Le grincement de dents de Stéphane Modat: à quand la viande sauvage au restaurant? - Caribou

Le grincement de dents de Stéphane Modat: à quand la viande sauvage au restaurant?

Publié le

19 juin 2017

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Le chef cuisinier Stéphane Modat a déjà chassé l'oie, la perdrix, le lièvre, le cerf, l'orignal et l'ours. Celui qui dirige les cuisines du Fairmont Château Frontenac apprécie cette activité qui permet une reconnexion avec la nature et qui engendre un sentiment de respect envers la nourriture, tout en donnant accès à de délicieuses viandes sauvages associées à notre patrimoine culinaire et à notre territoire. Il grince toutefois des dents en constatant que cette viande de gibier est souvent gaspillée. Caribou lui tend le micro. Un texte de Julie Aubé Photos de Bravejack D'où vient ce gaspillage de viande sauvage? Pour moi, la chasse ce n'est pas pour le trophée mais pour la ressource. Quand je chasse avec mon groupe [Bravejack], on prélève uniquement ce qu’on peut consommer et on valorise toutes les parties des animaux. Lors de ces repas, le sentiment de gratitude est vraiment énorme! Le gaspillage survient quand les chasseurs ne ramènent pas leurs prises au bercail. Prenons l'exemple d'un duo de chasseurs américains venu faire un long week-end de chasse à l'oie des neiges. Elle est si abondante qu'elle nuit à l'agriculture dans certains secteurs; c'est pourquoi le maximum de prises s'élève à 20 oies par jour, sans limite de possession. Au bout de trois jours, notre duo de chasseurs peut avoir abattu 120 oies, qui ne pourront pas traverser la frontière avec eux. Les propriétaires de pourvoiries en gardent pour eux et en donnent, mais considérant que les deux Américains de notre exemple sont loin d'être les seuls à s'offrir de tels week-ends de chasse, il y a une limite à ce que les pourvoyeurs peuvent manger, donner ou conserver. C'est ainsi que se perd une viande saine et savoureuse. Et c'est sans compter les chasseurs d'ici ou d'autres provinces qui rapportent seulement les poitrines, relativement faciles à prélever de la carcasse, en laissant les cuisses et d'autres délicieuses parties des oies derrière. De quelle façon ce gaspillage pourrait-il être évité? Les chefs seraient ravis de pouvoir apprêter et servir des viandes sauvages durant la saison de chasse! En ce moment, c'est une "cuisine interdite". Pourtant, il y a une grande satisfaction à goûter ces saveurs de notre territoire qui ne sont pas accessibles à moins d'être chasseur ou d'en connaître un qui soit généreux! Paradoxalement, ces viandes convoitées se perdent. Une réalité d'autant plus choquante qu'elle est évitable puisque la vente de gibier sauvage pourrait être structurée en travaillant avec des pourvoyeurs accrédités, formés en hygiène, et équipés pour respecter la chaîne de froid. Ces viandes seraient vendues aux restaurateurs seulement pendant la saison de la chasse et pour les espèces en surabondance. Un tel système réfléchi et encadré éliminerait les risques du point de vue de la salubrité comme du point de vue du braconnage: les abus ne seraient pas à craindre puisque les pourvoyeurs n'ont pas intérêt à perdre leur permis. Tout le monde serait gagnant!
La vraie «québécitude» ne serait-elle pas de goûter les animaux qui habitent notre territoire? D'associer des histoires et une identité à nos produits sauvages pour que la relation avec la nourriture prenne un nouveau sens? Ce serait intéressant pour les Québécois, mais aussi porteur pour le tourisme gourmand, afin de rehausser l'expérience gastronomique identitaire.
Que faudrait-il faire pour que cette idée passe de projet à réalité? Je commencerais avec l'oie des neiges, dû à la surpopulation et au gaspillage actuel. Les gibiers migrateurs, comme l'oie, sont sous règlementation fédérale; il faudrait donc que je prenne une bière avec Justin Trudeau pour jaser d'un projet pilote avec l'oie, puis voir ensuite où ce projet pourrait mener. Je devrais même l'inviter à la chasse, tiens, ce serait une bonne idée! Il faudrait aussi jaser avec les amis du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec en expliquant la situation et en espérant une oreille attentive. Mon grand-père disait: «le non, tu l'as déjà, il ne te manque que le oui.»
À la suite de l'entrevue, le chef a bel et bien lancé l'invitation à Justin Trudeau sur son compte Instagram. Il attend toujours la réponse du premier ministre...
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