Au gré des champs: artistes fromagers - Caribou

Au gré des champs: artistes fromagers

Publié le

02 mars 2016

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Plus grand que la panse
Ils ont décidé d’ignorer les qu’en-dira-t-on et ils font fi des croyances populaires. Ils ont opté pour des produits qui ne font pas l’unanimité et ils en sont fiers. Ils ne jurent que par le lait cru, elle transforme des insectes, ils gavent des canards sans remords et il pêche le thon rouge. Et alors? Texte de Roxane Léouzon Photos de Maude Chauvin | maudechauvin.com Portrait de Suzanne Dufresne et Daniel Gosselin d’Au gré des champs Suzanne Dufresne a toujours dit qu’elle était une artiste sans talent. Pourtant, en 1995, elle a enfin trouvé son moyen d’expression… au sein de la ferme familiale de son conjoint, Daniel Gosselin, à Saint-Jean-sur-Richelieu. Ses oeuvres: des fromages au lait cru. «Ça me touche, les fromages. Il y a quelque chose de beau là-dedans», confie la femme qui a été technicienne en informatique avant de plonger tête première dans un bassin de lait cru.

«Maîtriser toutes les étapes de la production d’un fromage au lait cru, c’est l’histoire d’une vie. C’est ce qui est motivant!»

Suzanne et Daniel m’accueillent côte à côte dans leur paisible exploitation où ils produisent de leurs mains, du pis à la table, environ 20 tonnes de fromage biologique par an. La ferme Au gré des champs, la «plus belle du rang Saint-Édouard» au moment de sa construction par le père de Daniel en 1963, est un peu comme la palette de couleurs des deux partenaires. «Le goût des fromages est influencé par une multitude de paramètres: le sol argileux et vivant de la ferme, les petites fleurs et les fines herbes du pâturage, l’air ambiant de l’étable en bois, les bactéries qui se développent sur le pis des bêtes…» précise Suzanne. De ces diverses influences résulte une saveur caractéristique de noisette, qu’on retrouve dans chacun des sept fromages que produit le couple. Jamais, pourtant, leurs fines créations ne goûteront deux fois la même chose. «Une journée où il fait hyper chaud, les bactéries qui se sont dégourdies sur le pis de la vache ne sont pas les mêmes que celles qui s’y retrouveront le lendemain quand il fera 15 degrés. Le lait d’été et le lait d’hiver sont aussi très différents, parce que les vaches ne mangent pas la même chose», explique Suzanne, qui a appris à travailler avec la nature plutôt qu’à la combattre. Cette typicité due aux caractéristiques de la ferme et de ses pâturages est préservée parce que le lait utilisé pour les fromages au lait cru, contrairement à celui dont on se sert pour les autres fromages, ne subit aucun traitement thermique, comme la pasteurisation qui détruit la flore microbienne. «Le fromage au lait cru est la seule expression laitière de notre terroir», affirme avec aplomb la fromagère, toujours prête à monter au front pour défendre la survie des fromages au lait cru du Québec. «S’ils venaient à disparaître, ce serait une grande perte.» Dans la Belle Province, ils ne sont qu’une petite poignée à produire exclusivement des fromages au lait cru. C’est que cette production demande des efforts soutenus afin que le lait, utilisé tel quel, soit sain. La première condition sur la liste est d’assurer la santé des vaches. «Jessica, Amanda, Laurie, Sacha, Ruby, Flavie…» Assis à une table de pique-nique devant la maison où il a grandi, Daniel nomme une à une ses «demoiselles», une trentaine de suisses brunes dont la moyenne d’âge est de cinq ans, alors qu’elles rentrent à l’étable pour la traite. «On les trouve bien belles et on les aime beaucoup. Elles sont nos partenaires, il faut les respecter», souligne le discret fermier au sujet de celles qu’il appelle tendrement «les toutes petites», malgré leur taille imposante. «Elles sont pas mal futées. Plusieurs d’entre elles connaissent leur nom», assure-t-il. L’été, les vaches passent la journée au pâturage et ne rentrent que trois ou quatre heures par jour, pour la traite. L’hiver, c’est le contraire: elles ne sortent que quelques heures pour se dégourdir les pattes. Elles ne mangent pas d’ensilage, c’est-à-dire du maïs ou de l’herbe fermentés, contrairement à beaucoup de leurs consoeurs au Québec. «Les agriculteurs ont opté pour cette méthode parce que c’est très économique. Mais c’est trop acide pour l’estomac des vaches et ça peut être une source de listériose», explique Daniel. Le fromage au lait cru a déjà eu mauvaise presse, particulièrement lors de la crise de la listériose en 2008, mais Suzanne et Daniel assurent que leurs produits sont sécuritaires. Ils possèdent d’ailleurs un petit laboratoire pour tester le lait et les vaches, et pour s’assurer que les niveaux de pathogènes, comme l’E.coli, sont contrôlés. En dépit de toutes ces précautions, Daniel et Suzanne doivent à l’occasion jeter des lots de fromage. «Beaucoup de producteurs ont délaissé les fromages au lait cru ces dernières années parce qu’ils n’arrivaient plus à suivre la réglementation québécoise relative aux taux de pathogènes, qui est trop sévère», déplore Suzanne. Il y a toutefois des espoirs de changement, puisque le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec est en discussion avec les producteurs de fromage pour réviser certaines de ces normes. Malgré ces obstacles, l’atelier créatif de Suzanne et Daniel se porte bien. La relève doit être assurée par leur fille Marie-Pier, 27 ans, qui a étudié l’agronomie à l’Université McGill. Virginie, leur autre fille, est photographe spécialisée en alimentation. Quoi qu’en dise Suzanne, le talent est bien présent dans la famille.
  Cet article est paru initialement dans le numéro 3, Tabous, en octobre 2015.
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