«J’en suis ressortie plus forte et plus alignée», dit Véronique, qui planifie maintenant transformer la terre en fiducie pour protéger à perpétuité sa vocation écologique. Elle est par ailleurs catégorique à l’effet que l’avenir du mouvement repose sur les modèles qui font directement appel à la communauté, quels qu’ils soient.
«On a fait fausse route en pensant que l’ASC était possible à l’intérieur de l’entreprise capitaliste. Pour l’instant, à la coop, on mise sur l’implication de la communauté par le bénévolat, l’avoir collectif (parts privilégiées) et les partenariats avec des organismes communautaires. Mais on reste ouvert à évoluer vers un autre modèle d’ASC.»
Collectiviser la mise en marché
François Biron pense aussi que des choix difficiles attendent les fermes, que l’épuisement est réel, et qu’il est nécessaire de répartir la charge associée à l’agriculture entre plusieurs personnes.
Le propriétaire de la ferme Chapeau Melon, à L’Ange-Gardien, en Outaouais, a lui-même traversé une période de stress importante, après avoir investi dans des serres pendant la pandémie. En «vedette» dans le documentaire Récolter l’hiver, présenté à Télé-Québec le 10 janvier dernier, il avait confié que le stress avait fini par provoquer en lui une anxiété telle qu’il avait dû prendre des antidépresseurs pour s’en sortir.
«À l’hiver 2021-2022, j’ai vraiment eu peur que les accumulations de neige détruisent les serres jumelées. Ça représentait un gros investissement. Je n’étais plus capable de gérer le stress. C’était… trop.»
Comme tous les autres, François raconte que la pandémie était venue avec une ruée vers les légumes bios. «Le retour de la pendule a été difficile. On avait agrandi nos installations, et il a fallu rentrer dans nos investissements.»
«En agriculture, il faut que tu prennes des décisions difficiles pour sauver la rentabilité de ton entreprise. Il n’existe pas un meilleur modèle que le modèle avec lequel tu es confortable, comme producteur. Personnellement, quand j’ai démarré mon entreprise, j’ai mis beaucoup de temps à accepter que j’étais plus à l’aise avec les grandes cultures qu’avec le modèle des paniers», affirme celui qui dit avoir finalement trouvé «le meilleur des deux mondes» dans les Bio locaux d’hiver, une variante de l’ASC dans laquelle 14 fermes s’unissent pour offrir des paniers bios à plus de 1000 familles à travers 26 points de chute sur l’île de Montréal.
«On a souvent tendance à sous-estimer ce que ça représente pour les producteurs de préparer les paniers, de les livrer aux points de chute, de gérer les relations avec les consommateurs, etc. Ce sont des coûts qui ne sont pas nécessairement reflétés dans le prix des paniers. Les Bio locaux nous permettent d’aller chercher le prix de détail des paniers bios, tout en évitant ces frais de mise en marché.»
Une réalité partagée au sein du Réseau des fermiers·ères de famille, selon la CAPÉ
Du côté de la Coopérative d’agriculture de proximité écologique, on reconnaît que l’après-pandémie, l’inflation et la concurrence ont porté un coup dur aux maraîchers, qui sont à la recherche de solutions pour s’adapter aux nouvelles réalités. Si, à l’échelle du Réseau, on compte aujourd’hui plus d’abonnés qu’avant la pandémie, on compte également plus de fermes, et certaines craignent ne plus pouvoir se fier exclusivement aux paniers bios pour assurer leurs revenus. Selon Émilie Viau-Drouin, directrice générale de l’organisation, la relève est particulièrement à l’affût de ces enjeux.
«On sait que les gens se tournent vers les paniers bios parce qu’ils sont 20% moins chers que les produits bios vendus au supermarché. Nos maraîchers ne peuvent pas augmenter leurs prix, malgré la hausse des coûts, sans risquer de perdre des abonnés.»
Une réalité qui les frappe encore plus durement, maintenant qu’ils font face à de nouvelles concurrences. «Ces dernières années, certains distributeurs ont fait leur place sur le marché en proposant des paniers sans abonnement. Le problème, c’est que les gens les confondent souvent avec nos fermiers de famille. On doit donc redoubler d’efforts pour expliquer le concept d’ASC à nos abonnés.»
L’avenir de l’ASC réside dans la diversité, selon la jeune directrice, qui assure que son organisation est proactive dans la recherche de solutions adaptées aux besoins de ses membres. «Chaque ferme a sa couleur, et je trouve ça magnifique d’avoir plus de 150 fermes qui ont chacune leur façon de faire de l’ASC – que ce soit le système d’abonnement aux paniers bios, l’offre de cartes prépayées ou le nouveau modèle proposé par les Bontés de la Vallée et Cadet Roussel.» Un avis partagé par les deux fermes, qui demeurent affiliées au Réseau. «On continue de faire partie intégrante du mouvement, au même titre que les fermiers qui offrent des abonnements ou des cartes prépayées», rassure Anne.
«La CAPÉ suit les développements de ces fermes avec beaucoup d’enthousiasme parce que c’est potentiellement le début d’une ère où le soutien de la communauté va être du jamais-vu au Québec.»