Qu’arrivera-t-il à la gestion de l’offre?
 - Caribou

Qu’arrivera-t-il à la gestion de l’offre?


Publié le

05 février 2025

Texte de

Lionel Levac

Le système canadien de gestion de l’offre est-il menacé? Le journaliste Lionel Levac, qui suit le monde de l’agriculture et l’agroalimentaire depuis plus 40 ans, croit que oui. Caribou présente son analyse de la situation alors que le Canada et les États-Unis sont en pleine crise commerciale. 

gestion de l'offre
Photo de Pierre-Nicolas Lessard | Archives Caribou
Le système canadien de gestion de l’offre est-il menacé? Le journaliste Lionel Levac, qui suit le monde de l’agriculture et l’agroalimentaire depuis plus 40 ans, croit que oui. Caribou présente son analyse de la situation alors que le Canada et les États-Unis sont en pleine crise commerciale. 

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Plus grand que la panse

Que ce soit tout de suite ou lors de la renégociation officielle de lAccord Canada-État-Unis-Mexique, prévue pour 2026, le système canadien de gestion de loffre est très menacé. Il apparaît quil sera une monnaie d’échange dans la négociation commerciale que force le nouveau président des États-Unis. Le Canada a montré quil pouvait faire des concessions sur ce système et tout indique quil acceptera den faire encore. Et qui serait vraiment surpris qu’on accepte finalement dabandonner ce système? Ce nest pas sans raison que le gouvernement libéral a refusé encore lautomne dernier de faire voter la loi présentée il y a trois ans par le Bloc Québécois et qui aurait contraint le gouvernement à naccepter aucune nouvelle concession sur la gestion de loffre.  Et il y a fort à parier quun éventuel, sinon probable, gouvernement conservateur ne voudra pas ramener cette loi au feuilleton de la Chambre des Communes.

Alors la question se pose: faudra-t-il que la gestion de loffre disparaisse pour que lon réalise quelle était utile et même bénéfique à notre agroalimentaire? 

Un peu de contexte

En premier lieu, rappelons ce qu’est la gestion de loffre et comment elle fonctionne au Canada. Instaurée dans les années 1970, elle agit à différents niveaux dans les secteurs du lait, des œufs et de la volaille. Elle limite la production aux besoins du marché interne. Donc pas de surproduction. En même temps, les agriculteurs sont assurés dune rémunération uniforme, basée sur le volume de leur production. Le volume de production est dabord établi globalement pour le Canada. Ce quota est ensuite réparti entre les provinces, selon des critères historiques et de marché. Finalement dans chaque province les producteurs détiennent une part de ce volume total autorisé, en fonction du quota individuel qui leur a été alloué à lorigine du système et qui a pu être augmenté par des achats au fil des ans, ou diminué en raison dune croissance autorisée des importations (jy reviens dans un instant). Le  quota est monnayable. Quiconque veut se lancer en production d’œufs, de poulet, de dindon ou de lait doit acquérir du quota. Plusieurs, particulièrement de jeunes ou de nouveaux agriculteurs, voient un obstacle dans ce quota obligatoire et dans le prix du droit de produire.

La gestion de loffre implique aussi, en parallèle, avec la mise en marché collective, des mécanismes de négociation des prix des produits agricoles concernés. Pour les détenteurs de quotas il y a donc une équité de rémunération. Les agriculteurs doivent sen tenir au volume établi par leur quota. Pour les consommateurs, il y a aussi, même si certains contrôles ont été abandonnés au fil des ans, des mécanismes encadrant la fixation des prix, particulièrement pour une gamme de produits laitiers.

Pour que le système fonctionne, il faut limiter les importations. Cependant au fil des négociations commerciales internationales du Canada, celui-ci a concédé des parts de marché à des pays étrangers, par exemple pour ce qui est des fromages venant des États-Unis et d’Europe.

Donc les quotas de production au Canada ont été réduits dans les mêmes proportions que les volumes dentrées au pays.  Comprenons bien que les volumes dimportation sont établis dans les ententes commerciales et quils ne peuvent être dépassés de façon à ce que le quota ou contingent canadien global additionné à ces importations, nexcède pas le besoin du marché.

Le système est-il un frein au développement de produits nouveaux ou à la diversification? Pas vraiment. Prenons lexemple des nombreuses fromageries qui ont vu le jour au Québec ces dernières décennies et qui offrent une gamme de plus en plus diversifiée de types de fromages.

Mais tout de même le système est-il un frein à la création de petites entreprises? Un peu parce quil implique ladhésion et la participation aux mécanismes mis en place: quotas, système de mise en marché, participation au financement de ces mécanismes, des mécanismes qui rebutent certains agriculteurs.

