Trapper, cuisiner, manger
Publié le
05 décembre 2023
Texte de
Sophie Mediavilla-Rivard
La cuisine de gibier fait un retour en force, notamment grâce au succès qu’ont connu les livres de Stéphane Modat – Cuisine de chasse – et de Hooké sur ce sujet récemment. Mais si leurs recettes valorisent la viande de chasse et de pêche, la trappe, elle, passe sous le radar… Pourtant, cette pratique permet de mettre en lumière plusieurs espèces dans les assiettes: castor, rat musqué, lynx, raton laveur, écureuil, ours… Et ceux qui ont eu la chance de tester ces goûts sauvages ont un verdict unanime: c’est délicieux!
Gaétan Fournier, directeur général de la Fédération des Trappeurs Gestionnaires du Québec (FTGQ), observe depuis quelques années un changement quant au visage de ceux qui s’inscrivent aux formations pour obtenir un permis de piégeage.
Lors de la révision du cours de piégeage en 2017, un chapitre complet sur la préparation de la viande y a été intégrée pour répondre à cette tendance. Depuis, la FTGQ a aussi fait des capsules vidéo montrant comment apprêter des bêtes trappées, passant du dépiautage – le retrait de la fourrure en la séparant de la chair –, au débitage – la découpe de la viande –, puis à la cuisine.
Le b. a.-ba du trappeur-mangeur
Cathy Naud trappe depuis cinq saisons, et a fondé en 2019 la communauté Trappeuses du Québec, qui réunit les passionnées de ce loisir sur le web. De plus en plus de femmes rejoignent le groupe avec l’objectif de trapper pour s’alimenter. «Avec le prix de la viande à l’épicerie qui augmente, il y a de plus en plus de gens qui essaient d’être autosuffisants, et la trappe fait partie de ce mouvement, autant pour la fourrure que pour la nourriture», explique-t-elle.
Lorsqu’une nouvelle recrue souhaite s’initier au piégeage, les membres des Trappeuses du Québec partagent leurs astuces. Pour la fondatrice du groupe, l’ours, le rat musqué et le castor sont imbattables en termes de goût et d’accessibilité. «Le rat musqué et le castor ne sont pas trop difficiles à piéger», mentionne-t-elle, en insistant sur l’importance de porter une attention particulière à la cuisson pour éviter les risques de contamination. Autre enjeu: la fraîcheur de la viande. Les trappeurs doivent aller vérifier l’état de leur piège quasi-quotidiennement s’ils souhaitent se nourrir avec la viande, afin de récolter les animaux trappés avant que leur viande ne se gâte.
Selon Cathy Naud, les bienfaits de la viande sauvage sont pluriels: «Les gens veulent des animaux élevés en pâturage, ils ne veulent pas d’hormones ni d’antibiotiques; notre viande, c’est pas mal ça.» Combiné à la panoplie de saveurs et à la versatilité du gibier, difficile de demander mieux pour la trappeuse! «L’ours par exemple, je vais souvent l’utiliser comme du bœuf dans de la sauce à spaghettis, des ragoûts ou des lasagnes. J’ai fait un pâté chinois de castor que j’ai fait goûter à mon voisin, il s’est roulé par terre!»
Les Trappeuses du Québec travaillent présentement sur un premier livre de recettes entièrement consacré à la viande de trappe. «Je vois de plus en plus de gens qui vont cueillir des champignons, chercher du poivre des dunes, du thé du Labrador. Ça fait partie de notre nature, ce sont des ressources renouvelables, mais la viande est là aussi», souligne celle qui trappe dans la réserve faunique Papineau-Labelle dans les régions des Laurentides et de l’Outaouais.
Est-ce que finalement, la viande de trappe est moins dispendieuse que celle achetée en épicerie? «Avec le temps que ça implique et le prix de l’essence, c’est peut-être plus cher, sauf que le piégeage, c’est une passion aussi. On le fait parce qu’on aime ça. Pour moi, la viande, c’est un bonus», affirme Cathy Naud.
Saveurs de trappe
Cathy Naud a pu goûter à de nombreuses viandes de trappe au fil des ans. Voici un petit guide avec ses observations.
- Ours: «C’est semblable au bœuf, mais plus fort un peu.»
- Rat musqué et écureuil: «Très doux au goût, et tendre!»
- Raton laveur: «Je trouve que dans un chili, ça peut ressembler un peu à de l’agneau!»
- Castor: «Certains le trouvent beaucoup trop fort et le font bouillir une ou deux fois avant de le mettre dans leur ragoût. Pour ma part, bien assaisonné sur le barbecue, je trouve ça goûteux, mais très bon!»
Pourquoi on ne mange pas tout? «Je ne sais pas exactement pourquoi on a tendance à éviter les canidés et mustélidés en général. Je te dirais que le seul que je n’ai vraiment pas envie d’essayer, c’est la loutre, vu son odeur forte et poissonneuse lorsqu’on la dépiaute. Un ami mange même de la moufette, il faut juste prendre bien soin de ne pas toucher les glandes!»
Défaire les préjugés
Le nombre de permis de piégeage délivrés au Québec diminue chaque année, les villes s’agrandissent et la forêt rétrécie. Et la trappe ne récolte pas toujours l’acceptabilité sociale.
S’ils sont conscients que leur loisir implique la mise à mort d’êtres vivants, les trappeurs ont à cœur le respect des bêtes et sont épris de plein air. «On essaie de récupérer tout ce qu’on peut sur chaque animal, on les valorise autant qu’on peut. J’ai des amies qui font de l’artisanat à partir du cuir, des os ou de la fourrure», illustre Cathy Naud.
Il faut aussi oublier l’image clichée que plusieurs conservent des pièges, soit un cerceau en métal dentelé qui agrippe les pattes. Aujourd’hui, les pièges à ressort ou à patte dont les mâchoires sont munies de dents sont illégaux et les mâchoires en caoutchouc sont privilégiées.
«Il y a une perception que les pièges n’ont pas évolué, mais ce n’est pas la réalité, on est à des années-lumière de ce qui se faisait», explique Gaétan Fournier en parlant des normes de piégeage sans cruauté au pays. «Il y a eu énormément de développement et le Canada a été un précurseur dans les années 1970. Près de 300 modèles de pièges ont été testés, il y en a qui sont maintenant accrédités et ce sont les seuls qui peuvent être utilisés», ajoute-t-il.
Il existe deux types de pièges pour la trappe: le piège mortel, qui doit «apporter une perte de conscience rapide et irréversible» et le piège de contention, qui doit entraver la mobilité de l’animal «sans apporter un stress intense ni de blessures», selon M. Fournier.