Pour une autonomie alimentaire saine et durable - Caribou

Pour une autonomie alimentaire saine et durable

Publié le

23 octobre 2023

Texte de

Sophie Mediavilla-Rivard

Est-ce que le Québec est sur la bonne voie quand il est question d'autonomie alimentaire? Selon une nouvelle étude conjointe, il y a encore du chemin à faire. Non seulement il faut poursuivre le développement qui se fait déjà, mais surtout, il faut envisager un modèle d’autonomie alimentaire différent, qui serait bon pour la santé et pour l’environnement.
autonomie alimentaire
Est-ce que le Québec est sur la bonne voie quand il est question d'autonomie alimentaire? Selon une nouvelle étude conjointe, il y a encore du chemin à faire. Non seulement il faut poursuivre le développement qui se fait déjà, mais surtout, il faut envisager un modèle d’autonomie alimentaire différent, qui serait bon pour la santé et pour l’environnement.
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En septembre dernier, l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC), en collaboration avec Équiterre, le Collectif Vital et la Chaire de recherche du Canada sur les inégalités en nutrition et santé, rapportait que «l’autonomie alimentaire du Québec telle que développée depuis un demi-siècle ne permettra pas de nourrir la population de manière saine et durable dans les prochaines années».

L’étude a été déclenchée pour répondre au discours politique actuel en matière d’autonomie alimentaire. «On trouvait que la vision du gouvernement était claire sur une chose seulement: l’autonomie alimentaire  en termes économiques», affirme l’agronome et analyste en agriculture et systèmes alimentaires chez Équiterre, Carole-Anne Lapierre. «On ne se demandait pas suffisamment si ce qu’on mange et la façon dont c’est produit, c’est sain pour notre santé et pour celle de notre planète.»

Les principaux problèmes? D’abord, le secteur bioalimentaire est un important pollueur: pensons aux émissions de gaz à effet de serre, à la diminution de la biodiversité, à l’appauvrissement des sols ou à la pollution de l’eau et de l’air. Ensuite, les auteurs de l’étude soutiennent que les aliments ultra-transformés ne devraient pas être au cœur du modèle provincial d’autosuffisance. «Financer des entreprises produisant ces aliments, peu durables et peu nutritifs, au nom de l’autonomie alimentaire du Québec n’est […] pas cohérent ni porteur pour l’avenir», dénonce Équiterre.

L’étude propose donc plusieurs pistes de solutions pour combler les lacunes ciblées.

Faire le pont entre santé et écologie

«À long terme, on aura beau produire plus d’aliments ici, si ces aliments-là contribuent aux maladies chroniques parce qu’ils ne sont pas sains, on n’est pas plus avancé», avance Carole-Anne Lapierre. Elle rappelle que Québec a octroyé 3 millions de dollars pour augmenter la capacité de production de croustilles à PepsiCo en 2022. Selon l’agronome, il s’agit d’un exemple où le gouvernement a négligé des «aspects fondamentaux», parce que même si l’entreprise est établie au Québec, l’apport nutritif des aliments qui y sont transformés ne s’inscrit pas dans un modèle d’autonomie alimentaire sain.

En s’appuyant sur l’analyse de filières d’aliments ultra-transformés, soit les croustilles, les pizzas congelées et le yogourt, l’étude de l’IREC propose des modifications dans le système alimentaire local. Selon le rapport, le fait d’apposer des étiquettes locales sur des produits transformés «porte atteinte à la capacité des consommateurs de faire des choix éclairés». Les consommateurs n’ont alors aucun moyen de «connaître la provenance des ingrédients utilisés» ou encore «les pratiques agricoles appliquées».

D’où l’importance de mettre de l’avant davantage d’aliments peu transformés et de les rendre attrayants, illustre Carole-Anne Lapierre. Grâce à une approche filière, «on devrait encourager les gens à manger moins transformés et [inciter] le transformateur à ne pas sur-transformer les aliments», énonce-t-elle.

L’approche filière, c’est quoi?

