Des trèfles dans l’assiette - Caribou

Des trèfles dans l’assiette

Publié le

14 mars 2022

repas irlandais
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De la pomme de terre au plum pudding, les traditions culinaires de l’Irlande sont bien ancrées dans l’histoire gastronomique du Québec.

Texte de Laura Shine

Célébrez-vous la Saint-Patrick avec une bonne bière verte? Pour souligner le 17 mars comme les vrais Irlandais, mieux vaut chercher autre chose. Vous ne risquez pas de trouver dans les pubs de l’île d’Émeraude ce breuvage popularisé par un coroner new-yorkais qui, en 1914, ajouta une pincée de blanchissant à linge dans un fût de bière.

De nos jours, le colorant alimentaire a avantageusement remplacé le détergent toxique dans la pinte couleur trèfle. Mais il y a bien d’autre façons d’inviter l’Irlande à table. Au fil des siècles, sa cuisine s’est étroitement mêlée à celle des Canadiens français, au point où l’on en trouve des traces dans de nombreuses assiettes québécoises – et pas seulement à la Saint-Patrick.

Les multiples vagues d’immigration ont fait des Irlandais un des groupes ethnoculturels les plus largement représentés dans l’histoire de la Belle Province. Et ce, depuis longtemps: des dizaines de milliers d’entre eux sont arrivés au 18e siècle et, bien sûr, au milieu du 19e, alors que la famine de la pomme de terre pousse près d’un cinquième de la population irlandaise vers l’exil. De nombreux autres, comme le père de l’autrice de ces lignes, sont arrivés tout au long du 20e siècle, en quête d’opportunités professionnelles.

Les Irlandais du Québec ont laissé leur empreinte dans les domaines, politique, légal, ouvrier, médical ou encore religieux. Leur relative bonne entente avec les Canadiens francophones s’explique principalement par une religion partagée – le catholicisme – et une méfiance à l’égard des Britanniques. Leur intégration sociale a également entrainé des influences croisées dans les assiettes.

Patati, patata

S’il y a un aliment immanquablement associé à la diète irlandaise, c’est bien la pomme de terre. Mieux adapté aux sols et au climat de la petite île que les cultures céréalières, le tubercule originaire des Andes connaît un succès fulgurant en Irlande à partir de son importation au 16e siècle.

Les immigrants irlandais qui s’installent dans les régions du Québec s’attèlent rapidement à la culture de leur aliment préféré. L’ethnologue Claude Bourguignon, qui étudie depuis 35 ans les traces historiques de la communauté irlandaise de Saint-Colomban, au nord de Montréal, précise qu’«on observe dans les recensements, qui sont très précis sur les quantités produites, une nette dominance de la pomme de terre, suivie de l’avoine» - des denrées aussi cultivées à cette époque par de nombreuses familles canadiennes-françaises.

En plus du tubercule, qui est préparé à toutes les sauces, «les Irlandais consomment d’autres produits familiers aux Canadiens français: beurre, fromages, lait, porc et œufs sont produits dans les fermes familiales». Certains possèdent des arbres fruitiers dont ils récoltent pommes et prunes. Quelques familles de la région s’attèlent même à la production de sirop d’érable.

Les Irlandais sont donc moins affectés par les nombreuses maladies qui déciment les cultures du blé à cette époque. Signe peut-être de leur peu d’intérêt pour les céréales à panification, ils «se distinguent très fortement par une architecture domestique sans four à pain: la cuisine se fait sur l’âtre, à même la cheminée, alors qu’à l’époque les Canadiens français cuisinent et se chauffent généralement avec des poêles à bois en fonte». Sur l’âtre ouvert mijote une bouillie d’avoine ou le fameux ragoût (stew) irlandais. Il est composé de bœuf (ou parfois d’agneau, plus classique mais plus rare), de pommes de terre et de légumes, souvent des carottes, des navets ou encore des oignons. Le stew représente un heureux mariage des ingrédients disponibles et des possibilités techniques de l’époque. Comme ses cousins, les nombreux bouillis typiques de la Belle Province, c’est un repas simple et roboratif, qui nourrit économiquement une famille nombreuse.

Une popularité grandissante

Les Irlandais qui s’installent dans les villes, à Montréal surtout mais aussi à Québec, s’intègrent beaucoup plus rapidement que leurs compatriotes ruraux en adaptant à leur sauce les habitudes de leurs voisins – à la maison comme au coin de la rue. La taverne du quartier tient souvent lieu de pub: comme les Canadiens français, les ouvriers irlandais affectionnent ces lieux de convivialité où la bière coule à flots. Dès 1912, le McKibbin’s Irish Pub ouvre ses portes au centre-ville de Montréal. Encore aujourd’hui, on peut y écouter de la musique traditionnelle en dégustant des fish ‘n chips et en sirotant la plus fameuse des bières noires au monde, la Guinness.

Depuis, les établissements où l’on peut déguster des spécialités irlandaises se sont multipliés, surtout dans les grandes villes. Dans sa boulangerie Gryphon, la Montréalaise Peggy Regan prépare depuis 25 ans des pâtisseries typiques des îles britanniques. Même si les ingrédients qu’elle trouve ici diffèrent – en particulier «le beurre et la crème, qui sont beaucoup moins gras» – elle note que ses clients «réclament aujourd’hui des produits beaucoup plus authentiques» qu’autrefois. Certains retrouvent le goût du plum pudding, un gâteau riche en fruit et en alcool, servi chaque Noël par une grand-mère adorée. D’autres ont voyagé dans l’île d’Émeraude et veulent retrouver le plaisir d’un scone à l’heure du thé.

Les plats irlandais ont toujours été simples et nourrissants, issus de la cuisine populaire. Ce sont ces mêmes qualités qui font qu’on les apprécie encore aujourd’hui: roboratifs et réconfortants, ils permettent de se retrouver en toute convivialité autour d’une bonne bière… noire!


La culture culinaire du Québec en est une de métissage. Dans son numéro D'ici et d'ailleurs, Caribou s’est intéressé à l’apport de toutes ces cultures qui façonnent notre identité alimentaire, mais aussi à comment la cuisine québécoise rayonne à l’étranger. Ce numéro, paru à l'automne 2019, se veut une invitation gourmande au voyage et à la découverte.

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