Alors, pourrait-on se passer de la gestion de loffre? Sa disparition, apparaît-il, viendrait bouleverser grandement le monde agricole et le système agroalimentaire dans son ensemble. On avance régulièrement largument à leffet que le Canada est le seul pays à maintenir un tel système et donc que cela apparaît anachronique dans un libre marché. (Vraiment libre?) Vouloir faire comme tout le monde, comme le reste du monde devrais-je dire, nest vraiment pas un argument valable.

Comment ça se passe ailleurs?

En Europe, en France particulièrement, les agriculteurs, entre autres dans le secteur laitier, semblent à la fois à la merci des entreprises acheteuses avec lesquelles ils doivent passer des contrats dapprovisionnement et à la merci des autorités gouvernementales quils doivent solliciter dès que les marchés ne leur permettent plus de faire face à leurs coûts de production ou que les normes, environnementales notamment, leur imposent des charges trop lourdes.

La «contractualisation» qui a remplacé la plupart des mécanismes de mise en marché collective a par ailleurs pour défaut de ne pas assurer à tous les producteurs de pouvoir vendre les fruits de leur travail.

Si vous navez pas réussi à conclure une entente, à signer un contrat avec un acheteur, impensable de produire. Ou encore, le refus des acheteurs constitue un moyen de pression puissant de leur part pour que le fermier en vienne à accepter des contrats à rabais. Au Canada, la mise en marché collective, en parallèle à la gestion de loffre, pour les importants secteurs du lait, des œufs et de la volaille, empêche que de telles choses se produisent. Les agriculteurs sont tous traités de la même façon. En contrepartie ils doivent respecter certaines règles dont le plafond de production déterminé par leur quota.

Les Européens ont particulièrement tiré profit des concessions du Canada qui a ouvert un peu plus son marché pour des fromages. Les Américains aussi ont pu prendre un peu plus de place sur nos tablettes. Mais, actuellement, ce sont eux, nos voisins du sud, qui sen prennent avec virulence à ce qui reste de notre système de gestion de loffre. Le président Trump répète constamment que les producteurs laitiers du Canada maltraitent les fermiers américains. Ce nest pas compliqué, Trump veut tout simplement voir disparaître la gestion de loffre. Il veut que le marché canadien soit complètement ouvert.

Et si la gestion de l’offre disparaissait?

Eh bien si cela devait arriver, il est certain quen très peu de temps, les produits américains viendraient déclasser les produits canadiens. Pourrait-on, sur la base de normes sanitaires, dutilisation de substances comme la somatotrophine de synthèse qui stimule la production laitière, ou encore pour des questions environnementales ou de bien-être animal, réussir à bloquer les produits américains?  Jen doute fort et même si on y arrivait ce ne serait pas pour longtemps et la disparition de la gestion de loffre permettrait bien des manœuvres commerciales agressives de la part des producteurs et entreprises des États-Unis.

Chez nous, sans la gestion de loffre, les petits producteurs pourraient-ils enfin à leur guise démarrer leurs entreprises et opérer sans contrainte. En théorie oui…  mais ils seront parmi les premiers à se confronter à linondation de nos marchés par les produits américains. Même si les petits producteurs dici offraient du nouveau, de lexclusif, de véritables produits du terroir élaborés selon des méthodes artisanales ou ancestrales, ils ne deviendront assurément pas plus performants, commercialement parlant, que les petites entreprises qui ont réussi depuis quelques décennies à vivre avec le système de gestion de loffre.

L’expérience des dernières décennies de promotion des achats locaux et de prise de conscience de l’importance et de l’impact du soutien aux petites entreprises montre, d’une part que la qualité des produits et leurs caractéristiques particulières sont essentiels et constituent des préalables obligatoires à toute approche de marché. D’autre part, et on l’oublie peut-être trop souvent, il faut toujours baser les initiatives de production et de commercialisation sur des paramètres économiques solides. Peu importe ce que l’on produit, il faut le faire de façon rentable et ni la qualité, ni l’exclusivité ne doivent suffire à appuyer une idée ou un projet. Cela dit, il faut diversifier nos productions agroalimentaires. Il faut retrouver des saveurs, des aliments négligés ou oubliés. Mais il faut toujours le faire sur, je dirais, des bases économiques fiables et viables. La gestion de l’offre a des grandes qualités et pourrait, je pense, soutenir davantage les petites initiatives. Reste à trouver la meilleure formule pour le faire. Et encore faudrait-il que le système survive à la tempête provoquée par le Donald Trump.

Le pouvoir est dans notre panier!

Depuis quelques semaines, le président états-unien et ses amis milliardaires font la pluie et le beau temps à Washington, créant de l’insécurité et de l’incertitude chez nous et ailleurs dans le monde. Devant cette situation, la coéditrice de Caribou Audrey Lavoie a décidé de prendre la plume pour mobiliser les troupes à dépenser notre argent chez nous!

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