Une ferme qui fait de l’éducation agroalimentaire une priorité
Publié le
31 juillet 2017
En 1994, Marielle Martineau et Michel Gendreau ont eu le désir d’accueillir sur leur ferme laitière (devenue une ferme d'élevage d'agneaux quelques années plus tard) des groupes de campeurs pour que le lien entre la terre et l’assiette se fasse plus naturellement chez les jeunes. Alexandra Gendreau-Martineau avait cinq ans quand la Ferme Marichel a accueilli ses premiers enfants. Aussi bien dire qu’elle est tombée dans le chaudron de l’animation depuis qu’elle est née. Entretien avec celle qui montrait déjà aux campeurs comment écraser des bibittes à patates alors qu’elle n’était pas plus haute que trois pommes.
Texte de Julie Aubé
Photos de la Ferme Marichel
Comment vos parents ont-ils eu l’idée d’une ferme pédagogique?
Avant, la majorité des enfants avaient accès au milieu agricole: un grand-parent, un oncle ou un cousin avait une ferme et ils s’y rendaient pour donner un coup de main, pour les vacances ou pour visiter la famille. Aujourd’hui, ce lien n’existe pas pour bon nombre d’enfants qui grandissent en milieu urbain ou périurbain. Avec les camps, mes parents souhaitaient permettre aux adultes de demain d’apprivoiser l’agriculture et de comprendre la complexité, la diversité et l’ampleur du travail à faire sur une ferme pour que chacun puisse manger un simple repas. Mes parents ont toujours dit que c’est plus facile de parler à des enfants parce qu’ils n’ont pas les barrières que les adultes se mettent parfois.
Ici, les campeurs de 5 à 16 ans s’occupent des animaux (agneaux, poules, poulets, cochons, vaches), mettent la main à la pâte au potager, découvrent le travail des abeilles et cuisinent les produits de la ferme. Jusqu’à quel point tout cela est nouveau pour les jeunes?
La plupart des enfants sont des pages blanches – ou presque – en agriculture quand ils arrivent ici le dimanche. Plusieurs n’ont jamais mis les pieds sur une ferme avant. Une semaine c’est court, mais c’est surprenant de voir à quel point la page blanche se remplit vite! Et elle se remplit encore plus vite quand on fait des liens avec des choses tangibles que les jeunes connaissent. Par exemple, quand les enfants participent à nourrir les agneaux et qu’on leur donne de l’orge, on leur demande: «En mangez-vous de l’orge?» Et il y en a un qui va penser à la bonne soupe de sa grand-mère. On encourage toujours nos animateurs à trouver ce qui accroche chaque jeune, et à trouver les bons exemples pour lui parler. On regarde aussi ce qui nous inspire dans la nature pour résoudre des conflits entre les jeunes. Les abeilles, par exemple, sont des milliers dans une ruche et elles travaillent ensemble pour un objectif commun: la survie de la colonie. Ça peut même être des principes utilisés en team building pour les adultes!
Le contexte de plaisir est certainement une autre clé pour rejoindre les jeunes?
Assurément, c’est ce qui distingue notre approche pédagogique: l’information est transmise aux jeunes par des activités, des jeux, des personnages, etc. L’humour est une autre clé. Dans un contexte décontracté et rieur, les enfants n’ont jamais l’impression que leur question est «niaiseuse». D’ailleurs, quand un enfant nous pose des questions sur la ferme, ça nous permet de regarder notre environnement d’un autre œil, ça nous fait beaucoup grandir!
Parlant de questions, il y en a qui sont sans doute plus délicates que d’autres à répondre…
Notre philosophie, c’est la transparence. On adapte le discours selon l’âge, mais on ne camoufle pas la réalité. On est une ferme d’élevage d’agneaux: les jeunes le savent et on leur explique pourquoi on a fait ce choix, comment on prend soin des animaux et pourquoi on tient à leur offrir les meilleures conditions. On parle aussi de notre gratitude envers les animaux qui nous offrent de la nourriture savoureuse et saine.