Le rapport propose une approche filière pour arriver à ses fins, mais en quoi ça consiste? Le Fond international du développement agricole la définit comme: «une façon d’envisager de manière globale l’ensemble de la chaîne concernant un produit, du producteur jusqu’au consommateur final.» Par exemple, en agriculture, les phases de transformation, de distribution et de consommation agiraient de concert pour arriver au même résultat.

Verdir nos champs

L’enjeu est similaire au niveau des pratiques agricoles. «Comment arriver à avoir des produits que les gens ont envie de manger et qui améliorent le bilan  environnemental de notre agriculture?», demande l’analyste en agriculture et systèmes alimentaires. Pour elle, une bonne partie de la solution se trouve dans les cultures de céréales et de légumineuses émergentes, comme le sarrasin, l’avoine nue et le soya à identité préservée  (l’identité préservée garantit que le soya n’a pas été modifié génétiquement dans le processus de production).

Carole-Anne Lapierre pense qu’il faut s’attaquer aux grandes cultures: «Ce sont tous les grands champs qu’on voit en se promenant à l’été. Ces superficies-là, au Québec, représentent à peu près la moitié des terres agricoles, et 73% d’entre elles sont destinées à nourrir des animaux d’élevage.» Elle propose de diversifier ce qui pousse sur ces terres, pour davantage – et mieux – nourrir la population.

En plus, la rotation des cultures améliore la qualité des sols. «Ça aide vraiment à long terme à avoir une agriculture qui est plus résiliente et des agriculteurs qui vont être capables de mieux faire face aux dérèglements climatiques. Ça devient payant de le faire», soutient l’agronome.

«On fait d'une pierre trois coups. Si on produit localement des choses qui sont bonnes pour notre santé et notre environnement, c'est à la fois un gain économique, social et environnemental. On est vraiment dans une logique de développement durable.»
Carole-Anne Lapierre

«Le mot-clé, c’est “transition”»

Modifier le système agricole de cette façon peut soulever des inquiétudes, Carole-Anne Lapierre en est consciente. «La première question que tout agriculteur pose: est-ce qu’il y a un marché stable et rentable [face aux changements proposés dans le système]?» expose-t-elle.

Sa réponse est lucide: «Le mot-clé, c’est “transition”. Ça ne se fait pas du jour au lendemain.» Elle rappelle que la responsabilité incombe au gouvernement de planifier correctement et d’investir les ressources nécessaires, surtout dans un contexte où les agriculteurs en ont déjà beaucoup sur les épaules.

Avec tout ça, est-ce qu’une autonomie alimentaire totale serait possible? Ce n’est pas l’objectif, dit Carole-Anne Lapierre, qui vise plutôt un équilibre «autonomie-importation».

«Dans une autarcie, s’il arrive une mauvaise année comme cette année, on va avoir faim. À l'autre extrême, si on est complètement dépendant des importations, c'est risqué aussi selon le contexte géopolitique.»
Carole-Anne Lapierre

Revoir les fondements du système alimentaire

Si l’agronome est encouragée de sentir l’intérêt du gouvernement, elle espère une volonté politique qui permettra du développement, de l’éducation et des investissements dans la direction souhaitée. Il était d’ailleurs important pour les auteurs de l’étude de faire ces propositions avant la prochaine Politique bioalimentaire du Québec, alors que celle en cours arrivera à terme en 2025.

«Le gouvernement pourrait mandater des experts pour accompagner les producteurs, les transformateurs, les distributeurs et les connecter avec les consommateurs pour aider tout ça à s’arrimer. Il y a déjà des publicités sur les produits laitiers, sur la viande, on pourrait très bien décider de faire des campagnes d’éducation avec des grandes cultures de grains et de légumineuses, pour les faire connaître», avance Carole-Anne Lapierre.

L’équipe d’Équiterre est d’ailleurs en train de travailler sur un projet de démonstration, financé par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, qui prouve la faisabilité d’une autonomie alimentaire saine et durable malgré la complexité de ses différents paramètres. «C’est vraiment une question de choix quant à ce qu’on veut avoir comme système agricole et comme système alimentaire ici», insiste l’agronome.

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