Louis Robert: «L’agriculture n’est pas une business comme une autre» - Caribou

Louis Robert: «L’agriculture n’est pas une business comme une autre»

Publié le

10 mai 2021

Tracteeur qui pulvérise des pesticides
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Un Ordre des agronomes qui marche main dans la main avec les producteurs de pesticides, un ministère de l’Agriculture qui se déleste de ses responsabilités, des fertilisants administrés bien au-delà des doses nécessaires et un lanceur d’alerte muselé par son employeur sous les demandes des lobbys: c’est un portrait très sombre de l’agriculture québécoise que dresse l’agronome Louis Robert dans son livre coup de poing Pour le bien de la terre

Texte de Benoit Valois-Nadeau

À l’emploi du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) depuis 35 ans, Louis Robert s’est fait connaître en 2019 lorsqu’il a été congédié pour avoir dénoncé l'ingérence des compagnies privées dans la recherche publique sur les pesticides.

Réembauché depuis, l’agronome poursuit néanmoins sa croisade contre les conflits d’intérêts qui gangrènent nos champs et nos campagnes. Il pointe notamment du doigt l’Ordre des agronomes du Québec (OAQ), qui permet toujours que ses membres prescrivent des intrants (engrais ou pesticides) tout en étant à l'emploi des entreprises qui les produisent, et l’inaction du MAPAQ pour défendre l’intérêt public face aux demandes de l’industrie. Caribou s’est entretenu avec lui.

Pour qui avez-vous écrit ce livre? Pour le grand public, les agriculteurs, les politiciens, vos collègues agronomes? 
Je n’ai qu’une prétention simple et modeste avec ce livre: faire le travail pour lequel je suis payé par la société québécoise, c’est-à-dire celui d’agronome au service public. Mon rôle, c’est de poser des diagnostics et de proposer des mesures correctives pour une problématique qui touche la santé publique, l’environnement, la pérennité de l’agriculture et la biodiversité.

Je sens qu’en ce moment il y a un bouillonnement parmi les groupes de citoyens, les groupes environnementaux, mais aussi les simples consommateurs. Avec la pandémie, les gens en apprennent davantage sur l’agriculture telle qu’elle est pratiquée et se rendent compte qu’elle ne correspond pas à l’image qu’ils s’en faisaient. Mon livre se veut une nourriture pour la réflexion du grand public sur l’agriculture qu’il veut voir pratiquer au Québec.

En comparant avec l’Ontario et des États américains, vous notez que le Québec semble beaucoup plus conciliant avec l’industrie agrochimique. Par exemple, les producteurs d’engrais peuvent siéger sur les comités conseils en fertilisation et les quantités d'utilisation permises sont beaucoup plus élevées qu’ailleurs. Comment expliquer cet état de fait?
C’est idéologique. Nos dirigeants politiques ont tendance à voir l’agriculture comme une business. Alors que ce n’est pas une business comme une autre. Il y a des dimensions sociales et environnementales, (l’occupation du territoire, la vitalité des communautés) très importantes qui y sont rattachée. Il y a des choses sur lesquelles on ne peut pas faire de compromis si on veut servir l’intérêt public. L’agriculture en est une.

Pourtant, l’idéologie libérale veut que le développement économique passe par les compagnies de fertilisation et de pesticides et qu’on va perdre des jobs si on change les choses. Pourtant, c’est faux. Premièrement, on ne fabrique aucun pesticides ou engrais au Québec: on est seulement des distributeurs, pas des producteurs. Deuxièmement, ces emplois rendent l’agriculture moins performante, moins rentable, et plus dommageable pour l’environnement.

Je n’ai rien contre les activités des compagnies d’engrais ou de pesticides. Là où je dis «stop!», c’est lorsqu’on soumet des activités qui relèvent de l’intérêt public à des compromis avec l’industrie privée. Ça devrait être interdit, mais on le tolère par idéologie. 

C’est comme l’analogie du loup dans la bergerie: on peut en vouloir tant qu’on veut au loup, mais tant que les bergers (le MAPAQ, l’Ordre des agronomes) laissent la porte de la grange ouverte, ce sont eux les responsables.

Vous avez fait de la santé des sols votre cheval de bataille. Les producteurs agricoles sont-ils suffisamment sensibilisés à cet enjeu et à la question environnementale en général?
Il y a surtout un manque de confiance dans le transfert de connaissances et dans la recherche. S’il y a un blâme que j’adresse aux producteurs, c’est ne pas avoir assez d’esprit critique.

Les plus réfractaires vont écouter autant ou sinon plus les conseils des compagnies d’intrants que ceux des club-conseils en agronomie et ceux du MAPAQ. C’est plutôt rare qu’on voit ça dans d’autres secteurs d’activité : on offre aux producteurs du service-conseil, de la recherche, du transfert technologique, et ce, payés avec des fonds public. Et pourtant ils les méprisent et ne les considèrent pas. 

Évidemment, c’est une généralisation. Je travaille aussi avec des producteurs d’avant-garde, qui mettent en place des pratiques qui sont à des années-lumière en avance sur les autres producteurs. Mais la masse, et ceux qui sont le plus vocaux au sein de l’Union des producteurs agricoles (UPA), ne veulent rien savoir. 

Est-ce utopique de penser qu’on peut se passer complètement de pesticides et d’herbicides?
C’est parfaitement réaliste de penser qu’on pourrait réduire de 40% l’utilisation des pesticides au Québec, à court terme, parce qu’on en utilise simplement trop, au-delà des besoins des plantes. À long terme, on peut réduire notre utilisation encore davantage en utilisant des pratiques comme les rotations de cultures, les cultures de couvertures, les semis direct, etc. Je pense qu’à long terme, on va être capable de s’en passer. Ce n’est pas utopique.

Actuellement, Il a des fermes de 2000 hectares qui sont bio. Elles utilisent aucun pesticide, sont plus rentables que les conventionnels et causent moins de dommage à l’environnement. Il ne faut pas oublier que les intrants, ça coûte très cher. Les technologies qui nous permettront de s’en passer existent déjà. Il s’agit juste de les appliquer à une plus grande échelle.

Les consommateurs ont-ils eux aussi un rôle à jouer dans ce virage? 
À partir du moment où le consommateur se rend compte que l’agriculture de 2021 est très loin de l’agriculture qu’il souhaite voir, il faut qu’il demande des comptes à ses élus. Idéalement, il faudrait qu’il soit question d’agriculture et d’environnement dans les campagnes électorales et que les candidats présentent le modèle d’agriculture qu’ils souhaitent voir.  Le citoyen jugera. L’implication citoyenne dans le modèle démocratique actuel pourrait faire une grande différence. 

Arrêtons un peu de nous intéresser aux livres de recettes et intéressons-nous un peu à la façon dont les aliments sont produits. 

Vous n’êtes pas le premier à lancer un pavé dans la mare de l’agriculture québécoise. Avez-vous espoir que les choses finissent par changer?
Je suis content d’avoir dit et écrit ce que je pensais. Je reviens toujours au modus operandi des agronomes: l’agronome est responsable des recommandations, pas de l’application. 

On a appris, nous les agronomes, à ne pas s’attendre à ce que nos recommandations soient appliquées. On n’a pas des attentes démesurées. Je suis réaliste. Ce qu’il va advenir de l’agriculture, je n’ai pas grand contrôle là-dessus. Mais j’ai fait ma part. 

Pour le bien de la terre
Aux éditions MultiMondes

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