Le grincement de dents de Dominic Lamontagne: où est la place du paysan dans le discours végane? - Caribou

Le grincement de dents de Dominic Lamontagne: où est la place du paysan dans le discours végane?

Publié le

19 février 2018

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Dominic Lamontagne et sa conjointe Amélie Dion possèdent une petite ferme «pluriproductrice» à Sainte-Lucie-des-Laurentides. Ils nourrissent leur famille grâce à leurs chèvres laitières, leurs poulets de pâturage, leurs poules pondeuses en liberté, leur serre de légumes et quelques saveurs récoltées en nature, qu’ils complètent en s’approvisionnant auprès des fermes de leur coin de pays. En plus de produire une bonne partie de leurs aliments, ils animent aussi des ateliers d'autonomie alimentaire destinés au grand public. Quand il entend des gens prôner le véganisme en relayant des chiffres basés uniquement sur l'élevage industriel, Dominic Lamontagne, auteur du livre La ferme impossible, grince des dents: ce discours ne tient pas compte de l'existence d'une agriculture paysanne pérenne, en phase avec son écosystème. Texte de Julie Aubé Photo de Gabrielle Sykes Quelles nuances aimeriez-vous entendre davantage dans le discours végane? J'ai souvent l'impression que tous les omnivores sont mis dans le même bateau. Si certains réfléchissent peu aux impacts de leur façon de s’alimenter, d'autres, les «omnivores sélectifs», font le choix de tourner le dos, comme les véganes, à l'élevage industriel, cet élevage qui sort, par exemple, le ruminant du pâturage et qui ajoute belle part de maïs au foin sec. Or, pour poursuivre avec cet exemple, bœufs, vaches et autres ruminants sont comblés à pâturer sur une prairie d'herbages non comestibles pour l'humain. En étant «sélectif», par la force des choses, on mange moins de produits animaux. Lorsqu'on en mange, ce sont des animaux que nous avons élevés nous-mêmes ou encore que nous avons choisis avec soin, auprès d’un paysan qui emploie des méthodes durables ne correspondant en rien à celles de l'industrie. C’est pourquoi je pense que les véganes devraient nuancer leur discours, ne serait-ce qu'en spécifiant que les statistiques qu’ils présentent concernent l'élevage industriel. Je ne crois pas que l'on puisse classer les aliments comme «bons ou mauvais», «éthique ou non éthique», uniquement en se basant sur leur nature animale ou végétale. Ça manque de nuances quant aux différentes réalités culturelles et territoriales, ainsi qu’aux impacts d'un système alimentaire mondialisé. En mettant l’accent sur les animaux, certains véganes oublient-ils les humains? Oui. Asservi contre son gré, l'animal humain est exploité dans la culture de nombreuses denrées produites loin de nos yeux (et parfois même sous notre nez!) avant d’aboutir, tel de belles ingénues, sur les tablettes de nos épiceries. Bien sûr, des omnivores achètent aussi ces aliments souvent moins propres et justes. Mais s'ils se conscientisent à cette réalité et enrichissent leur culture agroalimentaire, ils peuvent faire la transition vers une diversité d'aliments issus d'une agriculture paysanne de saison et de proximité, tandis que les véganes dépendent davantage de l'abondance de choix relié à l'importation pour obtenir une telle diversité. Même les lentilles canadiennes ou les monocultures de grains existent parce que le pétrole n'est pas cher! Face au fait que ce pétrole à bas prix n'est pas éternel, l'omnivore sélectif a une plus grande résilience que le végane pour se nourrir dans le respect des vivants d'ici et d'ailleurs. À la lumière de ces propos, le mangeur responsable devrait-il tendre vers plus d'autonomie? L'autonomie parfaite est utopique, mais il est certainement intéressant de réorienter son emploi du temps afin d'être un peu moins «dépendant» pour combler ses besoins de base. Produire (au moins un peu!) et compléter son approvisionnement en soutenant, en circuit court, des paysans pluriproducteurs qui s'adaptent à une réalité territoriale (nordique dans notre cas) pour produire dans le respect des vivants, au rythme des saisons, me semble une façon de se nourrir plus sensible, résiliente et durable. La petite ferme autonome pluriproductrice végane constitue une forme de ferme impossible, considérant le recours aux intrants de fumiers de poule ou de crevettes, ou aux engrais bios composés de farines d'os, de plumes et de sang. Oui, les purins verts existent, mais on voit peu de fermes les utiliser en exclusivité. Si un végane, au Québec, souhaitait éventuellement se nourrir de sa petite ferme pluriproductrice (ou auprès de telles fermes), je serais curieux de voir son plan sur cinq ans. Ce choix alimentaire semble fonctionner seulement quand on n'a pas besoin de produire ce qu'on mange et qu'on ferme les yeux sur la nature des intrants et la dépendance au pétrole.
Le véganisme a, entre autres, ceci de positif qu’il incite de nombreux «omnivores épicerie-dépendants» à réfléchir sur leur façon de s’alimenter. À l'instar de l'autonomie alimentaire parfaite, on peut voir ce type d’alimentation comme un idéal vers lequel tendre, sans toutefois devenir intégriste. Le «végane nordique non intégriste» et «l’omnivore sélectif» sont en fait peut-être la même personne après tout!
La pluriculture paysanne est une agriculture holistique. Elle embrasse la complexité et fait cohabiter les forces des vivants qui la constituent en un système équilibré et nourrissant, adapté à notre nordicité, et plus autonome. Ne faisons pas abstraction de son existence. Plutôt, soutenons-la en s’y approvisionnant, qu’on soit «végane nordique non intégriste» ou «omnivore sélectif». *** Pour en savoir plus sur le projet de ferme pluriproductrice à échelle humaine de Dominic Lamontagne, lisez le portrait que nous avions dressé de lui dans notre numéro 3 et qui est maintenant disponible en ligne.
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