaitent boire local et réduire leur empreinte écologique.
«J’essaie de faire ressortir le meilleur de la plante et de révolutionner le monde des infusions chaudes au Québec, en accord avec mes valeurs sociales et environnementales.»
Julien est d’avis qu’il y a beaucoup de place pour d’autres entrepreneurs qui voudraient se lancer, comme lui, dans l’aventure des thés québécois. Pour l’heure, il demeure le seul à en faire le commerce dans la province. Victime de l’immense popularité de ses produits, il prévoit de tripler sa production chaque année, pendant quelques années. Pour ce faire, il déménage sa production en Abitibi, où l’épilobe s’annonce abondant après les feux de forêt historiques qui ont ravagé le territoire l’été dernier.
Des investissements en recherche et développement lui permettront également de confirmer les propriétés anti-inflammatoires de l’épilobe, qui sont fort prometteuses.