«On ne «force» par les jeunes à être d’accord, mais on leur explique ce qu’on fait ici, et que tout est relié: on nourrit les animaux qui nous nourrissent et qui donnent un fumier, qui lui nourrit les sols, permettant de faire pousser les végétaux. C’est une boucle!»«Tout est lié», c’est d’ailleurs la phrase fétiche de notre mascotte, Vertige le ver de terre. Les jeunes peuvent lui écrire pour lui poser des questions, et Vertige leur écrit aussi. Chaque fois, il termine ses messages par «tout est lié» pour rappeler que la vie est une grande chaîne. C’est un message qu’on renforce encore plus cette année avec notre thématique sur les changements climatiques. On a créé un personnage de voyageur du futur qui arrive au camp avec une mission pour les jeunes: il a besoin de leur aide! Dans ce contexte stimulant, on parle par exemple de gestion des déchets, de kilomètres alimentaires, de suremballage et de gaspillage. Les enfants prennent conscience de ce qui les entourent, et comprennent que nos actions et nos choix d’aujourd’hui peuvent avoir un impact sur l’environnement. Sur une ferme, faire des liens entre la terre, le vivant et la table est naturel: il n’y a rien de mieux que sentir, toucher, goûter et participer pour rendre les choses concrètes et intégrer les expériences. Y a-t-il des choses que les enfants, malgré leur capacité d’émerveillement et leur ouverture, sont rebutés de faire? Très peu, et sinon on les transforme en outil d’animation. Par exemple, plusieurs adultes grimaceraient à l’idée d’écraser les bibittes à patates entre deux pierres. Pour les enfants, ça devient vite un jeu. Autre exemple: la semaine passée, on épandait le fumier et certains jeunes disaient «ark ça pu, c’est dégueu, y’a des mouches!» Je leur ai alors demandé pourquoi on faisait ça si c’était dégueu. J’ai expliqué aux enfants le lien entre le fumier, et la vie des micro-organismes dans les sols; ces sols qui vont nous donner des légumes, des céréales et des fruits, ou qui vont nourrir les animaux (céréales, herbes, foin) qui eux, nous nourriront à leur tour (viande, lait) et fourniront le fumier. Comprendre, c’est la première étape. Ensuite, on apprécie et on passe du «ark» au «wow» et «c’est cool la cascade de fumier»! Et cette compréhension de ce qui se passe dans le champ aide à mieux apprécier ce qu’il y a dans l’assiette! Absolument! Chaque activité de la journée est reliée, au final, à l’assiette d’une manière ou d’une autre. Puis, quand arrive le repas, on prend conscience des aliments qui sont au menu. On prend le temps de dire merci à la cuisinière, mais aussi, par exemple, au poulet et à ceux qui ont élevé le poulet. Et ça, rendu au jeudi, c’est devenu un réflexe! Il y a aussi une forme d’humilité par rapport à la nature qui devient rapidement naturelle. Les enfants comprennent qu’on ne contrôle pas tout, en commençant par la météo, et qu’il vaut mieux travailler avec elle que contre elle. Les enfants sont exposés à une agriculture écologique et adoptent la notion de gratitude et le message «tout est lié» de Vertige. Mais à la fin de la semaine, quand ils reprennent l’autoroute pour rentrer chez eux, ils roulent le long des monocultures de maïs et de soya. Qu’est-ce qui reste de leur semaine au camp quand les jeunes retournent dans leur réalité? Chassez le naturel et il revient au galop: de retour dans leur routine, certains liens se font sans doute moins facilement qu’à la ferme où tout est là pour que l’éducation agroalimentaire soit naturelle. Or, 30% des enfants qui sont venus au camp reviennent d’année en année. On revoit donc aussi les parents, et c’est souvent par eux qu’on est capable de dire qu’il reste des traces d’un séjour au camp. Certains parents nous disent qu’ils ne peuvent plus faire l’épicerie de la même manière: les enfants posent plus de questions sur leurs aliments, d’autres veulent leur yogourt dans un contenant réutilisable plutôt que dans un format individuel et certains critiquent si leur pomme ne vient pas du Québec. L’ensemble de ces témoignages, année après année, nous prouvent qu’on sème de bonnes graines. De plus, on ne s’en fait pas si les résultats ne sont pas immédiats. Les enfants vont reprendre leur routine, mais ce qu’ils ont appris ici reste quelque part en eux, et c’est peut-être quand ils seront plus vieux que certains éléments appris ici vont influencer leurs habitudes ou leurs choix. Certains de nos campeurs ou même de nos animateurs décident, plus tard, d’étudier ou de se lancer en agriculture! C’est sûr que ce n’est pas juste à cause de nous, mais ça nous rend vraiment fiers!
À lire aussi : L’entrevue avec Catherine Avard, de la Ferme Le Siffle Orange, qui a approfondi son intérêt pour l'agriculture à la Ferme Marichel.Êtes-vous aujourd’hui en processus de prendre la relève de la ferme et des camps? J’ai grandi sur la ferme avec les principes que mes parents voulaient transmettre aux campeurs, dont la curiosité. Bien que j’aime l’agriculture, j’ai aussi fait des études en relations internationales pour avoir une compréhension plus large du monde. Ça ne s’applique pas directement au travail quotidien à la ferme, mais c’est pertinent d’avoir une connaissance des enjeux planétaires; ça influence le regard qu’on porte sur le monde ainsi que sur «notre» monde. Je crois que mon «monde», la ferme, est aussi une manière d’entrer en relation non seulement avec les autres mais aussi avec soi-même. Même si j’ai grandi ici et travaillé aux camps depuis toujours, je n’étais pas responsable de tout, toute seule. Je prends l’été pour «faire le test» d’être à la ferme à temps plein, pour vrai, et on verra comment se dessinera la suite! Infos: fermemarichel.com