Acerum: de l’eau d’érable à l’eau-de-vie
Publié le
02 octobre 2018
Texte de
Rémy Bourdillon
Photos de
Rémy Bourdillon
Dans la petite Distillerie du St. Laurent à Rimouski, célèbre pour le gin du même nom, un curieux élixir repose dans des barils de chêne depuis quelques mois déjà. Le maître-distillateur, Jean-François Cloutier, en sort une bouteille de sa réserve, à 41% d’alcool, et nous en fait la description: «Des notes de pomme et de poire, et même un peu de noix de coco à la fin, qui vient je ne sais d’où! C’est gras en bouche, ce qui est très intéressant pour le vieillissement en barrique.» Le sirop d’érable, matière première de cette toute nouvelle eau-de-vie, a totalement disparu du bouquet final. Le nom? Acerum, comme «érables» en latin, en incluant un clin d’œil au mot «rhum», parce que la recette est similaire: base de sucre et levure, fermentation puis distillation.
Le distillateur en parle avec une excitation certaine: «C’est la première fois depuis vraiment longtemps qu’il y a une nouvelle classe de spiritueux dans le monde!» Whisky, cognac, rhum se dégustent depuis des siècles. Mais jamais personne n’avait proposé d’alcool d’érable – comprendre: en fermentant du sucre d’érable, et non en aromatisant un alcool existant.
La raison est toute simple: trop cher!
De l’acerum est déjà sur le marché : il s’agit de celui de la Distillerie Shefford, du village éponyme en Montérégie. Le blanc, «vif et poivré» selon la description qu’en donne la compagnie, coûte 51,50$ pour 500 ml à la SAQ. Quant au brun, aux «arômes de caramel et de poire confite», il faut débourser 53,30$ pour se le procurer. Pas donné, donc. Mais Jean-François Cloutier a confiance que le consommateur, de plus en plus intéressé par les produits locaux et insolites, est mûr pour l’expérience. Après tout, «on ne se gêne pas à acheter une bouteille de scotch à 100$», remarque-t-il.
Une noblesse à construire
Il va tout de même falloir travailler fort pour donner du sens à cette comparaison: la simple évocation du whisky écossais nous transporte dans un imaginaire auquel le jeune acerum ne peut prétendre. Mais le processus a été enclenché plus tôt cette année, avec la fondation de l’Union des distillateurs de spiritueux d’érable (UDSÉ), qui compte pour l’instant trois membres: les deux distilleries susnommées, et le Domaine Acer, d’Auclair au Témiscouata. L’UDSÉ a enregistré la marque de certification «Acerum» et élaboré un cahier des charges régissant sa fabrication: le spiritueux doit être produit à partir de sirop ou d’eau d’érable du Québec, titrer au moins 35% d’alcool et ne doit être ni coloré ni aromatisé. Ces règles se veulent simples pour stimuler la créativité, mais strictes pour éviter les dérapages. «Une marque de certification permet d’avoir un contrôle minimal pour assurer une qualité, explique Nathalie Decaigny, du Domaine Acer. C’est un tremplin éventuel pour arriver à une appellation réservée.» L’acerum sera un produit noble ou ne sera pas.
Au Domaine Acer, c’est l’eau d’érable qui est l’ingrédient de base. Vallier Robert, qui a hérité de l’érablière familiale, y produit depuis une vingtaine d’années déjà des vins d’érables, les acers. C’est en distillant l’un d’eux, le Prémices d’avril (un blanc demi-sec à 12% d’alcool) qu’il entend obtenir son premier acerum.
À Rimouski, Jean-François Cloutier va ouvrir quelques barils l’été prochain, et l’acerum de la Distillerie du St. Laurent va se retrouver sur les tablettes de la SAQ. Le reste de la production, il l’utilisera pour mener des tests s’étalant sur plusieurs années, avec la passion de l’aventurier qui s’en va explorer des terres que personne d’autre n’a visitées. Ceci ne signifie pas pour autant qu’il veuille y aller seul. «L’USDÉ est une petite organisation, mais c’est une organisation ouverte, lance M. Cloutier. On est très coopératifs et on veut qu’il y ait le plus de producteurs possible, parce qu’on est tous conscients que ce produit n’obtiendra pas de noblesse si on n’est que quelques-uns à le faire.» Que ce soit pour le liquide ou pour le nom, l’acerum va être long à maturer.